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Gérontopsychologue : la santé mentale des personnes âgées au cœur de la profession

Laurence Villeneuve | Psychologue

Présidente du Regroupement des psychologues en gérontologie depuis 2016, elle travaille dans l’équipe SCPD de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal depuis 2015. 

 

Julie Bélanger | Psychologue

Pratiquant en gérontologie dans les CHSLD de Vigi Santé, un regroupement de 15 installations privées conventionnées, elle s’implique depuis plusieurs années, au sein du Regroupement des psychologues en gérontologie.
 

Lucile Agarrat | Psychologue

Elle travaille depuis 2012 comme psychologue à la Clinique de mémoire et à l’unité Moe Levin (SCPD) de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Titulaire d’une attestation de formation de l’évaluation des troubles neuropsychologiques, elle intervient auprès des patients et des proches aidants. Elle s’implique activement au sein du Regroupement des psychologues en gérontologie.


À l’heure où plusieurs personnes réclament une meilleure qualité de vie chez les aînés et une meilleure accessibilité aux soins, qu’en est-il de l’état de la santé mentale des aînés au Québec? Quels sont les services offerts en santé mentale aux aînés de la province? L’Institut de la statistique du Québec (2014) indique que 19 % des personnes âgées de 65 ans et plus présentent au moins un symptôme dépressif. En soins de longue durée, cette prévalence augmente à près de 25 % (Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées, 2006). Ces données illustrent l’importance de réfléchir à la santé mentale des personnes âgées et de mieux faire connaître les services offerts à cette population. Dans les dernières années, plusieurs plans d’action ont été mis en place par le gouvernement du Québec afin d’améliorer les services offerts à cette clientèle pour augmenter sa qualité de vie en général, mais très peu de ces réflexions ont abordé la santé mentale. Cet article comprend une présentation et une discussion critique portant sur l’amélioration des services en santé mentale auprès des personnes âgées et plus spécifiquement sur l’accessibilité aux services de psychologie en gérontologie. La gérontopsychologie, champ de pratique encore méconnu au Québec, constitue un secteur important de la profession.

Au Québec, les personnes âgées de 65 ans et plus représentaient 16 % de la population en 2011 alors qu’elles en représenteront 28 % en 2061 (Institut de la statistique du Québec, 2014). Le vieillissement entraîne son lot de défis quant à l’organisation des services, que ce soit sur le plan des offres d’habitations, de l’ensemble des services municipaux et/ou encore des soins de santé. L’accessibilité des soins de santé pour la population et particulièrement pour les personnes âgées, qui sont plus vulnérables que d’autres groupes de la population, constitue un enjeu social et politique majeur depuis quelques années. Qu’en est-il de la prévalence des troubles de santé mentale chez les aînés et comment ces derniers utilisent-ils les services offerts pour améliorer leur santé mentale?

Portrait statistique

Les difficultés en santé mentale au cours du vieillissement sont bien réelles. Un rapport de l’Institut de la statistique du Québec (2014) révèle que près de 19 % des personnes âgées de 65 ans et plus présentent au moins un signe de dépression selon l’échelle de dépression gériatrique. Une étude épidémiologique réalisée en 2005-2006 auprès de personnes âgées québécoises vivant à domicile a montré que près de 13 % d’entre elles présentaient des critères permettant de poser un diagnostic de dépression, de manie, de trouble anxieux ou de dépendance aux benzodiazépines (Préville et al., 2008). Dans cette étude, parmi les troubles de santé mentale examinés, les plus fréquemment rapportés ont été les troubles anxieux, avec 5,6 % des participants qui en souffraient. Si l’on tient compte du lieu d’habitation des personnes âgées, plusieurs études ont montré qu’une grande proportion (près de 25 %) d’aînés vivant en centre de soins de longue durée présentait des problèmes de santé mentale (Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées, 2006). Bien que le taux de suicide chez les personnes âgées au Québec constitue le deuxième taux de suicide le plus bas après celui des adolescents, avec 12,1 cas pour 100 000 personnes, le nombre de décès par suicide chez les aînés ne cesse d’augmenter (Légaré, Gagné et St-Laurent, 2013). De plus, le taux de suicide effectif1 est plus élevé chez les aînés que dans les autres groupes d’âge, puisque les personnes âgées utilisent davantage de moyens létaux pour se suicider (Conwell, Duberstein et Caine, 2002). En effet, 55 % des personnes âgées décédées par suicide entre 2007 et 2009 ont utilisé la pendaison, la strangulation ou la suffocation (Légaré et al., 2013).

