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EXCLUSIVITÉ WEB | Les besoins des couples qui vivent l’expérience du cancer et les interventions conjugales qui visent à y répondre : un aperçu de l’état des connaissances

Dre Marie-Claude Blais, psychologue

La Dre Blais est professeure agrégée au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, psychologue en oncologie au CHU de Québec et membre de l’Équipe de recherche Michel-Sarrazin en oncologie psychosociale et soins palliatifs.

 

 Dre Louise Picard 

La Dre Picard est professeure agrégée à l’École de service social de l’Université Laval et membre de l’Équipe de recherche Michel-Sarrazin en oncologie psychosociale et soins palliatifs. 

 

Dr Patrick Villeneuve

Le Dr Villeneuve est professeur agrégé à l’École de service social de l’Université Laval. Il est spécialisé en analyse des programmes sociaux et en évaluation de l’intervention et des programmes. 

 

 


Le cancer touche non seulement la personne atteinte, mais aussi ses proches. Parmi ceux-ci se trouve le conjoint, lequel est la première source de soutien dans la majorité des cas où la personne atteinte est en couple (Figueiredo, Fries et Ingram, 2004; Maunsell et coll., 2009). La qualité du soutien émotionnel du conjoint est d’ailleurs un prédicteur important de l’adaptation au cancer (Giese-Davis, Hermanson, Koopman, Weibel et Spiegel, 2000). Or, les deux partenaires du couple sont, chacun à sa façon, confrontés aux défis qu’implique l’expérience du cancer. 

Plusieurs études ont voulu vérifier dans quelle mesure chacun des partenaires du couple éprouve de la détresse au cours de la trajectoire du cancer. Une méta-analyse (Hagedoorn, Coyne, Sanderman, Bolks et Tuinstra, 2008) regroupant plusieurs de ces études indique que la prévalence de la détresse varie grandement d’une étude à l’autre selon qu’on tient compte du genre, du fait d’être la personne malade ou le conjoint, du type de cancer, du stade de la maladie et du moment de la trajectoire de soins. En outre, il semble que les femmes, qu’elles soient dans le rôle de patiente ou de partenaire, tendent à rapporter davantage de détresse que les hommes. Par ailleurs, lorsqu’on compare les couples confrontés à l’expérience du cancer à ceux de la population générale ou à ceux recevant des soins de première ligne, on constate qu’ils présentent un niveau de détresse modérément plus élevé. Et qu’en est-il de la satisfaction conjugale? Là encore, les données varient. Certaines études rapportent même un haut niveau de satisfaction chez les couples qui font face au cancer (Hagedoorn et coll., 2000; Manne, Alfieri, Taylor et Dougherty, 1999). D’ailleurs, des données provenant d’une étude réalisée par nos collègues québécois suggèrent qu’une proportion importante (42 %) de femmes ayant un cancer du sein rapportent que l’expérience du cancer les a rapprochées de leur conjoint (Dorval et coll., 2005). 

Bien que la détresse éprouvée par chacun des partenaires et au sein du couple reste à cerner davantage, une dimension centrale semble claire : le cancer affecte le couple en tant qu’unité, au-delà des individus de façon isolée (Hagedoorn, Coyne, Sanderman, Bolks et Tuinstra, 2008). De fait, le couple forme un système interdépendant dans lequel chacun des conjoints est impliqué dans les processus de soutien et de coping de l’autre (Hagedoorn, Coyne, Sanderman, Bolks et Tuinstra, 2008; Manne et Badr, 2010). Parallèlement, on observe que la relation conjugale constitue une ressource pour l’adaptation de chacun des partenaires. En conséquence, les deux partenaires ont besoin d’être guidés pour mieux se soutenir l’un et l’autre. Il serait donc pertinent de porter attention à chacun des partenaires du couple tout au long de la trajectoire de soins en oncologie, de même qu’à leurs interactions, afin de les outiller pour favoriser leur adaptation et la poursuite favorable de la relation.

