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EXCLUSIVITÉ WEB | L’homme des Premières Nations et la psychothérapie

Charles Châteauneuf | Psychologue 

Charles Châteauneuf est détenteur d’une maîtrise en psychologie de l’Université Laval. Son champ de pratique a toujours compris deux volets, soit la psychologie communautaire et la psychologie clinique en pratique privée. Il a œuvré à Drummondville, à Montréal et depuis 10 ans à Ekuanitshit, une semaine par mois, tout en maintenant son bureau de pratique privée à Drummondville. En plus de plusieurs ressources d’aide pour les jeunes implantées à Drummondville via le travail de coordination d’une table de concertation des services d’aide à la jeunesse (TCSAJ), M. Châteauneuf a occupé les fonctions d’attaché politique et de conseiller au cabinet du Conseil du trésor, auprès du ministre Michel Clair, alors responsable de l’Année internationale de la jeunesse (1985). M. Châteauneuf a également été élu responsable régional au Bureau de l’Ordre durant un mandat. Il a également occupé des fonctions de syndic adjoint durant quatre ans ainsi que d’inspecteur par la suite sur une courte période.


Le présent document se veut une réflexion sur le travail de psychothérapie auprès d’hommes des Premières Nations. Il existe plusieurs programmes d’intervention mis en place dans des organismes d’aide aux hommes des Premières Nations qui visent la consommation, la violence ou la criminalité. Ces programmes incluent des séjours de moyenne ou longue durée en institution ou en milieu naturel, dans une démarche de groupe ou individuelle. Aucune étude ne semble cependant avoir approfondi les spécificités du processus clinique en psychothérapie auprès des hommes des Premières Nations. La présente réflexion tente de cerner quelques aspects de cette spécificité.

Plusieurs communautés des Premières Nations reçoivent des services de psychothérapie en regard des diverses problématiques et difficultés vécues par plusieurs de leurs membres. Les hommes représentent cependant ceux de la communauté qui utilisent le moins les services de psychothérapie, alors que l’état de détresse est important chez plusieurs. Les rejoindre et les amener à consulter demeure un immense défi. Le bien-être de l’homme fait partie des améliorations nécessaires au mieux-être de la communauté, d’où la nécessité d’agir auprès de lui. L’homme fait partie du problème comme de la solution et il ne doit aucunement être négligé dans la recherche du mieux-être d’une communauté, alors que les ressources et les activités qui s’adressent à lui sont, au contraire, peu nombreuses.

Depuis 10 ans je me rends, une semaine par mois, dans la communauté innue de Ekuanitshit (Mingan), sur la Côte-Nord, face aux îles de Mingan et à l’île d’Anticosti. Les Innus y sont une communauté d’environ 600 personnes. Le territoire ancestral « Nitassinan » de la nation innue couvre un très vaste territoire, dont la portion québécoise va du Lac-Saint-Jean jusqu’au Labrador et est bordée par le fleuve, incluant l’île d’Anticosti. Sur ce vaste territoire vivent neuf communautés innues totalisant 19 995 personnes, selon des données de 2015. Cette population est plus importante en 2018, en regard du taux de naissance élevé chez les Premières Nations.

Pour connaître et comprendre l’homme autochtone, il est nécessaire de tenir compte de son territoire, de sa culture et de ses traditions. L’homme des Premières Nations a vécu des relations avec l’étranger qui ont laissé des marques de méfiance et des mécanismes de protection. L’homme blanc intervenant dans une communauté autochtone doit faire preuve de respect, d’humilité et d’une contribution réelle qui sera toujours évaluée par la communauté. Le moindre manquement conduit au rejet par la communauté dans un mécanisme essentiel de protection. L’homme blanc a trop souvent déçu, présentant un regard critique et de jugement.

Chez les Premières Nations, l’homme et la femme occupent des places différentes dans l’organisation et le fonctionnement de la communauté. Par ailleurs, chacun est d’importance égale et peut intervenir et faire connaître son opinion, soit par les moyens traditionnels ou via les réseaux sociaux. Chaque communauté est une trame d’individus interreliés par des liens de sang et par une histoire commune amplement partagée. Comme dans toutes les communautés humaines, il y existe également des familles et des individus qui sont en marge et qui vivent surtout reclus, se retrouvant habituellement plus démunis.

