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À propos des défis qu’ont à relever les psychologues scolaires

Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca


Les psychologues en milieu scolaire peuvent, dans une même journée, être appelés à traiter avec des élèves, des enseignants, des directions d’écoles, des parents ou des intervenants de la santé et des services sociaux. La nature des mandats qu’ils ont à réaliser est également très diversifiée et va de la consultation et du rôle-conseil à l’intervention – notamment l’intervention de crise – en passant par l’observation en classe, l’évaluation et la supervision de stagiaires et de doctorants. Pour ajouter à ce tableau déjà complexe, rappelons que la plupart des psychologues scolaires offrent leurs services dans plusieurs écoles. La présente chronique a pour but d’explorer, sous divers angles et à l’aide de vignettes, quelques défis déontologiques auxquels sont confrontés les psychologues scolaires au quotidien.

Un contexte de travail particulier

Le sens de l’organisation et les capacités d’adaptation sont indéniablement deux compétences nécessaires pour exercer à titre de psychologue scolaire. Qui plus est, les psychologues scolaires doivent miser sur leurs compétences déontologiques pour répondre aux différents mandats qui leur sont confiés et établir à qui s’adresse le service, ce que sont les objectifs de l’intervention, qui peut ou qui doit consentir et à quoi, ce que sont les obligations en matière de confidentialité, d’accès à l’information et de consentement. Il arrive, par ailleurs, que les psychologues scolaires subissent certaines pressions (demandes subites et urgentes, mandats auxquels répondre dans des délais très courts) et soient confrontés à des attentes de la part de leur employeur, des jeunes qui les consultent et de leurs parents, de leurs collègues de l’équipe-école et d’autres intervenants qui peuvent leur paraître difficiles à concilier, voire qui les placent en situation de conflit d’intérêts. Il n’est pas simple, en pareil contexte, de préserver son autonomie professionnelle, et les psychologues scolaires doivent exercer leur jugement professionnel tout en faisant preuve d’écoute, de souplesse et parfois de créativité.

Le rôle conseil du psychologue scolaire

Une enseignante demande à la psychologue de son école des conseils pour intervenir auprès de Thomas, un élève qui désorganiserait son groupe par son comportement turbulent. L’enseignante se plaint de devoir effectuer plus de gestion de classe et, conséquemment, moins d’enseignement et d’accompagnement pour les élèves en soutien à l’apprentissage.

Le service qui pourrait être proposé sur la base de cette requête pourrait être :/p>

  1. d’explorer la situation avec l’enseignante;
  2. d’analyser la problématique;
  3. d’offrir à l’enseignante des moyens pour intervenir plus efficacement auprès de sa classe afin de minimiser l’impact des comportements perturbateurs.

La psychologue aura préalablement convenu avec l’enseignante de lui offrir ses services et précisé que cette offre ne s’adresse pas à Thomas, mais bien à elle. Thomas n’est donc pas son client, bien qu’il pourrait éventuellement bénéficier des conseils de la psychologue à son enseignante, tout comme les autres élèves de sa classe d’ailleurs. L’enseignante n’est pas non plus sa cliente, mais bien une collègue faisant partie de l’équipe-école. L’objectif est de lui offrir des pistes d’intervention pour une meilleure gestion de son groupe-classe. Il importe ici d’être clair afin de ne pas donner à croire que la psychologue a offert des services à Thomas.

Cette situation a des impacts relativement au consentement et à la tenue de dossiers. Thomas n’étant pas le client de la psychologue, celle-ci n’a pas à obtenir le consentement de ses parents pour faire de l’observation en classe ni n’aura à consigner d’informations le concernant dans un dossier, puisqu’aucun service ne lui aura été directement rendu.

Dans un cas comme celui-ci, la psychologue n’a pas l’obligation de tenir un dossier. Cependant, il pourrait être opportun qu’elle garde des traces afin de rendre compte du travail fait et, à ces égards, rien n’empêche la psychologue de noter la chronologie des interventions en définissant le motif de la demande et les services qu’elle a offerts à l’enseignante, tout en prenant soin d’éviter de nommer le ou les enfants impliqués.

