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Anne Robitaille, au service de l’État

Hélène de Billy | Rédactrice pigiste


Psychologue de formation, Anne Robitaille œuvre depuis 25 ans dans les réseaux de la santé et de l’éducation du gouvernement québécois. « Une expérience centrée sur l’écoute et les relations interpersonnelles prépare le psychologue aux défis du gestionnaire », observe-t-elle. 

Depuis la démission de son prédécesseur il y a un peu plus d’un an, Anne Robitaille occupe le poste de Commissaire à la santé et au bien-être au gouvernement du Québec, une fonction hautement stratégique au sein de l’administration publique. À ce titre, elle a le mandat d’évaluer la performance de notre système de santé, d’en faire rapport au ministre et de proposer les correctifs nécessaires. 

En 10 ans, le bureau du Commissaire a produit des études étoffées, parfois critiques, notamment sur la performance comparée des systèmes d’urgence, sur la qualité de l’hébergement des personnes âgées, sur le mode de rémunération des médecins, etc.

Appelée à dresser le bilan de cette institution mise sur pied pour jouer le rôle de chien de garde du système de santé, Mme Robitaille parle de l’introduction d’une culture de la performance au sein de l’appareil étatique, une culture basée sur l’examen de données précises et mise en place pour améliorer les services offerts à la population. 

On parle d’un projet innovant, en phase avec ce qui se fait ailleurs dans le monde. « On a développé une préoccupation : peut-on évaluer les services que l’on dispense ? Est-on en mesure de comparer notre panier de services à ce qui est offert ailleurs ? À partir de là, on s’applique à trouver les ratés du système et les façons de les corriger. Une portion importante du budget du Québec va à la santé.  La population est en droit de savoir si cela donne les résultats attendus. »

L’accès équitable à la psychothérapie 

Sur le terrain de la santé mentale, le Commissaire a proposé, étude à l’appui, l’accès gratuit à la psychothérapie. 

C’était en 2014. À l’époque, Mme  Robitaille, qui occupait le poste de directrice générale au sein de l’organisme, avait  dénoncé une médecine à deux vitesses qui pénalisait les plus vulnérables, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas d’assurances ou qui n’ont pas les moyens de payer le prix d’une psychothérapie. 

« Dans certains pays, comme l’Australie, il existe des programmes pour rendre la psychothérapie accessible. Or la mesure a généré là-bas des économies importantes pour le système de santé en matière de consommation de soins médicaux et de médicaments. Au Québec, il y aurait possibilité d’introduire de tels traitements dans le panier de services des Québécois. Les travaux sont en cours et toutes les évaluations vont dans le sens des recommandations du Commissaire. »

Alors que le gouvernement a déjà annoncé son intention d’abolir les fonctions du Commissaire, la fonctionnaire maintient sa position dans ce dossier : « Le rôle du Commissaire est de proposer des recommandations pour améliorer le système, en fonction des valeurs de la société. Or l’une des valeurs fondamentales de la société québécoise, c’est l’équité. »

Quant au modèle de la performance, il ne faut pas en faire un dogme, dit-elle. « Dans le domaine médical, les indicateurs sont précis. Ainsi, pour mesurer le taux de survie à un AVC après un mois, c’est relativement facile. Mais comment déterminer l’efficacité d’une intervention auprès d’un bébé de six mois ayant subi de la négligence parentale ? Quels sont nos critères pour conclure à une intervention réussie ? »

Une société participative

Ayant commencé sa carrière comme éducatrice spécialisée  auprès des élèves présentant des troubles graves de comportement, Mme Robitaille a toujours eu le goût du service public. « Aider les personnes n’est jamais ingrat. »

S’inscrivant en faux contre le cynisme ambiant, elle décrit un système public où les individus sont de bonne foi, où les travailleurs acceptent de se retrousser les manches. Cet esprit participatif, dit-elle, se retrouve dans l’ensemble de la société où les médias sociaux accentuent chez le citoyen la volonté de collaborer.

« Les gens ne se contentent plus de voter tous les quatre ans. Ils veulent s’impliquer. Comme commissaire, je le constate. Chaque fois que nous avons eu à mettre sur pied un comité de travail, les citoyens ont été au rendez-vous. »

Mais ses jours à la Commission sont comptés. Créé en 2006 afin d’évaluer l’efficacité des politiques et des programmes adoptés par le ministère de la Santé, l’organisme sera démantelé sous peu.

« Ce n’est pas mon choix, mais à partir du moment où le  gouvernement et son ministre de la Santé établissent leurs priorités, c’est mon rôle de soutenir sa décision. Je suis à la  disposition du service public. » 

Comme il est question de confier la mission du Commissaire à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESS), Mme Robitaille promet de se « positionner dans le sens de l’État » et de faciliter la transition. 

Comme un poisson dans l’eau

Née à Charlesbourg, dans la banlieue de Québec, Anne Robitaille a grandi au sein d’une famille traditionnelle, dans un milieu protégé, presque soustrait à la modernité. « Jusqu’à ce que j’entre au cégep dans les années 1980, je n’avais jamais rencontré quelqu’un dont les parents étaient divorcés. » 

Elle entreprend d’abord des études en journalisme. À Regina, où elle est embauchée par un journal fransaskois, elle gagne un premier prix dans la catégorie des reportages à caractère humain. « Je me suis toujours intéressée aux gens », explique- t-elle.

Elle obtient ensuite un baccalauréat, puis une maîtrise en psychologie à l’Université Laval. Psychologue clinicienne auprès des adolescentes dans un organisme privé, elle se heurte au problème de la transmission intergénérationnelle des pathologies de négligence. Elle entreprend alors des études doctorales à l’Université du Québec à Trois-Rivières dans l’espoir de trouver des solutions. « Comme intervenante, c’est normal de chercher à arrêter le cycle de la pauvreté, de la négligence, des abus. » 

D’une piste à l’autre, elle est amenée à considérer la situation dans son ensemble et, de là, elle fait le saut au gouvernement. Elle ne l’a jamais regretté. « Je me sens comme un poisson dans l’eau, dans la fonction publique. » 

Directrice de l’adaptation scolaire au ministère de l’Éducation quelques années plus tard, elle se retrouve au cœur de l’action. Certains jours, il faut se mettre en branle en toute hâte pour produire une fiche d’actualité à temps pour la période de questions à l’Assemblée nationale. « Tu lis le journal le matin et tu sais à quoi ressemblera ta journée. »

Mais au-delà de la variété des tâches qui lui ont été confiées durant sa carrière, elle voit devant elle « une grande patinoire » où elle a l’opportunité, comme commis de l’État, d’influencer les politiques et de proposer des solutions aux problèmes qui lui ont été soumis. « Et ça, c’est tout un challenge. »

Les qualités de la gestionnaire

Être psychologue a fait de Mme Robitaille une meilleure gestionnaire. C’est ce qu’elle affirme : « Ça m’a donné une longueur d’avance. » 

« Quand on est en intervention avec un client, quand on parle de transfert et de contre-transfert, quand on dépasse ses convictions personnelles pour aller chercher le meilleur chez son patient, ce sont des compétences de base qui sont essentielles lorsqu’on est au service de l’État. »

Prête à relever de nouveaux défis, Mme  Robitaille entend continuer à participer au grand chantier de la reconfiguration de l’État. « On est en pleine transformation. Il y a des embûches, mais il faut continuer à croire à ce qu’on fait. On gère les fonds publics. Il faut être passionné pour exercer ce métier, et je le suis. » 



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Hélène de Billy | Rédactrice pigiste