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Le traitement des cauchemars par la thérapie par répétition d’imagerie mentale (RIM)

Martin LauzierDre Mélanie Vendette, psychologue
Neuropsychologue et clinicienne, elle pratique au Centre d’études avancées en médecine du sommeil (CÉAMS) ainsi qu’au Département de santé physique de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.

 

Martin LauzierRégine Denesle
Titulaire d’une maîtrise en sciences biomédicales, psychothérapeute accréditée par l’Ordre des psychologues du Québec, elle est clinicienne au CÉAMS de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal et se spécialise dans le traitement des différents troubles du sommeil tels que l’insomnie chronique.
 

Martin LauzierAntonio Zadra
Titulaire d’un doctorat en psychologie (Ph. D., recherche) et professeur titulaire au Département de psychologie de l’Université de Montréal, il dirige le Laboratoire des rêves de l’Université de Montréal et se spécialise dans l’étude du contenu onirique et ses corrélats ainsi que l’évaluation et le traitement des parasomnies.


 


Les cauchemars sont des rêves répétés et longs, extrêmement dysphoriques, qui impliquent généralement des efforts pour éviter des menaces contre la survie, la sécurité ou l’intégrité physique. Ils surviennent habituellement pendant la deuxième partie de la principale période de sommeil. Lorsque le sujet s’éveille immédiatement après un rêve dysphorique, il est rapidement orienté et pleinement réveillé. Les cauchemars font émerger des émotions négatives dont le rêveur garde un souvenir clair (APA, 2013). La différence entre un cauchemar et un mauvais rêve réside dans le fait que le cauchemar réveille généralement le rêveur, qui présente à l’éveil de l’activation autonomique comme le cœur qui bat fort, le souffle court, de la sudation. Le mauvais rêve partage de nombreuses similitudes avec le cauchemar à l’exception de l’intensité des sensations physiques ou des émotions, qui ne devrait pas réveiller le sujet.

Les cauchemars sont à la base relativement bénins et, dans certains cas, peuvent même avoir une fonction adaptative sur le plan de la régulation psychologique ou émotionnelle (Nielsen et Levin, 2007). Toutefois, chez certaines personnes, la survenue des cauchemars peut provoquer une détresse psychologique significative et interférer sur la qualité de vie ainsi que sur le fonctionnement, surtout lorsque ceux-ci se manifestent de façon répétitive. On fait référence alors au trouble des cauchemars (« Nightmare disorder »; APA, 2013). Celui-ci peut se manifester de façon idiopathique, dont la prévalence estimée est de 4 à 8 % dans la population générale (Klink et Quan, 1987; Sandman et al., 2013). Le trouble des cauchemars est particulièrement prévalent chez les patients souffrant d’une maladie psychiatrique comme un trouble anxieux ou un trouble de stress post-traumatique (TSPT) – chez ces derniers, de 50 à 70 % des patients présenteraient un trouble des cauchemars (Spoormaker et Montgomery, 2008). De façon générale, les femmes souffriraient davantage d’un trouble des cauchemars que les hommes. Les cauchemars peuvent avoir un impact négatif sur la qualité du sommeil, les personnes affectées évitant le moment du coucher par appréhension de la venue d’un cauchemar ou vivant des difficultés de rendormissement post-cauchemar par crainte de retomber dans le contenu angoissant, avec comme conséquence une possible dette de sommeil. La privation de sommeil peut également provoquer ou exacerber une détresse psychologique, des psychopathologies telles que la dépression et l’anxiété, ainsi que le risque suicidaire (Nadorff et al., 2006).

Il existe des traitements pharmacologiques et non pharmacologiques recommandés pour aider à réduire la fréquence et l’intensité des cauchemars (Gieselmann et al., 2019). Parmi les traitements non pharmacologiques proposés, la thérapie par la répétition d’imagerie mentale (RIM) est la seule intervention ayant fait l’objet de recommandations de première ligne par l’American Association of Sleep Medicine (AASM) (Morgenthaler et al., 2018). Il s’agit d’une thérapie brève, très efficace, relativement facile à administrer et permettant d’offrir des outils cliniques aux personnes qui vivent de la détresse en raison de leurs cauchemars. Son efficacité a été démontrée chez différentes populations, y compris chez les victimes d’agression sexuelle, les militaires, les vétérans, les adultes avec ou sans diagnostic de TSPT ainsi que les populations atteintes de divers troubles mentaux (Yücel et al., 2020).

