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EXCLUSIVITÉ WEB | La psychoéducation pour les proches : une intervention basée sur les données probantes

Philip Thérien | Psychologue

Le Dr Thérien est psychologue en pratique privée à Montréal. Il s’intéresse aux proches de personnes atteintes de troubles de santé mentale en offrant des services de psychothérapie individuelle, des groupes de psychoéducation et de la supervision professionnelle.


Il a été démontré que les interventions familiales de psychoéducation sont parmi les traitements psychosociaux (incluant la thérapie cognitive-comportementale pour la psychose) les plus établis et efficaces pour les troubles de santé mentale graves et persistants (Dixon et coll., 2010; NICE, 2014; McFarlane, 2016a). Ces interventions utilisent pour la plupart une approche psychoéducative avec un cadre de consultation pour la résolution de problème tout en offrant un soutien émotionnel continu (McFarlane, 2016b). Malgré l’existence de nombreux modules validés, peu sont diffusés au Québec (Leclerc et Thérien, 2012) et les proches demeurent souvent démunis et impuissants devant le trouble dont est atteint un membre de leur famille. 

Les besoins psychologiques des parents et des proches

Le début d’un trouble psychotique chez un proche est un événement déstabilisant et traumatisant pour tous les membres de la famille. Les proches se retrouvent souvent impuissants quant aux symptômes, souvent graves, qui accablent la personne atteinte. De surcroît, la personne atteinte d’un trouble psychotique adopte parfois des comportements nocifs pour sa santé (p. ex. la toxicomanie, le tabagisme excessif, l’inversion des cycles du sommeil), ce qui entraîne chez ses proches de la colère et de la frustration qui peuvent être difficiles à réguler. Plusieurs proches ressentent aussi de la culpabilité : des parents se blâmeront pour le trouble de leur jeune, et ce, même si certains connaissent les causes complexes de la psychose et des troubles mentaux. De plus, les familles ressentent une stigmatisation liée aux troubles mentaux, accompagnée d’un sentiment de honte et de comportements d’isolement social. 

La maladie mentale ne vient pas avec un mode d’emploi, et la persistance des symptômes chez plusieurs personnes atteintes mène bien des parents à un sentiment d’échec. C’est une des raisons pour lesquelles les interventions de groupe sont considérées comme plus efficaces pour les proches (McFarlane, 2016b). Elles offrent un soutien social et émotionnel et génèrent de l’espoir et un sentiment de normalisation. En effet, en groupe, les proches réalisent que d’autres gens vivent des expériences similaires et se sentent ainsi moins seuls et incompris. 

La meilleure arme contre l’impuissance est la connaissance. Les parents cherchent à mieux comprendre les troubles mentaux, à connaître les meilleures pratiques de traitement et les possibilités de rétablissement, et à savoir comment agir avec leur proche. Un des risques que plusieurs parents rencontrent est le surmenage : à force de tout faire pour aider leur jeune, ils s’épuisent physiquement et mentalement. Le défi pour le psychologue devient de soutenir le parent dans son désir d’être présent pour son jeune tout en l’aidant à déterminer des limites personnelles afin de maintenir sa propre santé mentale. Ceci peut s’effectuer par le biais de la psychoéducation, par exemple, pour amener le parent à réaliser que, s’il se retrouve lui-même avec de grandes difficultés, il ne pourra pas aider son enfant. 

Des explications claires et simples peuvent grandement aider les proches à mieux comprendre leur situation. Par exemple, de l’information sur le système diagnostique (DSM-5) et sur les symptômes de la schizophrénie peuvent contribuer à une meilleure compréhension, chez le parent, des raisons pour lesquelles les psychiatres semblent reporter un diagnostic de schizophrénie dans le cas de son enfant (il faut compter six mois de dysfonction et il faut exclure toute autre cause avant d’établir un diagnostic de schizophrénie). Une bonne information peut également aider les familles à faire la part des choses entre les symptômes négatifs, les effets secondaires des médicaments et la personnalité de la personne atteinte (la « paresse » apparente peut en fait être un symptôme négatif d’amotivation ou d’anhédonie [perte de capacité à ressentir des émotions positives]). Ces clarifications aident les familles à intervenir de manière plus empathique et diminuent les frustrations. 

De plus, les familles sont souvent perdues dans les méandres du système de santé mentale au Québec. Une référence à un organisme communautaire comme la Fédération des familles et amis de la personne atteinte d’une maladie mentale (FFAPAMM) peut être pertinente pour les soutenir dans leur cheminement au sein du système de santé mentale et pour les aider à mieux comprendre les procédés légaux, comme l’hospitalisation contre le gré de la personne atteinte. 