L’enfant des Premières Nations est fréquemment élevé par la grand-mère ou même l’arrière-grand-mère, maternelle ou paternelle. Le lien matriarcal y est très important. L’adoption traditionnelle, par laquelle un enfant est élevé par une autre femme du cercle familial élargi, demeure très présente, les parents biologiques conservant par ailleurs un contact épisodique plus ou moins rapproché. Le lien d’attachement est ainsi partagé entre plusieurs personnes et renforce d’autant la filiation de l’enfant à toute sa communauté d’appartenance. La perte d’un membre du cercle familial est ainsi vécue comme la perte d’une partie de soi-même. Le deuil est toujours intense, déchirant, la personne décédée demeurant toujours signifiante et partie de la mémoire collective, souvent évoquée lors de périodes difficiles sur le plan personnel.

Grandissant dans ce contexte, l’homme autochtone est d’une grande sensibilité, très soucieux de son lien avec la communauté et devant préserver son image de force et de fierté, demeurant droit comme un arbre face aux épreuves, n’affichant jamais sa faiblesse ou ses doutes. Dans la tradition, c’est lui qui dirige la famille sur le territoire ancestral, chassant et trappant, protégeant et défendant chacun. Il hésitera à confier ses faiblesses, ses émotions et ses blessures, principalement vis-à-vis de la femme, aux yeux de laquelle il doit paraître fort, solide. L’individu blessé sur le plan intrapsychique a surtout tendance à s’isoler ou à chercher l’évasion dans la consommation de drogues et d’alcool, engendrant une désorganisation comportementale souvent problématique.

Les problématiques, souffrances, désarrois, blessures se vivent ainsi fréquemment dans un tourment intérieur non exprimé, non verbalisé, enfoui sous un bouclier par la tradition du chasseur nomade qui doit souffrir et subir en silence et, surtout, qui ne doit rien laisser paraître de sa fragilité. L’homme autochtone aura plus de facilité à se révéler à un autre homme qu’à la femme, celle-ci occupant dans la tradition d’autres lieux de pouvoir, parallèles aux hommes.

Contrairement aux femmes, qui font plusieurs activités en groupe, l’homme des Premières Nations en vit rarement. Il est surtout individualiste et fier de son autonomie, chacun centré sur son activité individuelle. L’adolescence et le jeune âge adulte sont cependant l’occasion de rencontres de groupe pour la fête, le plaisir et aussi la consommation, souvent problématique. Rejoindre les hommes pour leur offrir des services d’aide ou de psychothérapie devient donc difficile. 

Pour l’homme des Premières Nations, consulter en psychothérapie ne lui est pas naturel, et lorsqu’il s’y résout, c’est dans le besoin de se raconter, de partager, de se sentir accueilli dans ce qu’il vit, sa souffrance, son désarroi, ses remords. Les problématiques vécues concernent souvent, mais pas exclusivement, le deuil, la séparation, la jalousie, la violence, la consommation, les idées et comportements suicidaires. Il ne cherche pas de solutions de la part de celui qui l’accueille et l’écoute, mais, dans le partage, il veut lui-même arriver à cerner ses choix de vie, le chemin qu’il doit suivre. Par ailleurs, pour l’homme des Premières Nations, il est essentiel que la fierté de soi soit préservée, non pas dans l’orgueil, mais dans la fierté d’être membre du cercle familial ainsi que du cercle de la communauté. À l’intérieur du travail clinique, l’homme a aussi besoin de se rappeler ses réalisations concrètes (camp, chasse, pêche) ainsi que ses réussites sociales (famille, emploi, études, engagements).

En tant que clinicien en psychothérapie individuelle auprès de l’homme des Premières Nations, j’utilise l’approche systémique ainsi que l’approche cognitivo-comportementale, en y incluant également des outils de la gestalt, de la programmation neurolinguistique et de l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR), selon les problématiques rencontrées. En complémentarité, une collaboration peut également se faire avec les porteurs de traditions de guérison dans la communauté offrant les rites de purification, les cercles de partage, la tente de sudation, les ressourcements en forêt, etc.

Accompagner l’homme des Premières Nations dans sa quête d’un mieux-être ne peut s’accomplir selon les modèles conventionnels utilisés chez l’homme blanc. Par exemple, l’agenda et l’horaire des rendez-vous sont rarement respectés par la personne, celle-ci pouvant être partie ailleurs ou ne pas se présenter par oubli ou à la suite d’une contrainte quelconque. Il est alors nécessaire de contacter la personne la veille pour lui rappeler son rendez-vous, sinon la journée même et, quelquefois, au début de l’heure prévue, si elle a oublié.

