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Image corporelle chez l’athlète

Dre Jodie Richardson, psychologue

Fondatrice et clinicienne à la clinique Connecte – Groupe de psychologie de Montréal, elle se spécialise dans le traitement des troubles de l’alimentation et travaille, entre autres, avec des danseurs, des acrobates et autres athlètes de haut niveau. 

 

Alexia de Macar

Diététiste et détentrice d'un Ph.D en nutrition sportive, elle collabore depuis plusieurs années avec l’Institut national du sport du Québec, le Cirque du Soleil et diverses écoles de danse. Elle a acquis une expertise de pointe avec les athlètes-artistes présentant un trouble de l’alimentation.

 


Dans notre pratique de psychologue et de nutritionniste travaillant auprès d’athlètes ayant un trouble de l’alimentation, il est fréquent d’entendre des commentaires reflétant la pression ressentie quant à la nécessité de changer leur corps et leur apparence physique afin de correspondre tant aux idéaux de beauté qu’aux exigences associées à la pratique de leur sport.

« Mon entraîneur de nage synchronisée m’a dit que pour que je plaise aux juges, mes jambes devaient avoir l’air plus fines. »

« Le volleyball de plage se pratique en maillot de bain, je suis donc presque nue et je me sens jugée et vulnérable. »

Il est reconnu depuis plusieurs années que la prévalence des troubles de l’alimentation est plus élevée chez la population athlétique que dans la population générale (Bratland-Sanda et Sungot-Borgen, 2012; Joy, Kussman et Nattiv, 2016). Considérant le fait que l’insatisfaction par rapport à l’image corporelle est intimement reliée aux troubles de l’alimentation, il serait attendu que la prévalence de ce problème soit également plus élevée auprès des athlètes. Toutefois, les résultats de recherche sur l’image corporelle n’arrivent pas à un consensus à cet égard. Jusqu’au xxie siècle, la pratique d’un sport était considérée comme un facteur de protection qui pouvait atténuer les effets de l’insatisfaction de l’image corporelle (Hausenblas et Downs, 2001). Cependant, des études plus récentes suggèrent que cela ne serait pas le cas pour tous et qu’en fait, l’importance accordée à l’atteinte de certains idéaux corporels dans le sport pourrait contribuer à une faible satisfaction concernant l’image corporelle (Perelman, Buscemi, Dougherty et Haedt-Matt, 2018; Swami, Steadman et Tovee, 2009).

Limites des études

Lorsqu’on se réfère aux études effectuées dans ce domaine de recherche, on observe que les évidences scientifiques semblent contradictoires. Plusieurs facteurs peuvent toutefois expliquer la divergence des résultats obtenus. Premièrement, la définition de ce qu’est un athlète varie largement d’une étude à l’autre (étudiants participant à un sport à l’école ou athlètes faisant partie de l’élite). Deuxièmement, certaines études rassemblent les athlètes en un seul groupe hétérogène, alors que d’autres les classent dans des catégories (sports mettant l’accent sur l’apparence et/ou le poids ou pas). Troisièmement, la taille des échantillons dans les diverses études effectuées est petite, étant donné la difficulté des chercheurs à recruter au sein de cette population spécifique (Voelker et Reel, 2018).  

Résultats de recherche

Malgré ces limites, plusieurs éléments intéressants ressortent de ces études. Tout d’abord, comme on l’observe dans la société en général, les athlètes féminines expriment davantage d’insatisfaction quant à leur corps que les athlètes masculins (Milligan et Pritchard, 2006; Perelman, Buscemi, Dougherty et Haedt-Matt, 2018). Parallèlement à ceci, plusieurs études soulignent le fait que les athlètes pratiquant des sports mettant l’accent sur la minceur présentent davantage d’insatisfaction concernant leur image corporelle que les athlètes exerçant des sports qui n’y accordent pas d’importance (Kong et Harris, 2015; Perelman, Buscemi, Dougherty et Haedt-Matt, 2018). Cette distinction serait particulièrement importante chez les athlètes masculins (Perelman, Buscemi, Dougherty et Haedt-Matt, 2018). Enfin, les études montrent que les athlètes faisant partie de l’élite seraient plus à risque d’insatisfaction quant à leur image corporelle que ceux pratiquant leur sport à un niveau compétitif moindre (Kong et Harris, 2015). La participation à un sport à un niveau peu compétitif serait quant à elle associée à une meilleure satisfaction de l’image corporelle par rapport au fait de ne pas pratiquer de sport (Varnes et al., 2013).  

