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À propos de la divergence entre les aspects identitaires et comportementaux de la sexualité

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Un psychologue souhaite développer ses connaissances quant aux liens à faire entre la santé mentale de ses patients et certains aspects relatifs à leur sexualité.

Les études portant sur la sexualité humaine reconnaissent son caractère complexe et ses multiples facettes. Dans les écrits scientifiques, on trouve trois façons de conceptualiser, de définir et de mesurer la sexualité.

  1. La première dimension est celle de l’attirance, sexuelle ou romantique.
  2. La deuxième, celle de l’identité, à savoir comment un individu se définit ou se reconnaît dans une catégorie (hétérosexualité, homosexualité ou bisexualité)
  3. La troisième est celle du comportement, c’est-à-dire le choix d’un partenaire de même sexe ou de sexe opposé.

Pour bien considérer la complexité de la sexualité, et afin de ne pas mettre de côté toute une population de gens, il apparaît important de mener des études se penchant sur plus d’une dimension de la sexualité à la fois. L’étude de Mendelsohn et de ses collègues (2022) répond à cet objectif en procédant aux analyses secondaires de données rapportées par des adultes actifs sur le plan sexuel en étudiant à la fois les variables de l’identité et celles du comportement sexuel.

Les analyses considérant plus d’une dimension de la sexualité permettent de mettre en lumière certaines divergences lorsqu’au moins deux dimensions de la sexualité ne sont pas alignées. Par exemple, un homme dont l’identité est hétérosexuelle, mais dont le comportement est axé sur un choix de partenaire de même sexe, ou encore une femme dont l’identité est exclusivement homosexuelle, mais qui fait ressortir une attirance à la fois pour les partenaires de même sexe et de sexe opposé. On note alors un indice de divergence entre l’identité et le comportement sexuels (en anglais, on appelle cela l’identity-behavior discordance, qu’on abrégera ici en IBD).

Pour expliquer l’IBD, certaines théories évoquent l’hypothèse d’une homophobie internalisée ou d’hétérosexisme, c’est-à-dire que la personne adopterait des comportements contraires à son identité sexuelle en raison de certains préjugés, plus ou moins conscients. Par exemple, une personne à l’identité homosexuelle qui adopterait des comportements hétérosexuels en raison d’une homophobie plus ou moins avouée. D’autres évoquent simplement la possibilité d’une incapacité à se percevoir homosexuel malgré des comportements avec des partenaires de même sexe (ou l’inverse). L’IBD peut donc prendre différentes formes et la majorité des études portant sur ce thème s’avèrent qualitatives.

À partir de données rapportées par 116 950 adultes américains actifs sexuellement, l’étude de Mendelsohn et de ses collègues (2022) met en lumière la prévalence de l’IBD au sein de cette population en fonction du sexe et de l’âge des répondants, ainsi que la corrélation entre ces données et certains problèmes de santé physique et mentale. Une attention particulière est également portée à la population d’individus s’identifiant comme bisexuels, en tant que groupe unique. En effet, aucune divergence ne pourrait être révélée entre leur identité et leur comportement sexuels, puisque les comportements avec partenaires de même sexe ou de sexe opposé apparaissent alignés avec leur identité. Or, la réalité s’avère plus complexe étant donné qu’une proportion importante de ce groupe ressort comme étant affectée par des problèmes de santé physique et mentale, ce qui semble indiquer une forme unique de stigmatisation leur étant associée.

Les résultats de l’étude de Mendelsohn et de ses collègues font ressortir que la prévalence de l’IBD concernerait environ 0,5 % de la population, bien que ceci puisse être une sous-estimation de la réalité en raison de la période de temps considérée pour reconnaître toute divergence entre le comportement et l’identité sexuels (limitée à un an). À propos de la variable de l’âge, l’IBD semble être plus commun parmi les jeunes adultes, et pour ce qui est des différences entre les hommes et les femmes, l’IBD ressort en plus grande proportion chez les femmes. Ceci semble concordant avec les recherches portant sur la fluidité de la sexualité féminine. Cependant, on recense moins d’études portant sur la fluidité de la sexualité masculine, ce qui limite les conclusions pouvant être tirées à ce sujet.

La présente étude apporte une contribution unique en se penchant sur les aspects potentiellement négatifs de l’IBD, à savoir un lien corrélationnel avec une moindre santé physique et mentale (plus spécifiquement : davantage d’expression d’affects anxio-dépressifs et de comportements associés à un moindre fonctionnement). Une autre contribution unique de cette étude concerne les informations recueillies à propos de la population s’identifiant comme bisexuelle, à savoir qu’une plus grande proportion de cette population rapporte être aux prises avec des idéations suicidaires, soit 28 % des hommes et 38 % des femmes de cette catégorie. Ceci souligne la pertinence de poursuivre les recherches à propos des problèmes de santé associés à cette population tout en définissant des pistes d’intervention visant à s’attaquer à la problématique des idéations suicidaires. Une piste à explorer, selon les auteurs, serait l’idée que cette population se trouve à devoir dissimuler des aspects de sa sexualité et soit amenée à se sentir déconnectée des autres groupes, ne se sentant bienvenue ni dans la communauté des personnes hétérosexuelles ni dans les diverses communautés de minorités sexuelles.

En rappelant l’importance de porter une attention particulière à la manière de conceptualiser, définir, mesurer et discuter de la sexualité en contexte de recherche, l’étude de Mendelsohn et de ses collègues (2022) permet de déterminer la prévalence et de mieux comprendre la population de personnes présentant une divergence entre les aspects identitaires et comportementaux de leur sexualité.

Bibliographie