L’étude épidémiologique réalisée par Préville et ses collaborateurs (2009) au Québec a montré que 42 % des personnes âgées ayant au moins un diagnostic de troubles dépressifs ou anxieux selon le manuel diagnostique des troubles mentaux avaient fait appel aux services de santé pour évaluer leurs symptômes. Toutefois, la très grande majorité (72 %) étaient allées voir un médecin généraliste et seulement 5 % avaient consulté un psychologue. Néanmoins, à la suite de leur première consultation auprès d’un médecin généraliste, 19 % des personnes âgées étaient dirigées vers un psychologue pour traiter leur détresse psychologique (Préville et al., 2009). Les données recueillies par l’Agence de la santé publique du Canada (2016) indiquent qu’environ 12 % des personnes âgées de 55 à 79 ans ont utilisé les services de santé pour des troubles anxieux et des troubles de l’humeur entre 2009 et 2010. Ce taux est comparable à celui des personnes âgées de 30 à 54 ans. Pour ce qui est des personnes âgées de 80 ans et plus, la prévalence se situe autour de 11 %. L’utilisation des services de santé pour des besoins psychologiques demeure néanmoins un défi au cours du vieillissement, puisque plusieurs symptômes de maladies mentales sont confondus avec d’autres problèmes de santé tels que des maladies chroniques ou des troubles neurocognitifs; dans certains cas, ils peuvent même être attribués, à tort, au vieillissement normal.

Plans d’action ministériels et santé mentale des personnes âgées

Au cours des dernières années, le Québec s’est doté de différents plans d’action afin d’améliorer les services offerts aux personnes âgées pour leur permettre de vivre en meilleure santé. Le ministère de la Famille et des Aînés (2018) a publié un plan d’action issu de la politique gouvernementale en matière de vieillissement actif où il met notamment de l’avant l’importance de la participation sociale des aînés. Pour ce faire, favoriser le maintien à domicile et promouvoir les services de santé, les services sociaux et le soutien aux proches aidants est primordial. Néanmoins, ce plan d’action ne propose pas de ligne directrice claire pour un meilleur soutien aux personnes âgées aux prises avec des problèmes de santé mentale. De plus, bien que le gouvernement du Québec ait mis en place un plan d’action en santé mentale pour 2015-2020, aucune mesure concrète n’y est détaillée pour une meilleure prise en charge des personnes âgées. On reconnaît toutefois que considérant le vieillissement de la population, il est nécessaire d’étendre les compétences des professionnels de la santé en gérontologie. À cet égard, le plan du gouvernement souligne que les gérontopsychiatres joueront un rôle central dans le soutien aux équipes multidisciplinaires de soins et dans le transfert de connaissances et de compétences entre tous les professionnels du réseau. Plus concrètement, l’Association des médecins psychiatres du Québec a déposé au ministère de la Santé et des Services sociaux un plan d’action pour améliorer les services psychiatriques (AMPQ, 2015). Ce plan recommande entre autres que des équipes mobiles de gérontopsychiatrie soient constituées afin de mieux assurer la liaison entre l’hospitalisation et le retour à domicile des personnes âgées présentant des troubles de santé mentale. Selon les recommandations, ces équipes devraient être composées d’un gérontopsychiatre, d’infirmières ayant une expertise appropriée en gériatrie et en santé mentale, de spécialistes en réadaptation (par exemple un physiothérapeute et un ergothérapeute) et de psychologues. En effet, le psychologue constitue un des partenaires du réseau de la santé pouvant contribuer à l’amélioration des soins et des services en santé mentale auprès des aînés vivant de la détresse psychologique. De plus, il peut contribuer au transfert de connaissances auprès d’autres professionnels de la santé.

