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Le rôle de la communauté de pratique dans le processus de l’identité professionnelle

Dre Julie Prince-Dagenais, psychologue

Exerçant la psychothérapie et la psychologie légale, elle se spécialise en gestion du trauma ainsi qu’à l’élaboration et à l’évaluation de projets de prévention policiers.

 


Bien que les études universitaires en psychologie nous préparent à notre pratique, il n’y a pas de cours précis sur le chemin à emprunter pour devenir, et rester, un psychologue compétent (Vieira et al., 2020). Il s’agit pourtant d’un processus réflexif complexe qui, entrepris en début de parcours, peut non seulement participer à l’élaboration et à la consolidation de l’identité professionnelle, mais également aider à s’outiller et à mieux composer avec l’expérience émotionnelle parfois exigeante pouvant être vécue lors de ce développement (Rokach et Boulazreg, 2020). Dans cette perspective, la participation à des communautés de pratique, par exemple des groupes de discussion ou des associations professionnelles, apparaît utile au processus complexe de l’élaboration et de la consolidation de l’identité professionnelle (Falgares et al., 2017). Cet article présente ces deux concepts importants : l’identité professionnelle et les communautés de pratique. Dans ce texte, le rôle des communautés de pratique dans le développement et la consolidation de l’identité professionnelle est d’abord examiné. Les liens entre l’affirmation de l’identité professionnelle, la satisfaction professionnelle et l’efficacité thérapeutique sont ensuite explorés.

L’identité professionnelle reflète le cheminement académique et professionnel parcouru par le psychologue, les connaissances et les habiletés acquises, ainsi que les expériences de vie singulières qui font de chacun la personne unique qu’elle est et qu’elle incarne dans sa pratique (Castro, 2020 ; Tap et al., 2013). Cette identité professionnelle, en constante évolution et transformation, sera enrichie par les expériences personnelles et professionnelles, et notamment par la participation aux communautés de pratique. La toute première communauté de pratique soutenant l’élaboration de l’identité professionnelle du psychologue en développement se trouve, bien évidemment, dans le milieu universitaire que fréquente le doctorant en psychologie. Les professeurs, superviseurs de stage ou même collègues étudiants sont autant de sources de modèles, d’apprentissages et d’émulation pour celui ou celle visant à devenir psychologue. En début de parcours, ce sera en outre par l’acquisition de connaissances théoriques et cliniques, la participation aux stages et aux internats pratiques, d’éventuelles expériences de bénévolat et diverses explorations personnelles que le psychologue en devenir pourra élaborer une première esquisse de son identité professionnelle. Ces premiers apprentissages lui permettront également d’envisager à quoi ressembleront les devoirs et les responsabilités du psychologue qu’il aspire à devenir.

Entre ces premières représentations d’un métier choisi et parfois idéalisé et l’engagement dans la carrière qui sera la sienne, il vivra plusieurs expériences développementales qui lui permettront l’intégration de cette identité professionnelle. Qui plus est, le réseautage et la participation aux communautés de pratique semblent étroitement liés au développement de l’identité professionnelle du psychologue, et ce, en raison des possibilités et du soutien qu’ils peuvent lui apporter. Ainsi, les étudiants en psychologie peuvent tirer avantage d’un engagement au sein des communautés de pratique dès le début de leurs études.

Les communautés de pratique peuvent prendre diverses formes et se créer de différentes façons. D’ailleurs, les différents types de réseautage peuvent constituer les premiers jalons d’une communauté de pratique en devenir. Une communauté de pratique peut également réunir des professionnels qui ont des formations ou des allégeances théoriques hétérogènes, mais qui ont tous un point commun professionnel (Dameron et Josserand, 2007). Dans la mesure où ces communautés s’astreignent aux cadres et aux exigences propres aux règles éthiques et déontologiques de la profession (notamment le respect des règles de stricte confidentialité), elles permettent à leurs membres de participer à des échanges et à des discussions grâce auxquels ils sont en mesure de mettre à jour leurs connaissances, d’échanger des informations pratiques, de répondre à des questionnements de tous ordres, de bénéficier de consultations portant sur une problématique particulière, une discipline, une approche, une technique utilisée ou encore une clientèle spécifique (Chanier et Cartier, 2006).

Les réalités sociales contemporaines et l’évolution des modalités de communication ont par ailleurs permis aux communautés de pratique d’évoluer. En effet, on voit désormais de plus nombreuses communautés de pratique se réunir par l’entremise de plateformes Web. D’ailleurs, selon une étude, la réflexion participative à des communautés de pratique sur Internet ajouterait une plus- value à la formation de base et à la formation continue (Chanier et Cartier, 2006 ; Charlier et Henri, 2004). Bien qu’il soit important de souligner que les pays, provinces ou territoires représentés n’ont pas tous les mêmes lois ou codes éthiques, déontologiques et disciplinaires, le Web permet néanmoins d’enrichir les réflexions en ouvrant les discussions aux membres des communautés de pratique de diverses cultures à travers le monde (Chanier et Cartier, 2006 ; Charlier et Henri, 2004). Pendant la pandémie plus spécifiquement, les communautés de pratique ont en outre permis de comparer les meilleures pratiques en temps réel (Auxéméry et Tarquinio, 2020 ; Parent et al., 2020). En somme, tant dans les rencontres en ligne que dans celles ayant lieu en personne, les échanges entre professionnels de ces communautés peuvent favoriser les apprentissages vicariants, expérientiels, réflexifs en permettant l’échange de connaissances, de bonnes pratiques, d’expériences cliniques et de résultats de recherches.