Les besoins des couples qui vivent l’expérience du cancer

La littérature existante permet de dresser un portrait relativement étoffé des besoins de chacun des partenaires du couple en contexte de cancer. Les besoins les plus souvent rapportés par les deux conjoints concernent la gestion des impacts du cancer, la gestion du stress dans la vie quotidienne et la coordination des soins en collaboration avec l’équipe traitante (Hodgkinson et coll., 2007). De façon plus spécifique, les besoins de la personne touchée par le cancer concernent entre autres la gestion de l’incertitude vis-à-vis de l’avenir et des impacts sur les proches, alors que ceux du partenaire ont trait au soutien de son conjoint malade (Chambers et coll., 2012; Molassiotis, Wilson, Blair, Howe et Cavet, 2011). On remarque que les études appréhendent le plus souvent ces besoins d’un point de vue individuel, c’est-à-dire qu’on s’intéresse d’un côté aux besoins de la personne atteinte de cancer et de l’autre à ceux de son conjoint. On sait donc très peu de choses quant aux besoins des couples en tant qu’unité, notamment au regard de la dimension relationnelle.

Par ailleurs, il semble exister un écart entre la perception des professionnels de la santé et celle des couples au sujet des besoins de ces derniers. Par exemple, alors qu’une majorité de couples aimeraient discuter d’intimité et de sexualité avec les professionnels de la santé, ces derniers croient plutôt que les couples ne veulent pas aborder ces questions et préfèrent s’en tenir à des sujets concrets liés à la survie au cancer (Hordern et Street, 2007). Cet écart de perceptions risque de laisser ces besoins sans réponse. 

Existe-t-il des interventions permettant de soutenir les couples confrontés au cancer?

Deux revues de littérature (Badr et Krebs, 2013; Regan et coll., 2012) font l’inventaire d’interventions qui ont été développées dans le but de favoriser l’adaptation des couples en contexte de cancer. Il faut noter que ces interventions « conjugales » sont déployées selon diverses modalités, tantôt en couple, tantôt auprès d’un seul des deux conjoints, ou encore avec les deux conjoints, mais de façon séparée. Plusieurs de ces interventions s’inscrivent dans une approche cognitivo-comportementale, mais s’appuient sur des conceptualisations théoriques diversifiées (ce qui constitue à la fois une richesse et un obstacle potentiel au développement organisé et efficace de ce domaine de recherche clinique). De façon générale, l’objectif principal de ces interventions se classe dans l’une de ces trois grandes catégories : 1) améliorer la communication entre les partenaires; 2) développer des habiletés pour favoriser l’adaptation (p. ex. gestion du stress, techniques de relaxation, recherche d’information); et 3) donner de l’information à propos du cancer et des soins (p. ex. la gestion de symptômes). Il a été démontré que plusieurs des interventions recensées sont efficaces pour diminuer la détresse des couples et pour les outiller dans le but de favoriser l’adaptation individuelle de chacun des partenaires – et celle du couple – vis-à-vis du cancer.

Toutefois, ces interventions conjugales présentent deux limites majeures. D’une part, elles ont été développées via des initiatives de recherche demeurent très peu utilisées en clinique, possiblement en raison d’obstacles liés au transfert des connaissances. Par conséquent, elles sont peu accessibles à la population, ce qui est d’autant plus vrai hors des grands centres urbains. D’autre part, plusieurs de ces interventions ne s’appuient pas sur des fondements théoriques explicites. En outre, bien que l’efficacité de certaines de ces interventions conjugales ait été démontrée, elles ont peu ou pas de points d’ancrage dans la philosophie et les principes du système de soins dans lequel elles sont appelées à être déployées en clinique. D’ailleurs, les interventions existantes sont souvent complexes, intensives et coûteuses en matière de ressources à déployer à la fois par le système de soins et par les couples participants. 