Expérience clinique (secondée par la recherche)

Notre expérience clinique a également révélé d’autres facteurs liés à l’insatisfaction corporelle chez l’athlète, qui ont été corroborés par la recherche, comme les commentaires effectués par des personnes importantes dans leur vie, les périodes où le corps change, ainsi que l’exposition du corps au regard des autres.

Les athlètes sont entourés de personnes s’efforçant de les aider à atteindre leurs objectifs de performance, notamment leurs entraîneurs, leurs parents et différents intervenants sportifs. Les commentaires que formulent ces personnes quant à l’apparence physique, la morphologie ou le poids peuvent augmenter le risque d’un athlète de développer une insatisfaction à propos de son corps. Par exemple, ce qui contribue, entre autres, au succès d’un athlète est sans contredit sa capacité à savoir écouter les directives de son entraîneur ainsi qu’à suivre ses recommandations. Lorsqu’un athlète n’est pas en mesure de répondre aux demandes de son entraîneur parce que ce dernier lui demande de modifier son corps (poids ou apparence), ce qu’il ne peut pas faire, cela pourra résulter non seulement en une faible image corporelle pour l’athlète, mais aussi en un sentiment d’échec en tant qu’athlète. Parallèlement à ceci, le fait de comparer le corps d’un athlète à ceux de ses pairs ou à ceux d’athlètes faisant partie de l’élite dans son sport en particulier peut également avoir des effets délétères quant à la perception de l’image corporelle de l’individu (Francisco, Alarcão et Narciso, 2013; Kong et Harris, 2015; Muscat et Long, 2008).

Lors de certaines périodes dans la carrière d’un athlète, il est totalement normal que le corps change, par exemple à la puberté, et l’athlète peut vivre une insatisfaction relativement aux changements corporels qui ont alors lieu (Ricciardelli et McCabe, 2004). Certains athlètes débutent dans leur sport à un très jeune âge, ne sachant évidemment pas à quoi leur corps d’adulte ressemblera. Dans les sports où une grande importance est accordée à un certain corps idéal, les athlètes peuvent ressentir de l’anxiété lorsque leur corps commence à se transformer, surtout s’il ne semble pas correspondre au corps idéalisé au sein de leur discipline.

Un athlète peut sentir de différentes façons que son corps est exposé au regard des autres, et cela pourra contribuer ou pas à l’augmentation de son insatisfaction corporelle. Tout d’abord, dans certains sports, les athlètes se doivent de porter des tenues très révélatrices. Il peut s’agir d’exigences secondaires à la nature du sport (natation artistique, plongeon), mais cette habitude peut aussi provenir de raisons d’ordre esthétique (patinage artistique) et parfois même de sexualisation du sport (volleyball de plage). Lorsque l’athlète porte des vêtements révélateurs devant un public, face aux juges ou même simplement face à ses pairs, cela peut le prédisposer à avoir davantage de préoccupations et d’insatisfaction à l’égard de son corps (de Bruin et Oudejans, 2018).

Dans un autre ordre d’idées, une pratique donnant également l’impression à l’athlète de s’exposer au regard des autres et créant un sentiment de vulnérabilité est celle de la pesée. Plusieurs entraîneurs effectuent encore des pesées individuelles ou même d’équipe sur une base régulière, ce qui engendre sans contredit de nombreuses répercussions négatives. Par exemple, si l’athlète juge que le chiffre sur la balance ne correspond pas aux attentes ou aux standards dans son sport, le fait de devoir se peser pourra lui faire vivre beaucoup d’anxiété, créant une préoccupation malsaine à l’égard de son poids ainsi que de l’insatisfaction corporelle (de Bruin et Oudejans, 2018).

Dépistage

Les intervenants travaillant de près avec les athlètes sont généralement en bonne position pour remarquer qui dans un groupe semble souffrir d’insatisfaction par rapport à son image corporelle. Un athlète peut présenter de nombreux signes et symptômes suggérant la présence d’un trouble de l’image corporelle (Cash, 2008). Voici une liste de différents signes et symptômes possibles :

  • Présence de commentaires négatifs fréquents sur leur apparence physique,
  • Besoin perpétuel de chercher une réassurance quant à leur apparence,
  • Modification radicale de leurs habitudes alimentaires ou d’entraînement,
  • Attention accrue portée sur leur apparence physique par l’utilisation fréquente de la balance, du miroir ou d’autres méthodes de vérification du corps,
  • Dissimulation du corps au moyen de vêtements amples,
  • Refus de porter certains vêtements en raison de la honte concernant leur corps,
  • Évitement ou détresse extrême en ce qui concerne les tests physiques sportifs impliquant des mesures de la composition corporelle. 