Outils d’évaluation du trouble des cauchemars
Avant de procéder à la thérapie des cauchemars par la RIM, il est important de s’assurer d’éliminer la présence d’un autre trouble du sommeil pouvant favoriser leur survenue, par exemple la présence d’un syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) ou encore de narcolepsie. De plus, le trouble des cauchemars peut être confondu avec d’autres troubles du sommeil tels le trouble comportemental en sommeil paradoxal, le somnambulisme ou encore les terreurs nocturnes. Il faut s’assurer également que le trouble des cauchemars n’est pas attribuable à l’effet physiologique d’une substance. En effet, l’usage de certains médicaments (antidépresseurs, bêtabloquants, antagonistes dopaminergiques, mélatonine) ainsi que le sevrage d’alcool, de benzodiazépines ou encore d’antidépresseurs peuvent engendrer des cauchemars (Pagel et Helfter, 2003).

Évidemment, dans ces cas l’approche thérapeutique indiquée sera différente. En cas de doute, il est recommandé de consulter les professionnels d’un centre d’expertise en troubles du sommeil. Une nuit d’enregistrement de sommeil (polysomnographie) permettra un diagnostic différentiel. Quelques questions cliniques de la part du thérapeute sont pertinentes, à savoir : le trouble se manifeste-t-il en début de nuit ou plutôt dans la dernière moitié de la période de sommeil? Les cauchemars ou mauvais rêves, tout comme les autres rêves, apparaissent généralement en deuxième partie de nuit, alors que les parasomnies de type somnambulisme et terreurs nocturnes surviennent en début de nuit. De plus, comme le corps est normalement paralysé pendant le sommeil paradoxal, il est pertinent de demander au patient si des mouvements sont associés au contenu de ses rêves. Dans l’affirmative, un trouble comportemental en sommeil paradoxal est suspecté et devrait être validé par une polysomnographie. Il est à souligner que la détresse associée aux cauchemars est un meilleur indicateur de la sévérité de ce trouble, ainsi que de ses corrélats psychopathologiques, que la fréquence d’apparition des cauchemars. Un des questionnaires les plus utilisés afin de mesurer le niveau de détresse associé aux cauchemars est le Nightmare Distress Questionnaire (Belicki, 2004).

Traitement des cauchemars par la thérapie par répétition d’imagerie mentale
Lorsqu’un trouble des cauchemars est confirmé, la thérapie par répétition d’imagerie mentale (RIM ou IRT pour « Image Rehearsal Therapy ») s’avère le traitement de choix. La RIM se fonde sur l’hypothèse selon laquelle les cauchemars sont reliés à un système d’imagerie onirique défectueux et qu’il est possible d’en modifier le contenu en le remplaçant par des contenus plus adaptés (des scénarios de rêves alternatifs). La RIM consiste en une restructuration cognitive destinée à remplacer le cauchemar par un rêve au contenu neutre ou agréable, qui s’incorpore à l’activité mentale du sommeil. La méthode s’applique en thérapie individuelle ou en groupe et se pratique sur un nombre de séances limité (en moyenne quatre séances), lesquelles sont destinées à faire de la psychoéducation sur le sommeil et les cauchemars et à permettre l’apprentissage de la technique. Son principe général est de remplacer les images et les émotions négatives du cauchemar par la répétition éveillée de nouvelles images amenant des émotions différentes qui ne seront pas dérangeantes.

L’application de la RIM est tout aussi efficace pour le traitement du trouble des cauchemars idiopathiques que lorsque les cauchemars sont associés à un TSPT (Casement et Swanson, 2012) et peut être adaptée aux enfants par l’entremise du dessin (Simard et Nielsen, 2009). Qui plus est, certaines études indiquent que l’utilisation de la RIM peut aussi engendrer une amélioration des symptômes diurnes reliés au TSPT (Gieselmann et al., 2019). Il existe quelques variantes dans l’application des protocoles de la RIM, notamment quant au nombre de sessions et aux modalités d’application. Les auteurs à l’origine de la RIM recommandent de partir d’un cauchemar, préférablement d’intensité moyenne, et d’en modifier simplement le scénario, sans se réexposer au cauchemar original (Krakow et al., 2001; Krakow et al., 1996). L’idée de base derrière la RIM est que la pratique répétée du nouveau rêve positif, imaginé à l’état d’éveil, entraînera une modification du contenu des cauchemars et de leur intensité.

Voici les étapes proposées pour procéder à la RIM :

Étape 1
Le lendemain matin de la survenue d’un cauchemar, écrire le cauchemar, à la première personne. Habituellement, on commence par un cauchemar perçu comme « le moins pire » pour faciliter l’entraînement à la méthode. Le récit du cauchemar est mis sous enveloppe cachetée qui sera remise au thérapeute lors de la rencontre clinique. Si le traitement est effectué en télépratique, le récit du cauchemar peut être envoyé au thérapeute par courriel et doit être détruit après l’envoi. Le récit du cauchemar n’est jamais répété ni évoqué, on doit éviter toute réexposition à son contenu.