Les règles de déontologie relatives à la confidentialité suscitent de nombreux questionnements et sont souvent incomprises par la famille, qui veut être mieux informée et participer au traitement. Les lois qui encadrent l’hospitalisation contre le gré de la personne sont une autre source de frustration pour l’entourage qui est confronté à la difficulté de voir son proche s’enfoncer dans la psychose avec anosognosie (manque de conscience par rapport à la maladie; Amador, 2007). Nous avons fait des choix de société pour protéger la liberté des individus contre des traitements non désirés. Ces décisions ont des avantages et des inconvénients, mais elles sont mises à l’épreuve lorsque les conséquences du trouble psychotique empêchent la personne de bien comprendre les conséquences de son refus de traitement. Il est important pour les intervenants qui font face à ces situations difficiles de bien expliquer la logique de ces règles et de réagir avec empathie à la frustration des proches et à leur désir d’aider le membre de leur famille atteint. 

Les interventions basées sur les données probantes

Les interventions familiales psychoéducatives pour les proches de personnes atteintes d’un trouble psychotique sont des traitements basés sur des données probantes (APA, 2004; Dixon et coll., 2010; NICE, 2014; McFarlane, 2016b). Elles ont un impact positif sur les résultats thérapeutiques des personnes atteintes – elles diminuent le taux de rechutes psychotiques – ainsi que sur leur qualité de vie. De plus, plusieurs études démontrent des bienfaits pour les proches qui participent à ces groupes (Dixon et coll., 2010; Sin et Norman, 2013; NICE, 2014; McFarlane, 2016a). Il peut être encourageant pour les proches de savoir qu’en s’aidant eux-mêmes ils sont susceptibles d’augmenter non seulement leur propre qualité de vie, mais aussi celle de leur proche, tout en diminuant les symptômes de ce dernier. 

Deakins et McFarlane (2012) mentionnent les ingrédients suivants comme étant nécessaires pour un groupe de psychoéducation familiale basée sur les données probantes :

  • une période d’engagement empathique;
  • de l’éducation sur le trouble mental, incluant des balises pour des manières d’intervenir auprès de leur proche;
  • un soutien continu;
  • des ressources cliniques pour les périodes de crise;
  • la facilitation du réseau social;
  • la résolution de problèmes et l’entraînement aux habiletés de communication;
  • une durée minimale de neuf mois. 

Parmi les modules validés empiriquement, peu ont été traduits en français et sont disponibles au Québec. Le module AVEC (accompagner, valider, échanger et comprendre), développé par Claude Leclerc et Tania Lecomte, présente plusieurs des éléments d’une intervention multifamille psychoéducative basée sur des données empiriques (Leclerc et Lecomte, 2012). L’intervention vise à offrir à la fois un savoir formel, en offrant de l’information sur le rétablissement, sur les fluctuations des symptômes, sur le rôle du proche-aidant, ainsi qu’en présentant des stratégies issues de la thérapie cognitive-comportementale (TCC) pour mieux intervenir auprès de la personne atteinte. AVEC cible aussi le savoir expérientiel, en permettant aux parents et proches d’appliquer à leur propre vie les techniques de la TCC et, par exemple, les concepts liés au stress. De plus, l’intervention vise le savoir-faire, en offrant aux proches des outils et des conseils pour améliorer leur relation et leur communication avec leur jeune. Une étude récente auprès de 40 parents a démontré que les parents qui reçoivent cette intervention voyaient leur détresse psychologique diminuer de manière cliniquement significative (Leclerc et Lecomte, 2012).

Les ressources de psychoéducation disponibles au Québec

Plusieurs ressources sont disponibles au Québec pour les proches de personnes atteintes de troubles de santé mentale sévères et persistants. Malgré le manque de programmes répondant à tous les critères d’un traitement validé empiriquement au Québec (Leclerc et Thérien, 2012), il est néanmoins possible pour les familles de trouver, parmi l’offre de services disponible, une réponse à leurs besoins. 

Premièrement, il est recommandé de participer aux séances psychoéducatives souvent offertes à la suite d’une première hospitalisation pour un trouble psychotique. Il y a par exemple le programme Jeunes adultes psychotiques (JAP) au CHUM Notre-Dame, chapeauté par la Dre Amal Abdel-Baki. Cette équipe offre une journée intensive de psychoéducation sur la psychose, les causes de la maladie, l’importance du traitement précoce, les procédés juridiques, etc. 

Une autre ressource utile en début de psychose est la présence d’un pair aidant famille disponible sur place dans certains hôpitaux spécialisés. Ce pair aidant est en fait un parent dont le jeune a un trouble psychotique et qui offre du soutien aux familles lors de l’hospitalisation de leur proche et leur propose un service d’information et de référence. Il s’agit d’un projet-pilote de la Société québécoise de la schizophrénie (SQS) à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Il peut aussi être souhaitable pour certains de se joindre à un groupe de soutien continu offert par un organisme communautaire afin de développer un réseau social, de normaliser l’expérience, d’exprimer ses émotions, de comprendre l’évolution du trouble et de soutenir l’espoir. Plusieurs organismes communautaires offrent ce genre de groupe, comme la SQS ou d’autres organisations de la FFAPAMM. 