Fait à noter, une proportion limitée de couples participe aux interventions conjugales offertes via ces initiatives de recherche, comme en témoignent les taux de recrutement qui varient grandement selon les études d’intervention (de 13,6 % à 94,2 % dans les 17 études révisées par Regan, Lambert et Kelly en 2013). Ces données amènent les chercheurs à se questionner sur les barrières à la participation des couples à des services qui leur sont destinés. Par exemple, on trouve parmi ces barrières l’accessibilité limitée aux interventions, la présence même de la maladie qui empêche les personnes d’y prendre part, ou le fait d’avoir d’autres priorités. En outre, ces données nous incitent à mieux documenter et cibler les besoins des couples, de même que leurs préférences quant aux modalités des interventions à déployer dans le but de les soutenir.

En raison de l’état limité des connaissances en matière d’intervention conjugale en contexte de cancer, l’offre de service consacrée à l’adaptation des couples en oncologie au Québec demeure partielle, plus ou moins adaptée à la réalité clinique et aux préférences des couples. À notre connaissance, les interventions déployées reposent essentiellement sur des initiatives personnelles d’intervenants dévoués et demeurent donc, par conséquent, à la fois variables d’une région et d’un établissement à l’autre et fragiles en raison du caractère mouvant des ressources et de leur disponibilité.

Conclusion et pistes futures

Les deux partenaires du couple sont à risque de vivre de la détresse vis-à-vis du cancer. En même temps, chacun d’eux est impliqué dans le soutien de l’autre pour favoriser son adaptation individuelle et conjugale. Le Partenariat canadien contre le cancer (2012) et la Direction québécoise de cancérologie (2013; Direction de la lutte contre le cancer, 2011) nous incitent à « offrir des soins centrés sur la personne ». Pour une véritable actualisation de cette vision des soins en oncologie, il importe de répondre à la fois aux besoins de la personne touchée par le cancer et à ceux de sa principale source de soutien, son conjoint. Les interventions conjugales existantes dans la littérature présentent des limites importantes, dont leur accessibilité limitée en milieu clinique et leur niveau de correspondance incertain avec les besoins et préférences des couples.

Devant les limites observées dans ce champ de recherche et d’intervention clinique, notre équipe de recherche a réalisé un sondage auprès d’une soixantaine de personnes touchées par le cancer ou de leur conjoint. Ce sondage visait à déterminer leurs besoins, leur perception de la réponse à ces besoins qu’ils ont reçue via l’offre de service, de même que leurs préférences à l’égard d’interventions conjugales à développer (Blais, Picard, Villeneuve, St-Hilaire et Dumont, 2016). Essentiellement, les données de ce sondage nous révèlent l’information suivante. Alors que les besoins de renseignements (p. ex. sur la maladie, les traitements, les soins) sont perçus comme très importants et comme bénéficiant d’une offre de service adaptée à ces besoins, ceci est beaucoup moins le cas pour les besoins qui concernent la communication dans le couple (p. ex. communiquer à propos de la maladie, de ce que fait vivre la maladie). En effet, alors que ces besoins sont aussi perçus comme très importants, l’offre de service en ce qui les concerne ne semble pas vraiment au rendez-vous. 

Au printemps 2016, nous menons des groupes de discussion auprès de professionnels et de gestionnaires en oncologie afin de recueillir leurs réactions aux résultats de ce sondage. L’ensemble de ces informations nous permettra d’orienter le développement d’outils les mieux adaptés pour soutenir les couples qui font face au cancer. Déjà, nous pouvons anticiper que les interventions à mettre en place devraient viser à aider les deux partenaires à se soutenir efficacement et s’insérer dans un modèle de soins progressifs (référant au terme anglophone stepped care), visant ainsi le déploiement d’interventions graduées en fonction de la nature des besoins du couple, de l’intensité de la détresse vécue et de son désir de s’investir dans une intervention. 