Autorité parentale et parcours scolaire

Un parent autorise le psychologue scolaire à évaluer son enfant suspecté de présenter un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité. Le parent présent prétend que l’autre parent est injoignable depuis trois ans et n’est impliqué que de façon sporadique dans la vie de l’enfant, lorsqu’il refait surface. Aux dernières nouvelles, le parent absent travaillerait dans l’Ouest canadien. Vérifications faites, la commission scolaire n’a aucune coordonnée récente du parent absent. Le psychologue se demande s’il doit exiger que le parent absent donne son consentement avant d’entreprendre son mandat.

En règle générale, le consentement d’un seul parent suffit, parce qu’il y a présomption du consentement de l’autre parent. C’est comme quand un parent seul amène son enfant chez le dentiste ou chez le médecin. Toutefois, le psychologue peut avoir des motifs cliniques pour considérer important d’obtenir le consentement des deux parents (par exemple en raison de l’impact anticipé de l’intervention sur la relation de l’enfant avec l’un ou l’autre des parents, d’une situation de rupture conjugale conflictuelle, d’un risque d’aliénation parentale, etc.). Il se peut aussi que le psychologue doute que le parent absent soit injoignable ou qu’il soit même informé de la démarche entreprise par l’autre parent, ou encore qu’il ait vraiment consenti; par ailleurs, le psychologue sait que les deux parents sont en conflit, se disputent et ne voient pas de la même façon l’éducation et l’encadrement de leur enfant. Dans un tel cas, le psychologue doit prendre les moyens nécessaires pour obtenir le consentement libre et éclairé des deux parents. Il faut préciser que l’obligation, ici, est une obligation de moyens, non de résultats; si, de fait, le parent absent est injoignable, le psychologue fait état de ses démarches pour le joindre et procède ensuite.

Concrètement, si le parent absent est injoignable et que la commission scolaire n’a pas ses coordonnées, une note à cet effet sera inscrite au dossier expliquant que le parent présent déclare que l’autre est injoignable et les services pourront être offerts à l’enfant.

Si le psychologue a les coordonnées postales, téléphoniques ou encore l’adresse courriel de l’autre parent, il tentera d’entrer en communication avec lui, si tant est qu’il juge devoir faire lui-même une démarche auprès de chaque parent afin de s’assurer de bien les éclairer et d’obtenir le consentement explicite de chacun. Si ses tentatives de communication avec le parent absent sont vaines, il inscrira une note au dossier faisant état de ses démarches pour le joindre et interviendra ensuite auprès de l’enfant.

Si le parent absent réapparaît, le psychologue l’informera des services à rendre à son enfant et il verra à obtenir son consentement à la prestation de services. Si le parent oppose son refus en cours de prestation de service, le psychologue pourra tenter de lui expliquer l’importance de poursuivre ses interventions, mais devra interrompre le suivi si le parent maintient sa position de refus. Dans un cas comme dans l’autre, en situation où l’un des parents refuse de consentir aux services, il revient à l’autre parent de s’adresser au tribunal pour obtenir une ordonnance de services psychologiques, l’intérêt supérieur de l’enfant étant à établir.

Dossier scolaire et autonomie professionnelle

Une psychologue, nouvellement engagée, offre des services dans cinq écoles, dont trois d’entre elles ont des directives particulières qui soulèvent certaines interrogations.

La direction de la première école, sensible à l’efficacité des services, émet la directive suivante :

  • La clé du classeur des dossiers professionnels et son double doivent être en permanence dans le bureau du secrétariat de l’école pour pallier toute éventualité (congé, absence, congé de maternité, congé de maladie, etc.).