Ainsi, le simple fait de rejoindre l’homme des Premières Nations est ardu, créer le lien de confiance prend du temps, et favoriser l’ouverture à la détresse et aux souffrances demande du respect ainsi qu’une grande et sincère humilité de la part de l’intervenant. Les outils d’intervention se doivent d’être multiples et respectueux des traditions, le temps n’ayant aucune importance, les signes et la symbolique sous toutes leurs formes prenant par ailleurs une place centrale.

Telle est la réalité de l’homme des Premières Nations vis-à-vis de la souffrance et de la détresse, et telle est la complexité du rôle du psychologue comme clinicien auprès des hommes dans une communauté autochtone.

Maison des hommes d’Ekuanitshit

« Un endroit par les hommes et pour les hommes »

Historique

En 2008, j’ai été engagé par le Conseil de bande d’Ekuanitshit (Mingan) pour intervenir comme psychologue dans la communauté avec le mandat d’offrir des services de psychothérapie, en cherchant à rejoindre principalement les hommes, mais aussi d’intervenir comme psychologue communautaire compte tenu de mes années d’expérience dans la mise en place de ressources communautaires. Durant plusieurs années, j’ai effectivement travaillé comme coordonnateur d’une table de concertation des services d’aides à la jeunesse (TCSAJ), à Drummondville, alors que durant cette période étaient mises en place plusieurs ressources communautaires. En parallèle, je poursuivais une pratique privée comme psychologue clinicien.

À la suite de mes séjours à Ekuanitshit, une semaine par mois, j’ai constaté le manque de ressources s’adressant aux hommes et j’ai observé que ceux-ci utilisaient rarement des services d’aide psychologique. Au début de 2009, avec d’autres intervenants du Centre de santé d’Ekuanitshit, nous nous sommes interrogés sur les moyens et les ressources à développer pour rejoindre les hommes de la communauté. Au printemps 2009, nous avons organisé un souper-causerie « entre hommes » en vue de recueillir de l’information sur leurs besoins via des discussions par thèmes. Parmi les suggestions figurait alors le besoin d’un lieu de rencontres et d’activités exclusivement réservé aux hommes. Au début de 2010, dans un questionnaire distribué dans la communauté, une majorité de répondants appuyaient la création d’un « Comité des hommes » ainsi que d’une maison exclusive aux hommes, les femmes ayant, elles, accès à plusieurs services et ressources dans la communauté.

Lors de la fête des Pères en 2010, les hommes de la communauté ont été invités à un déjeuner gratuit destiné à vérifier leur désir de s’impliquer dans un « Comité des hommes » visant l’implantation d’une « Maison des hommes ». Plusieurs hommes ont alors donné leur nom pour s’impliquer bénévolement. En août 2010, une lettre de demande d’appui au projet était acheminée au Conseil de bande, lequel se prononça favorable à la réalisation du projet. En février 2011 était officiellement constitué le Comité des hommes, comprenant neuf hommes, dont quatre formaient un exécutif.

Au printemps 2011, des démarches de recherche de financement ont été amorcées et un montant de 10 000 $ a été recueilli. Une maison mobile usagée a été acquise et déménagée sur un terrain accordé par le Conseil d’Ekuanishit. Les hommes du comité ainsi que d’autres hommes de la communauté ont alors effectué, dans la joie et le plaisir, l’installation de la première ressource exclusive aux hommes, la Maison des hommes. En 2017, une campagne de financement a permis de recueillir 380 000 $ pour une construction neuve accompagnée d’un garage, qui allaient remplacer le vieux bâtiment devenu vétuste.

Fonctionnement du Centre Napeu

Ce qui est remarquable, c’est que pratiquement tous les mêmes hommes impliqués bénévolement depuis le début du Comité des hommes, soit depuis 2010, sont encore présents et continuent à croire au projet et à s’impliquer. De nouveaux membres se sont ajoutés et le comité regroupe aujourd’hui plus de 15 hommes de la communauté qui, tous, croient aux services offerts à l’ensemble des hommes d’Ekuanitshit et œuvrent à leur réalisation.

