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Enjeux et défis professionnels du gérontopsychologue

Dre Laurence Villeneuve, psychologue
Elle exerce une pratique clinique dédiée aux personnes vieillissantes et s’implique activement pour la promotion et la valorisation de la gérontopsychologie au sein du Regroupement des psychologues en gérontologie. 

 

Jean Paul W. Tremblay, psychologue
Cofondateur du Regroupement des psychologues en gérontologie, psychologue retraité du réseau de la santé, il est aujourd’hui chargé de cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières, où il offre différents cours consacrés à la psychologie du vieillissement. 

 


Le contexte pandémique actuel a mis en lumière la situation de vie des aînés et a mis à rude épreuve leur bien-être. Le travail du psychologue auprès de cette population est encore méconnu et peu répandu. Son rôle consiste à soutenir les aînés et leurs proches au fil des transitions de leur vie dans le but d’améliorer leur bien-être (Reichstadt et al., 2010; Ryff et Marshall, 1999) et à maximiser leur potentiel de croissance au cours du vieillissement (Bowling, 2005; Carstensen, 2009). En plus de voir à évaluer et à traiter les enjeux liés à la santé mentale et les difficultés d’adaptation pouvant survenir dans leur parcours de vie, le gérontopsychologue est fréquemment appelé à travailler en collaboration avec le système entourant sa clientèle (cellule familiale, proche aidant, équipe de soins). Sa pratique professionnelle, bien que fort stimulante, amène son lot de défis. 

Au cours de sa pratique, le gérontopsychologue sera fréquemment appelé à définir et à préciser son rôle, et ce, autant au sein de son organisation professionnelle qu’auprès de sa clientèle. En effet, peu d’aînés consultent spontanément pour des problématiques liées à leur état psychologique, ce qui peut être le reflet de l’âgisme intégré (Iversen, Larsen et Solem, 2009). Une étude de Mackenzie et ses collaborateurs (2012) montre que les deux tiers des aînés présentant des problèmes d’anxiété ne demandent pas d’aide alors qu’une population plus jeune le fait davantage. Par exemple, une personne peut tenter de minimiser ou de normaliser des symptômes dépressifs dans un contexte de vieillissement normal (« Ça ne vaut pas la peine, c’est normal d’être triste à mon âge », « C’est trop tard, je ne peux pas changer »). Les aînés, souvent, vont davantage rapporter des problèmes de santé physique et consulter leur médecin. Les questions de santé mentale sont plus difficiles à détecter lorsqu’elles sont minimisées ou masquées derrière d’autres types de problèmes, ce qui peut constituer un enjeu clinique. Selon Blazer (2009), si la dépression majeure est moins fréquente chez les aînés en bonne santé (1 % à 5 %), elle est nettement plus élevée chez ceux nécessitant des soins médicaux (10 % à 15 %) ou recevant des soins de longue durée (14 % à 42 %). Cet état de fait souligne l’importance du travail de collaboration et de l’implication des proches, mais cela peut apporter son lot d’enjeux éthiques et déontologiques (confidentialité, information provenant de tiers, inaptitude, etc.).

Le gérontopsychologue est régulièrement amené à s’adapter aux demandes et aux exigences de son milieu de travail. Les mandats institutionnels sont parfois restrictifs, pour des questions budgétaires, et ne correspondent pas toujours au vécu et aux besoins particuliers de la clientèle. Par exemple, en réadaptation de la surdité, le mandat du psychologue est de traiter uniquement les difficultés psychologiques associées à l’adaptation à la surdité. Que faire lorsque le patient parle à son thérapeute de l’incidence du deuil de son conjoint ou de la perte de son animal de compagnie et que cela précipite chez lui une détresse importante? Cliniquement, le fait d’aborder cet aspect peut sembler pertinent, mais il revient au psychologue de l’articuler dans le plan d’intervention et le suivi à l’intérieur des mandats cliniques que lui confère l’organisation. Le psychologue doit alors être créatif afin d’arrimer les deux pour offrir une prestation de services qui répondra aux besoins des deux parties.

De plus, en raison du travail multidisciplinaire et du chevauchement existant entre certaines professions, le gérontopsychologue est fréquemment appelé à justifier la singularité de son champ d’expertise. Par exemple, il n’est pas rare de trouver une description de poste faite pour un psychologue et une autre pour un psychoéducateur, et ce, pour le même emploi. Cela s’explique à la fois par une méconnaissance de leur rôle distinctif et par les difficultés de recrutement. Celas difficultés peuvent contribuer à la pénurie de main-d’œuvre en santé mentale en gériatrie et ajouter à la pression que ressent le gérontopsychologue pour prendre davantage de clients ou assurer un suivi à plus long terme, puisqu’il lui est souvent difficile de référer un client à un pair lorsqu’un de ses patients change de milieu de soins. Ceci peut entraîner en sentiment d’épuisement, mais également accroître le sentiment d’obligation de performance du gérontopsychologue face à la rémission du client.

Lorsque des services en santé mentale sont disponibles, les délais d’accès constituent un autre enjeu pour la clientèle et le psychologue. La clientèle avance en âge et aurait besoin de services immédiats. Certains psychologues membres du Regroupement des psychologues en gérontologie rapportent que leur délai d’attente avant de pouvoir accueillir un nouveau patient peut varier de quelques semaines à plusieurs mois, voire à près d’une année. Cette situation peut entraîner un sentiment d’impuissance chez le psychologue et ajouter à son fardeau.

La mortalité constitue un autre enjeu auquel le gérontopsychologue peut être confronté. Pensons à la pandémie actuelle : plusieurs d’entre nous ont été amenés à soutenir des aînés, leurs proches et les équipes de soins dans un contexte sanitaire difficile et où le taux de mortalité était élevé chez cette clientèle. Le psychologue, tout comme les autres membres des équipes de soins, est appelé à réaliser un travail de deuil face à sa clientèle.

Enfin, l’inclusion sociale des aînés devrait être mieux définie. Nous sommes à un tournant historique où la population vieillissante prend une place démographique importante, et le gérontopsychologue doit régulièrement rappeler que l’aîné a encore la capacité de croître et de contribuer à notre société. Malgré les enjeux inhérents à son champ d’expertise, le travail du psychologue auprès des aînés est fort stimulant et pertinent.

 

Bibliographie

Blazer, D. G. (2009). Depression in late life: Review and commentary. Focus: The Journal of Life Long Learning in Psychiatry, 7, 118-136.

Bowling, A. (2005). Ageing Well. Open University Press.

Carstensen, L. L. (2009). A Long Bright Future: An action plan for a lifetime of happiness, health, and financial security. Broadway Books. 

Iversen, T. N., Larsen, L. et Solem, P. E. (2009). A conceptual analysis of ageism. Nordic Psychology, 61(3), 4-22. doi:10.1027/1901-2276.61.3.4

Mackenzie, C. S., Reynolds, K., Cairney, J., Streiner, D. L. et Sareen, J. (2012). Disorder-specific mental health service use for mood and anxiety disorders: Association with age, sex, and psychiatric comorbidity. Depression and Anxiety, 29, 234-242. doi:10.1002/da20911

Reichstadt, J., Sengupta, G., Depp, C. A., Palinkas, L. A. et Jeste, D. V. (2010). Older adults’ perspectives on successful aging: Qualitative interviews. American Journal of Geriatric Psychiatry, 18(7), 567-575. doi: 10.1097/jgp.0b013e3181e040bb.

Ryff, C. D. et Marshall, V. W. (1999). The Self and Society in Aging Processes. Springer Publishing Company.