Étape 2
Immédiatement après avoir fait le récit du cauchemar : écrire, inventer un nouveau rêve avec un contenu souhaité, dont le scénario est de courte durée (maximum cinq minutes de récit). Ce scénario inventé à l’éveil correspond soit à la modification du mauvais rêve initial, soit à un scénario sans aucun rapport (« À quoi j’aimerais rêver… »). On peut changer le cauchemar à sa guise en un rêve agréable. On l’écrit à la première personne du temps présent.

Étape 3
Entraîner la capacité d’imagerie mentale en répétant, pendant l’éveil, le nouveau rêve. Choisir un endroit sans distraction. En état de détente, imaginer le nouveau rêve : travailler le contexte sensoriel, les images, les sons, les émotions. À chaque répétition, essayer de recréer la netteté du nouveau scénario. Il est suggéré de répéter le rêve ainsi recréé deux fois par jour, dont une au coucher.

Travailler un seul cauchemar associé à son scénario révisé au cours d’une même semaine. Si, au cours de la semaine, un autre cauchemar se présente, ignorer ce nouveau cauchemar et poursuivre la pratique de la répétition (étape 2). Au bout d’une semaine de répétitions quotidiennes, les arrêter et reprendre la démarche de manière identique si un nouveau cauchemar survient (étapes 1 à 3). Chaque nouveau cauchemar est associé à un nouveau scénario révisé.

Si des cauchemars sont présents plus d’une fois par semaine depuis plus de trois mois et induisent de la détresse psychologique, il y a indication de traitement. La RIM constitue l’approche de choix pour la prise en charge de ce trouble. Il s’agit en quelque sorte d’une approche pour se réconcilier avec les rêves. Rêver est une liberté pour tous… profitons-en!
 

Bibliographie

American Psychiatric Association (APA). (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders. DSM‐V (5e édition). Arlington, VA : American Psychiatric Publishing.
Belicki, K. (1992). The relationship of nightmare frequency to nightmare suffering with implications for treatment and research. Dreaming, 2, 143-148.
Casement, M. et Swanson, L. (2012). Meta-analysis of IRT. Clinical Psychology Review, 32(6), 566-574.
Gieselmann, A., Ait Aoudia, M., Carr, M., Germain, A., Gorzka, R., Holzinger, B., Kleim, B., Krakow, B., Kunze, A. E., Lancee, J., Nadorff, M. R., Nielsen, T., Riemann, D., Sandahl, H., Schlarb, A. A., Schmid, C., Schredl, M., Spoormaker, V. I., Steil, R.,… Pietrowsky, R. (2019). Aetiology and treatment of nightmare disorder: State of the art and future perspectives. Journal of Sleep Research, 28(4), e12820. 
Klink, M. et Quan, S. (1987). Prevalence of reported sleep disturbances in a general adult population and their relationship to obstructive airways diseases. Chest, 91, 540-546.
Krakow, B., Kellner, R., Pathak, D. et Lambert, L. (1996). Long term reduction of nightmares with imagery rehearsal treatment. Behavioral Cognitive Psychotherapy, 24(2), 135-148.
Krakow, B., Hollifield, M., Johnston, L., Koss, M., Schrader, R., Warner, T. D., Tandberg, D., Lauriello, L., McBride, L., Cutchen, D., Cheng, S., Emmons, A., Germain, D., Melendrez, D., Sandoval, D. et Prince, H. (2001). Imagery rehearsal therapy for chronic nightmares in sexual assault survivors with posttraumatic stress disorder: A randomized controlled trial. JAMA, 286(5), 537-545.
Morgenthaler, T. I., Auerbach, S., Casey, K. R., Kirsto, D., Maganti, R., Ramar, K., Zak, R. et Kartje, R. (2018). Position paper for the treatment of nightmare disorder in adults: An American Academy of Sleep Medicine position paper. Journal of Clinical Sleep Medicine, 14(6), 1041-1055. 
Nadorff, M. R., Pearson, M. D. et Golding, S. (2016). Explaining the relation between nightmares and suicide. Journal of Clinical Sleep Medicine, 12(3), 289-290. 
Pagel, J. F. et Helfter, P. (2003). Drug induced nightmares: An etiology based review. Human Psychopharmacology, 18(1), 59-67.
Sandman, N., Valli, K., Kronholm, E., Ollila, H. M., Revonsuo, A., Laatikainen, T. et Paunio, T. (2013). Nightmares: Prevalence among the Finnish General Adult Population and War Veterans during 1972-2007. Sleep, 36(7), 1041-1050. 
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Spoormaker, V. I. et Montgomery, P. (2008). Disturbed sleep in post-traumatic stress disorder: Secondary symptom or core feature. Sleep Medicine Reviews, 12, 169-184.
Yücel, E. D., van Emmerik, A., Souama, C., et Lancee, J. (2020). Comparative efficacy of imagery rehearsal therapy and prazosin in the treatment of trauma-related nightmares in adults: A meta-analysis of randomized controlled trials. Sleep Medicine Reviews, 50, 101248.