Si certains des signes ou des symptômes mentionnés ci-dessus sont observés chez un athlète, il est important que l’intervenant détenant la meilleure relation avec celui-ci lui parle de manière rassurante et sans jugement en lui exprimant ses inquiétudes et en lui suggérant de demander de l’aide. De tels signes peuvent aussi indiquer la présence d’une symptomatologie de troubles de l’alimentation pouvant également présenter de graves dangers pour la santé physique et mentale de l’athlète.

Traitement

Lorsqu’un athlète se présente en thérapie avec des préoccupations et de l’insatisfaction quant à son image corporelle, certains paramètres du traitement sont très similaires à ceux utilisés auprès d’une personne non athlète et d’autres sont propres à la population spécifique des athlètes. Tout d’abord, nous l’aidons à comprendre le rapport actuel qu’il a avec son corps au moyen d’un exercice d’écriture expressive dans lequel on lui demande de tenter de se connecter avec toutes ses pensées, ses sentiments et ses expériences se rapportant à son corps, et ce, depuis son enfance. Ensuite, à l’aide d’outils de pleine conscience et de restructuration cognitive, nous l’aidons à se distancer de ce récit en lui faisant comprendre qu’il s’agit d’une histoire créée au fil des années et non pas d’une vérité absolue. Nous l’aidons ensuite à diminuer ses comportements compulsifs envers son corps, comme la vérification et la fixation excessive (par exemple la pesée abusive) et nous l’aidons à arrêter toute forme d’évitement.  Nous travaillons avec l’athlète en créant une hiérarchie d’exposition face à diverses situations anxiogènes (par exemple ne pas se cacher derrière une serviette à la piscine). Pour terminer, nous l’aidons à développer de l’autocompassion et à se créer un nouveau récit à propos de son corps et de son image corporelle (Cash, 2008).

De façon complémentaire, certains facteurs propres aux athlètes doivent être pris en considération lors du traitement. Premièrement, on remarque souvent une divergence de la perception de l’image corporelle chez l’athlète selon le contexte dans lequel il se trouve. De façon plus spécifique, les athlètes affichent souvent une image corporelle « sociale » et une autre image « athlétique », les deux pouvant parfois être incompatibles. Par exemple, pour un athlète qui pratique un sport mettant l’accent sur la minceur, comme le patinage artistique, il est possible de se sentir insatisfait de son corps « athlétique », mais de se sentir satisfait de son corps « social ». L’opposé peut également être vrai dans le cas d’athlètes pratiquant des sports où l’apparence ou le poids ne sont pas valorisés, mais où leur corps athlétique, pour cette raison, correspond moins aux idéaux de minceur de la société (de Bruin, Oudejans, Bakker et Woertman, 2011). Deuxièmement, il peut être vrai que dans certains cas, un poids inférieur pourrait permettre une amélioration de la performance, rendant ainsi difficile chez l’athlète l’acceptation de son corps. Par exemple, un patineur artistique sera apte à rester plus longtemps en l’air lors de ses sauts si son poids est inférieur, et cela lui permettra de réaliser des figures plus complexes. Ainsi, pour un athlète, le fait d’accepter que son corps ne puisse se modifier comme il le veut afin d’atteindre la performance sportive désirée implique un processus de deuil autant en ce qui concerne son image corporelle que sur le plan de ses objectifs de performance.

Pour terminer, comme les athlètes sont généralement entourés de gens désirant les aider à réussir, parfois à tout prix, il est important d’aborder le contexte dans lequel ils vivent afin de déterminer comment les protéger des commentaires d’autrui pouvant perpétuer leur histoire d’image corporelle négative. Pour ce faire, nous dressons avec l’athlète une liste des personnes ou des situations qui sont potentiellement problématiques. Des solutions sont ainsi trouvées en collaboration avec l’athlète afin que les commentaires ou les comportements néfastes pour son estime corporelle cessent. Par exemple, nous pourrions demander à un entraîneur d’arrêter de peser un athlète et de suggérer que ceci soit géré par le nutritionniste ou le psychologue. Nous pourrions aussi parler à un parent qui a l’habitude d’émettre des commentaires sur le corps, les habitudes alimentaires ou d’entraînement de son enfant afin de lui suggérer de s’abstenir d’émettre tout commentaire à ces égards. Chaque cas étant différent, les stratégies mises sur pied avec un athlète sont propres à ses réalités et à ses demandes. L’entourage de l’athlète n’est pas impliqué dans la démarche de façon systématique.