Le travail du gérontopsychologue : compétences et enjeux professionnels

Selon l’Association américaine de psychologie, la gérontopsychologie est une spécialité de la psychologie vouée à l’étude du vieillissement et à la diffusion de services cliniques aux personnes âgées. Cliniquement, les gérontopsychologues voient à soutenir les personnes âgées et leurs proches dans leurs difficultés, à améliorer leur bien-être et à maximiser leur potentiel au cours du vieillissement. Les problèmes traités incluent les troubles mentaux, mais également les troubles neurocognitifs et leurs différents enjeux, les soins de fin de vie, la douleur chronique, etc. Cette spécialité en psychologie gérontologique est également reconnue en France, où une spécialisation est offerte dans certaines universités. D’ailleurs, dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), l’importance du psychologue est maintenant pleinement reconnue, tout autant pour son travail auprès des résidents que pour son implication auprès des familles et des équipes soignantes. Avant, il s’agissait d’un luxe. Au Québec, la pratique spécialisée en gérontopsychologie demeure peu connue. L’Ordre des psychologues du Québec a récemment collaboré à la rédaction d’un document sur la collaboration interprofessionnelle en CHSLD1.Le rôle qui y est décrit est très pertinent et souhaitable, mais il ne reflète pas la réalité de la majorité des milieux où sont prodigués des soins de longue durée ou des autres milieux psychogériatriques, car le psychologue est peu présent au sein des équipes interdisciplinaires. Actuellement, au Québec, la spécialisation en gérontologie pour les psychologues relève de l’intérêt qu’ils portent à cette pratique et de la formation connexe qu’ils parviennent à acquérir grâce à certains cours universitaires ou à des formations professionnelles. Aucun programme universitaire spécifique à la pratique en gérontopsychologie n’est actuellement offert pour former ces professionnels, et ce, bien que certaines universités aient créé des cours portant sur le vieillissement et que des professeurs effectuent des travaux de recherche dans le champ de la gérontologie. Fait intéressant, le sous-comité de travail sur la formation du RUIS de l’Université de Montréal (2018) prévoit que seulement 2,5 % de la formation universitaire en psychologie est consacrée au vieillissement, alors que 36 % des psychologues déclarent auprès de l’Ordre des psychologues du Québec offrir des services professionnels aux personnes âgées.

Le gérontopsychologue est appelé à travailler dans différents milieux de pratique, que ce soit en centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), en centre de réadaptation, en milieu hospitalier ou au sein d’équipes ambulatoires de gérontopsychiatrie. Son champ de compétence s’articule principalement autour de trois grands axes, soit l’évaluation, l’intervention (psychothérapie, recommandations non pharmacologiques) et la consultation auprès d’autres professionnels de la santé afin de mieux les outiller relativement aux interventions à favoriser auprès de cette clientèle. Plus spécifiquement, la pratique du psychologue en CHSLD représente une aide tout aussi précieuse eu égard à la santé psychologique de la personne âgée hébergée et de ses proches. Ainsi, par sa formation, le psychologue œuvrant en psychogériatrie se voit interpellé pour réaliser des évaluations et des interventions dans différentes situations, par exemple en cas de difficultés d’adaptation à l’hébergement, de perte d’autonomie vécue par le résident, de deuil, de dépression ou encore en contexte de soins palliatifs et de fin de vie. Le travail en institution gériatrique amène également le psychologue à offrir de l’enseignement et de l’accompagnement clinique aux autres membres de l’équipe multidisciplinaire au sein de laquelle il travaille. Il participe ainsi à l’élaboration de plans d’intervention spécifiques quant aux manifestations de symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) présentes chez certains résidents. Enfin, en raison de ses connaissances et de ses compétences cliniques en santé mentale, propres à une clientèle adulte et vieillissante, le psychologue en CHSLD contribue à l’apaisement de la souffrance psychique qui peut être présente chez le résident et ses proches et soutient la compréhension empathique du personnel soignant au regard du vécu de ces derniers.