Bibliographie 

Badr, H. et Krebs, P. (2013). A systematic review and meta-analysis of psychosocial interventions for couples coping with cancer. Psycho-Oncology, 22(8), 1688-1704. 
Blais, M.-C., Picard. L., Villeneuve. P., St-Hilaire, A. et Dumont, S. (2016). Facing cancer as a couple: to what extent do couples perceive that their needs are met? Communication orale au congrès de l’Association canadienne d’oncologie psychosociale, Halifax, Canada, 11-13 mai 2016. 
Chambers, S. K., Occhipinti, W. S., Hutchison, H., Turner, J., Morris, B. et Dunn, J. (2012). Psychological distress and unmet supportive care needs in cancer patients and carers who contact cancer helplines. European Journal of Cancer Care, 21(2), 213-223. 
Direction québécoise de cancérologie. (2013). Ensemble, en réseau, pour vaincre le cancer. Plan directeur en cancérologie. Repéré à http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-000346/
Direction de la lutte contre le cancer. (2011). Rapport du comité d’oncologie psychosociale. Vers des soins centrés sur la personne. Repéré à http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2011/11-902-05F.pdf 
Dorval, M., Guay, S., Mondor, M., Mâsse, B., Falardeau, M., Robidoux, A., Deschênes, L. et Maunsell, E. (2005). Couples who get closer after breast cancer: Frequency and predictors in a prospective investigation. Journal of Clinical Oncology, 23(15), 3588-3596.
Figueiredo, M. I., Fries, E. et Ingram, K. M. (2004). The role of disclosure patterns and unsupportive social interactions in the well-being of breast cancer patients. Psycho-Oncology, 13(2), 96-105.
Giese-Davis, J., Hermanson, K., Koopman, C., Weibel, D. et Spiegel, D. (2000). Quality of couples relationship and adjustment to metastatic breast cancer. Journal of Family Psychology, 1, 251-266. 
Hagedoorn, M., Coyne, J. C., Sanderman, R., Bolks, H. N. et Tuinstra, J. (2008). Distress in couples coping with cancer: A meta-analysis and critical review of role and gender effects. Psychological Bulletin, 134(1), 1-30.
Hagedoorn, M., Kuijer, R. G., Buunk, B. P., Dejong, G. M., Wobbes, T. et Sanderman, R. (2000). Marital satisfaction in patients with cancer: Does support from intimate partners benefit those who need it the most? Health Psychology, 19(3), 274-282.
Hodgkinson, K., Butow, P., Hunt, G. E., Wyse, R., Hobbs, K. M. et Wain, G. (2007). Life after cancer: couples” and partners’ psychological adjustment and supportive care needs. Supportive Care in Cancer, 15(4), 405-415.
Hordern, A. J. et Street, A. F. (2007). Constructions of sexuality and intimacy after cancer: Patient and health professional perspectives. Social Science & Medicine, 4(8), 1704-1718.
Manne, S. et Badr, H. (2010). Intimacy processes and psychological distress among couples coping with head and neck or lung cancers. Psycho-Oncology, 19(9), 941-954. 
Manne, S.L., Alfieri, T., Taylor, K. L. et Dougherty, J. (1999). Spousal negative responses to cancer patients: The role of social restriction, spouse mood, and relationship satisfaction. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 67(3), 352-361.
Maunsell, E., Guay, S., Yandoma, E., Dorval, M., Lauzier, S., Provencher, L., et Robidoux, A. (2009). Patterns of confidant use among patients and spouses in the year after breast cancer. Journal of Cancer Survivorship, 3(4), 202-211.
Molassiotis, A., Wilson, B., Blair, S., Howe, T., Cavet, J. (2011). Unmet supportive care needs, psychological well-being and quality of life in patients living with multiple myeloma and their partners. Psycho-Oncology, 20(1), 88-97.
Partenariat canadien contre le cancer (2012). Plan stratégique 2012-2017. Faire progresser l’action vers une vision commune. Repéré à http://www.partnershipagainstcancer.ca/wp-content/uploads/sites/5/2015/03/Faire-progresser-laction-vers-une-vision-commune-document-intégral_accessible.pdf
Regan T. W., Lambert, S. D., Girgis, A., Kelly, B., Kayser, K. et Turner, J. (2012). Do couple-based interventions make a difference for couples affected by cancer? A systematic review. BMC Cancer, 12,279. doi:10.1186/1471-2407-12-279 
Regan, T. W., Lambert, S. D. et Kelly, B. (2013). Uptake and attrition in couple-based interventions for cancer: perspectives from the literature. Psycho-Oncology, 22(8), 2639-2647. doi: 10.1002/pon.3342