Pour sa part, une identité professionnelle consolidée pourrait participer au bien-être psychologique des professionnels et, éventuellement, à leur efficacité auprès de leurs clients (Caza et Creary, 2016). Notons que l’identité professionnelle reflète une subjectivité complexe, soit celle du sujet et de sa réalité, à laquelle se juxtaposent celles de son milieu culturel et de son réseau social. Ainsi, le psychologue serait la somme de ce qu’il est, du milieu culturel que représente sa formation, et des communautés de pratique qu’il choisit et auxquelles il participe (Caza et Creary, 2016). De plus, l’appartenance à une communauté de pratique peut devenir une source de validation et de valorisation de l’identité du professionnel qui en est membre. En effet, par la rétroaction reçue de sa communauté, le professionnel peut développer une représentation plus juste de soi, des balises d’évaluation de sa compétence et de son niveau de développement par rapport aux membres de sa communauté. Ces expériences favorisent la consolidation de l’estime de soi de manière souple et juste, ce qui permettrait un développement continu optimal (Laframboise, 2015). Soulignons également que la valorisation de soi, l’estime de soi et la confiance en soi sont des facteurs de protection pour l’atteinte et la conservation du bien-être professionnel (Caza et Creary, 2016 ; Laframboise, 2015).

Depuis les deux dernières années, il est permis de croire que le contexte de la pandémie, qui a imposé des conditions de travail difficiles à nombre de psychologues, a accru le risque de fatigue de compassion et d’épuisement professionnel. Nous avançons l’hypothèse que dans ce contexte, les repères auxquels donnent accès les communautés de pratique aient pu contribuer à la préservation de l’estime de soi professionnelle, éviter la confusion sur le plan de l’identité professionnelle et peut-être même protéger certains d’une trop grande fatigue de compassion ou de l’épuisement professionnel.

Comme le souligne Castro (2020), l’identité professionnelle mérite d’être réfléchie et le rôle des communautés de pratique d’être mieux évalué. Les communautés de pratique s’avèrent de précieuses alliées pour aider étudiants et psychologues émergents à découvrir et à forger leur identité professionnelle, tout comme elles permettent aux psychologues plus expérimentés de préserver la leur. Ainsi, chacun gagne à aller à la rencontre de sa propre identité professionnelle, notamment par la réflexion, les expériences personnelles et professionnelles variées, la consultation ou encore la supervision. Cette rencontre de soi-même comme professionnel s’accomplit également au travers des parcours de vie et de l’engagement dans les communautés de pratique qui nous ressemblent. En prenant soin de bien définir qui il est, de mieux se connaître et de consolider son identité professionnelle, le psychologue prend mieux soin de lui et, par le fait même, de ses clients.
 

Bibliographie

Auxéméry, Y. et Tarquinio, C. (2020). Le confinement généralisé pendant l’épidémie de Coronavirus : conséquences médico-psychologiques en populations générales, soignantes, et de sujets souffrant antérieurement de troubles psychiques (Rétrospective concernant les répercussions des risques létaux de masse, modèles scientifiques du confinement collectif, premières observations cliniques, mise en place de contre-mesures et de stratégies thérapeutiques innovantes). Annales médico-psychologiques, revue psychiatrique, 178(7), 699-710.

Castro, D. (2020). Les voies de construction de l’identité professionnelle des psychologues. Une enquête nationale 15 ans après. Le Journal des psychologues, 377, 20-26.

Caza, B. B. et Creary, S. (2016). « The construction of professional identity », dans Perspectives on Contemporary Professional Work. Edward Elgar Publishing.

Chanier, T. et Cartier, J. (2006). Communauté d’apprentissage et communauté de pratique en ligne : le processus réflexif dans la formation des formateurs. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 3(3), 64-82.

Charlier, B. et Henri, F. (2004). Démarche d’évaluation, communauté de pratique et formation professionnelle. Schweizerische Zeitschrift für Bildungswissenschaften, 26(2), 285-304.

Dameron, S. et Josserand, E. (2007). Le développement d’une communauté de pratique. Revue française de gestion, (5), 131-148.

Falgares, G., Venza, G. et Guarnaccia, C. (2017). Learning psychology and becoming psychologists: Developing professional identity through group experiential learning. Psychology Learning and Teaching, 16(2), 232-247.

Laframboise, V. (2015). Tenue de dossiers en ergothérapie : recours à une communauté de pratique pour soutenir l’écriture (essai de maîtrise). Université du Québec à Trois-Rivières. https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/7716/1/031064832.pdf

Ordre des psychologues du Québec. (2008). Code de déontologie des psychologues. C-26 r, 148(001), Montréal, Québec.

Ordre des psychologues du Québec. (2019). La supervision. Balises de pratiques, réflexions éthiques et encadrement réglementaire. Repéré à : https://www.ordrepsy.qc.ca/c/document_library/get_file?uuid=04578ade-f5f1-4901-a982-7ab85e12835e&groupId=26707

Parent, A. A., Lee, E. O. J., Bergeron-Longpré, M., Bertrand-Deschênes, A., Morin, E. et Leon, A. (2020). Les défis de l’intervention sociale en contexte de deuil et de pandémie au Québec. Revue intervention, hors série, (1), 37-45.

Rokach, A. et Boulazreg, S. (2020). The road to becoming a psychologist: Indicators of success and hardship during the university years. Journal of Psychology, 154(8), 632-661.

Tap, P., Roudès, R. et Antunes, S. (2013). La dynamique personnelle et les identités professionnelles, en situation de changement. Les cahiers internationaux de psychologie sociale, (3), 385-407.

Vieira, E. M., Castelo Branco, P. C. et Ribeiro, G. D. P. D. (2020). Becoming an emergency psychologist: Alterity and presence in a comprehensive not-knowing relationship. Theory & Psychology, 30(5), 690-702.