Les neuropsychologues ont également un rôle clé à jouer en gérontologie, et ce, sur plusieurs plans. En premier lieu, l’évaluation neuropsychologique contribue au processus diagnostique, que ce soit pour clarifier la présence d’un trouble neurocognitif ou pour comprendre les séquelles d’une atteinte neurologique (par exemple à la suite d’un AVC ou d’un traumatisme crânien). En cas de troubles neurocognitifs, un bilan neuropsychologique complet est notamment utile pour distinguer des plaintes mnésiques subjectives et un trouble neurocognitif mineur objectivé. Certains indices permettent d’effectuer un diagnostic psychologique précoce et, donc, de mettre en place au plus tôt des stratégies visant à ralentir le processus dégénératif. Le neuropsychologue peut aussi aider à effectuer un diagnostic différentiel clair en documentant avec précision la nature des difficultés et en distinguant les causes possibles (par exemple la maladie d’Alzheimer ou une autre pathologie due à des troubles de santé mentale ou physique). L’évaluation neuropsychologique arrive parfois plus tard dans le parcours de soins, par exemple lors de l’appréciation des aptitudes de la personne âgée ou lors de la décision de maintenir la personne âgée à domicile. De plus, au-delà de la pratique de l’évaluation, certains neuropsychologues s’investissent dans différents types d’interventions. Dans une perspective de réadaptation, ils s’attacheront, par exemple, à rééduquer les patients afin qu’ils retrouvent certaines fonctions cognitives ou encore à les guider dans la mise en œuvre de stratégies compensatoires dans leur vie quotidienne. Enfin, au sein d’équipes multidisciplinaires, le neuropsychologue peut contribuer à établir un plan d’intervention en facilitant la compréhension du fonctionnement cognitif et du comportement du patient âgé.

Recommandations pour un meilleur accès aux services de psychologues en gérontologie

Dans le réseau de la santé, il est souhaitable de voir travailler davantage d’équipes multidisciplinaires en gérontopsychiatrie, composées notamment de psychologues, et ce, afin d’améliorer l’accès aux services en santé mentale pour les personnes âgées. À cet égard, nous appuyons les recommandations de l’Association des médecins psychiatres du Québec, qui propose le développement d’équipes de gérontopsychiatrie dans les différents milieux de vie de la personne âgée, soit dans la communauté, en milieu hospitalier et dans les milieux d’hébergement afin de permettre une meilleure prise en charge de la santé mentale des personnes âgées. De plus, afin de diminuer les entraves dans le recrutement de psychologues au sein de différents milieux de soins en gérontologie, il serait bon de favoriser une meilleure reconnaissance et une valorisation de la pratique du gérontopsychologue. En effet, considérant l’accroissement de la population vieillissante, il y a fort à parier que de plus en plus de psychologues auront à travailler auprès de personnes âgées. De ce fait, il serait important d’améliorer l’offre de formation universitaire comme cela se fait dans d’autres pays afin de permettre aux étudiants de se spécialiser en gérontopsychologie. En plus d’assurer une meilleure reconnaissance de la pratique professionnelle dans ce domaine particulier, cela permettrait d’améliorer les compétences des psychologues relativement aux enjeux psychologiques qui touchent les personnes âgées. Dans cette même optique, il semble nécessaire que des formations reconnues par l’Ordre des psychologues du Québec en psychothérapie et adaptées à la pratique en gérontologie soient offertes afin d’élargir le champ de compétence des psychologues dans ce domaine.

Références

Bibliographie

Agence de la santé publique du Canada (2016). Rapport du système canadien de surveillance des maladies chroniques : les troubles anxieux et de l’humeur au Canada. Gouvernement du Canada. Repéré sur le site du gouvernement du Canada : https://www.canada.ca/content/dam/canada/health-canada/migration/healthy-canadians/publications/diseases-conditions-maladies-affections/mood-anxiety-disorders-2016-troubles-anxieux-humeur/alt/mood-anxiety-disorders-2016-troubles-anxieux-humeur-fra.pdf

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Ministère de la Famille et des Aînés (2018). Un Québec pour tous les âges. Le plan d’action 2018-2023. Gouvernement du Québec. Repéré sur le site de l’auteur : https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/Documents/PA-qc-tous-ages.PDF

Institut de la statistique du Québec (2014). Perspectives démographiques du Québec et des régions, 2011-2061, Québec, 123 p.

Légaré, G., Gagné, M. et St-Laurent, D. (2013). La mortalité par suicide au Québec : tendances et données récentes – 1981 à 2011. Institut national de santé publique du Québec, (1603).

Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2015). Plan d’action en santé mentale 2015-2020 – Faire ensemble et autrement. Québec, Québec : Gouvernement du Québec. Repéré sur le site de l’auteur : http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/ fichiers/2015/15-914-04W.pdf

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Sous-comité de travail sur la formation du Comité du RUIS de l’Université de Montréal (2018). Inventaire des activités de formation reliées aux soins de la personne âgée ou au vieillissement dans les principaux programmes concernés à l’Université de Montréal. Montréal, Québec : RUIS de l’Université de Montréal.