Alors que les symptômes de la personne atteinte d’un trouble psychotique se poursuivent, il peut devenir pertinent pour les parents de participer à un groupe de psychoéducation qui utilise des éléments cognitifs-comportementaux, ce qui permet entre autres d’aborder la résolution de problèmes persistants qui ne sont pas bien gérés par les médicaments, comme les symptômes résiduels, les symptômes négatifs, la consommation ou la stigmatisation. Le module de thérapie de groupe AVEC, offert dans plusieurs cliniques, ou le groupe de psychoéducation TCC offert par la SQS en sont des exemples. 

Finalement, une consultation en psychothérapie spécialisée individuelle ou familiale peut permettre aux proches aux prises avec des situations particulièrement complexes de surmonter de nombreuses impasses. Il y a un certain travail émotionnel qui se fait mieux dans le cadre d’une relation thérapeutique de confiance. Cette validation permet d’ouvrir vers plus d’acceptation, ce qui implique parfois un certain détachement approprié. Des deuils, qui étaient jusque-là non résolus, deviennent envisageables. On peut aborder des stratégies de communication plus avancées pour aider le parent à se sortir d’impasses parfois présentes depuis des années. 

Conclusion

Depuis l’avènement de la désinstitutionnalisation, les familles sont devenues les pourvoyeurs primaires des soins des personnes atteintes de troubles mentaux tels que les troubles psychotiques. Le fardeau émotionnel et matériel des proches est bien établi (Leclerc et Thérien, 2012; Zhou et coll., 2016). La psychoéducation familiale est recommandée pour augmenter la qualité de vie des familles et des personnes atteintes. Les psychologues ont un rôle important à jouer dans l’éducation des proches de personnes atteintes. Il demeure essentiel pour les cliniciens de se tenir au courant des informations pertinentes dans le domaine et de guider les gens, au besoin, vers des services plus spécialisés. 

 

Lectures utiles

Amador, X. (2007). Comment faire accepter son traitement au malade (2e éd.). Paris : Retz.

Mueser, K. T., et Gingerich, S. (2006). The Complete Family Guide to Schizophrenia. New York : Guilford Press. 

 

Bibliographie

Amador, X. (2007). I’m Not Sick I Don’t Need Help (2e éd.). New York : Vida Press. 

American Psychological Association. (2004). Training Grid Outlining Best Practices for Recovery and Improved Outcome for People with Serious Mental Illness.

Deakins, S. M., et McFarlane, W. (2012). Integrated Family Psycho-Education: Helping Families Help Their Loved Ones Recover. Dans H. L. McQuistion, W. E. Sowers, J. M. Ranz et J. M. Feldman (dir.). Handbook of Community Psychiatry (p. 339-345). New York : Springer. 

Dixon, L. B., Dickerson, F., Bellack, A. S., Bennett, M., Dickinson, D., Goldberg, R., et Kreyenbuhl, J. (2010). The 2009 Schizophrenia PORT Psychosocial Treatment Recommendations and Summary Statements. Schizophrenia Bulletin, 36(1), 48-70.

Leclerc, C., et Thérien, P. (2012). Les interventions destinées aux proches des personnes souffrant de troubles mentaux. Dans C. Leclerc et T. Lecomte (dir.). Manuel de réadaptation psychiatrique (2e éd., p. 209-224). Presses de l’Université du Québec. 

Leclerc, C., et Lecomte, T. (2012). TCC pour premiers épisodes de psychose : pourquoi la thérapie de groupe obtient les meilleurs résultats? Journal de thérapie comportementale et cognitive, 22, 104-110.

McFarlane, W. (2016a). Family Psychoeducation for Severe Mental Illness. Dans T. L. Sexton et J. Lebow (dir.). Handbook of Family Therapy (p. 305-325). New York : Routledge/Taylor & Francis Group. 

McFarlane, W. (2016b). Family Interventions for Schizophrenia and the Psychoses: A Review. Family Process, 55(3), 460-482. 

Newman, A., Burbach, F. et Reibstein, J. (2013). How therapists discuss causality with families in an integrated family management and therapy service, a qualitative study with focus groups. Contemporary Family Therapy, 35, 437-451. 

NICE. (2014). Psychosis and schizophrenia in adults: treatment and management. London : NICE. Repéré à https://www.nice.org.uk/guidance/cg178/chapter/1-Recommendations#care-across-all-phases 

Sin, J., et Norman, I. (2013). Psychoeducational interventions for family members of people with schizophrenia: a mixed-methods systematic review. The Journal of Clinical Psychiatry, 74(12), 1145-1162.

Zhou, Y., Rosenheck, R., Mohamed, S., Ou, Y., Ning, Y., et He, H. (2016). Comparison of burden among family members of patients diagnosed with schizophrenia and bipolar disorder in a large acute psychiatric hospital in China. BMC Psychiatry, 16(283), 100-110.