Tous les membres sont bénévoles et chacun possède une clef d’accès à la Maison des hommes, à présent baptisée Centre Napeu Ekuanitshit. Lorsqu’il y a demande d’accès pour un usage du centre (loisir, sport à la télévision, service, dépannage, etc.), un membre du comité se rend sur place pour y donner accès et offrir le service demandé.

Le Centre Napeu offre également des locaux gratuits, au sous-sol, à un autre organisme, la Maison Kueshipan, offrant dans la communauté des services gratuits comprenant un comptoir alimentaire, une friperie et une popote roulante.

Un grand garage adjacent au centre est aussi disponible pour des travaux de menuiserie, pour la confection de poêles de campement et pour toute autre activité traditionnelle. Des canots et des chaloupes y sont également remisés pour des activités de chasse et de pêche ou pour des camps de ressourcement.

Services offerts

1. Un lieu de rencontre pour les hommes de la communauté, habituellement isolés et peu en contact avec d’autres.

  • Une grande salle communautaire permet aux hommes de la communauté de se rencontrer et de sortir de l’isolement dans lequel plusieurs vivent.
  • La salle commune offre un mobilier permettant des rencontres de plusieurs hommes dans une ambiance conviviale, ainsi que du matériel pour des activités sociales.
  • Un bureau fermé permet des rencontres individuelles et l’accueil d’hommes en situation de crise ou en détresse.

2. Un lieu de refuge lors de crises de couple permet d’offrir un accueil et une écoute.

  • Le bureau fermé permet des rencontres individuelles, et un lit à une place peut servir de dépannage pour un hébergement d’une ou deux nuits, selon l’urgence du besoin.
  • Un membre bénévole du Comité des hommes assure une présence selon les besoins, et il peut utiliser un divan-lit de la salle commune. Une liste de membres bénévoles est constituée et ces derniers peuvent être joints en tout temps.
  • Un intervenant professionnel du Centre de santé est disponible et peut se rendre sur place : infirmier, agent PNLAADA ou psychologue.

3. Un lieu de ressourcement et d’information, où les hommes peuvent être sensibilisés aux différentes réalités les concernant.

  • Des activités de partage permettent aux hommes de communiquer entre eux, d’évacuer leurs frustrations et leurs émotions, de recevoir l’appui et le soutien d’autres hommes.
  • Les hommes ont accès à un ordinateur, à un grand téléviseur, à un lecteur DVD-Blu-ray pour les loisirs, pour le visionnement d’événements sportifs ou pour la diffusion d’informations.
  • Ils ont accès à une documentation disponible dans un présentoir situé dans la salle commune.

4. Un lieu de partage sur les traditions ancestrales.

  • Des activités traditionnelles auront lieu à l’occasion avec des aînés de la communauté, en tentant d’y associer des jeunes dans le partage.
  • Des activités de chants, contes et de légendes pourront s’y dérouler
  • Un shaputuan extérieur est prévu pour les activités extérieures.

5. Un lieu d’activités sociales pour le simple plaisir de se rencontrer.

  • Des activités de loisirs sont disponibles sur place : deux tables de billard, des jeux de fléchettes, des jeux de cartes, une table de ping-pong, etc.
  • Des événements sont régulièrement offerts, tels que des soirées pyjama avec cinéma père-fils, un déjeuner lors de la fête des Pères, des tournois de billard ou de fléchettes avec prix de présence, etc.
  • Des canots et des chaloupes rangés dans le garage sont disponibles pour des activités sur l’île ou sur la rivière Mingan et la rivière Romaine.
  • Selon les besoins exprimés, de l’équipement de loisirs peut être acquis et mis à la disposition des hommes de la communauté.

Bilan actuel

La Maison des hommes d’Ekuanitshit (Centre Napeu) est actuellement dans sa huitième année d’opération. Les périodes d’activité ont varié au fil du temps, comprenant des périodes de plusieurs mois sans activité, entre autres durant la transition entre l’ancien local rendu vétuste et la construction neuve achevée en 2017.

Actuellement, de nouveaux membres se sont ajoutés au Comité des hommes, et deux membres de l’exécutif laissent leur place à d’autres.

Le défi demeure toujours de maintenir le feu sacré chez les membres bénévoles et de soutenir l’implication de chacun lors d’activités.

La mission demeure un droit par les hommes et pour les hommes.