Il faut rappeler ici que l’art. 9 du Code de déontologie stipule que le psychologue prend les moyens raisonnables pour que toute personne qui collabore avec lui dans l’exercice de sa profession, ainsi que toute société au sein de laquelle il exerce sa profession, respecte ses obligations professionnelles. Dans ce cas-ci, cela signifie de faire état à l’instance qui a émis la directive, et possiblement à la direction des services complémentaires et à l’employeur, de ses obligations notamment en ce qui a trait à la confidentialité, à l’accès à l’information et à la tenue de dossiers. La psychologue pourrait, à ces égards, rapporter son obligation de conserver ses dossiers dans un meuble auquel le public n’a pas librement accès et fermé à clé, comme le stipule l’art. 7 du Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des psychologues, et préciser que, conséquemment, seuls les renseignements jugés pertinents et non préjudiciables pourront être versés au dossier d’aide particulière, sous réserve de disposer des consentements requis, le cas échéant. La psychologue garde donc la clé du classeur professionnel, mais peut suggérer, par exemple, que le double de cette clé soit placé dans une enveloppe cachetée, laquelle peut être déposée dans un classeur verrouillé, au secrétariat; ce double ne pourrait être utilisé que par un psychologue la remplaçant, si elle devait s’absenter subitement. Autrement, à la fin de son assignation, elle pourra remettre la clé et son double dans une nouvelle enveloppe cachetée dans le même classeur verrouillé, pour usage exclusif du psychologue nouvellement mandaté.

La direction de la deuxième école, désireuse de simplifier le travail des professionnels, émet la directive suivante :

  • Une copie intégrale de tout rapport psychologique devra désormais être versée au dossier d’aide particulière visant l’établissement des plans d’intervention pour les élèves le nécessitant.

Encore ici, il serait utile que la psychologue rappelle ses obligations en matière de confidentialité, d’accès à l’information et de consentement. Pour ce faire, elle pourrait s’appuyer sur le Cadre de pratique des psychologues exerçant en milieu scolaire, et expliquer qu’il est de son devoir de juger et de déterminer quels seront les renseignements utiles et nécessaires qui doivent être versés au dossier d’aide particulière, et ce, sous réserve d’obtenir le consentement libre et éclairé des parents. Il faut noter, par ailleurs, que la psychologue pourrait déposer une copie intégrale de son rapport psychologique à la condition d’avoir le consentement libre et éclairé des parents, étant entendu qu’il faut éviter de rendre disponible toute information préjudiciable. La psychologue pourrait, autrement, produire une note à verser au dossier ou encore un rapport faisant la synthèse des informations requises pour l’élaboration d’un plan d’intervention adapté aux élèves concernés.

La direction de la troisième école, une école de niveau secondaire, veut faire entrer son école dans l’ère 3.0 en émettant cette directive :

  • Établissement d’un système informatique qui informerait tous les intervenants de l’école des moments de consultation des élèves auprès des professionnels, et ce, pour une meilleure compréhension de leurs déplacements et de leurs absences aux cours.

En ce qui concerne le système informatique, il faudrait que le consentement aux services témoigne de ce traitement de l’information. Le défi serait d’évaluer si une telle mesure pourrait avoir pour effet de dissuader les adolescents de consulter un psychologue (situation de « frappe-à-la-porte ») alors qu’ils en sentiraient le besoin, mais qu’ils ne souhaiteraient pas que tous soient au courant de leur démarche. De fait, on peut s’interroger sur la pertinence que tous les membres du personnel aient la possibilité d’être informés de tous les déplacements de chaque élève dans l’école; les meilleures pratiques voudraient que la psychologue informe la direction de l’école et les personnes responsables des potentiels méfaits de leurs directives.

Bibliographie

  • Gouvernement du Québec. Code de déontologie des psychologues. L.R.Q., chapitre C-26, r-212.
  • Gouvernement du Québec. Loi sur l’instruction publique. L.R.Q., chapitre I-13.3.
  • Gouvernement du Québec. Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des psychologues. L.R.Q., chapitre C-26, r-221.
  • Ordre des psychologues du Québec (2003). La pratique des psychologues en milieu scolaire (partie 1). Fiche déontologique. Psychologie Québec, 4(3).
  • Ordre des psychologues du Québec (2003). La pratique des psychologues en milieu scolaire (partie 2). Fiche déontologique. Psychologie Québec, 4(4).
  • Ordre des psychologues du Québec (2007). Cadre de pratique des psychologues exerçant en milieu scolaire.