Prévention

La question de la prévention est fort importante, puisque de nombreuses initiatives peuvent être entreprises afin de corriger le problème d’insatisfaction corporelle chez l’athlète. Un programme d’éducation visant à sensibiliser la population aux problèmes d’image corporelle ainsi qu’aux troubles de l’alimentation chez les athlètes peut cibler les personnes et les intervenants interagissant avec eux, tels que les entraîneurs, les kinésiologues et les parents. Ces programmes devraient être axés sur les points suivants :

  • S’assurer que les membres de l’équipe sont informés des facteurs pouvant mettre l’athlète à risque (par exemple la pesée, les commentaires sur l’apparence physique);
  • Impliquer les nutritionnistes dans la gestion des mesures anthropométriques;
  • Avoir une approche sensible et sans jugement, orientée sur la performance, plutôt que sur l’apparence physique et le poids;
  • Comprendre que ce n’est pas possible pour certains athlètes de modifier leur corps afin de répondre aux idéaux du sport. Le corps peut seulement se modifier jusqu’à un certain point sans engendrer de répercussions négatives physiques et psychologiques;
  • Reconnaître que la composition corporelle requise pour une performance optimale n’est pas identique pour tous les athlètes;
  • Savoir reconnaître les signes et les symptômes des problèmes d’image corporelle et les risques associés tels que les troubles de l’alimentation, de l’humeur et d’estime de soi (Cash, 2008);
  • Mettre en œuvre un plan d’intervention au sein de l’équipe afin de déterminer comment aider l’athlète vivant avec de tels problèmes.

Conclusion

L’insatisfaction corporelle semble être un problème réel chez les athlètes, et ce, spécialement chez les athlètes féminines, chez les personnes participant à un sport mettant l’accent sur l’apparence et le poids, et chez les athlètes s’entraînant à un niveau compétitif élevé. Les athlètes seraient plus à risque lors des périodes où leur corps change, lorsque les gens de leur entourage émettent des commentaires sur leur apparence ou lorsque leur corps est exposé au regard des autres de diverses façons. Les programmes d’éducation ciblant les intervenants travaillant avec les athlètes détiennent un rôle important quant à la prévention de l’insatisfaction corporelle au sein de cette population.

Bibliographie

Bratland-Sanda, S. et Sungot-Borgen, J. (2012). Eating disorders in athletes: Overview of prevalence, risk factors and recommendations for prevention and treatment. European Journal of Sport Science, 13(5), 499-508. DOI:10.1080/17461391.2012.740504

Cash, T. F. (2008). The body image workbook: An eight-step program for learning to like your looks, second edition. Oakland, Californie : New Harbinger Publications.

de Bruin, A. P. K. et Oudejans, R. R. D. (2018). Athletes’ body talk: The role of contextual body image in eating disorders as seen through the eyes of elite women athletes. Journal of Clinical Sport Psychology, 12, 675-698.

de Bruin, A. P., Oudejans, R. R. D., Bakker, F. C. et Woertman, L. (2011). Contextual body image and athletes’ disordered eating: The contribution of athletic body image to disordered eating in high performance women athletes. European Eating Disorders Review, 19(3), 201-215.

Francisco, R., Alarcão, M. et Narciso, I. (2013). Parental influences on elite aesthetic athletes’ body image dissatisfaction and disordered eating. Journal of Child & Family Studies, 22(8), 1082-1091. doi: 10.1007/s10826-012-9670-5

Hausenblas, H. A. et Downs, D. S. (2001). Comparison of body image between athletes and nonathletes: A meta-analytic review. Journal of Applied Sport Psychology, 13, 323-339.

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Kong, P. et Harris, L. M. (2015). The sporting body: Body image and eating disorder symptomatology among female athletes from leanness focused and nonleanness focused sports. The Journal of Psychology, 149(2), 141-160. 

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Varnes, J. R., Stellefson, M. L., Janelle, C. M., Dorman, S. M., Dodd, V. et Miller, M. D. (2013). A systematic review of studies comparing body image concerns among female college athletes and non-athletes, 1997-2012. Body Image, 10, 421-432.

Voelker, D. K. et Reel, J. J. (2018). Researching eating disorders and body image in sport: Challenges and recommendations. Journal of Clinical Sport Psychology, 12, 473-479.