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Impasses fréquentes et leur résolution au sein de la thérapie de couple axée sur l’émotion

Dre Marie-France Lafontaine, psychologue

Directrice du Laboratoire de recherche sur le couple et professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa. Ses intérêts de recherche et cliniques portent principalement sur le fonctionnement conjugal.
 

Michelle Lonergan

Stagiaire postdoctorale au Laboratoire de recherche sur le couple à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa. Elle a obtenu son doctorat en psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université McGill. Elle s’intéresse à l’évaluation des traumatismes relationnels et aux interventions pour les traiter.

Dre Marlene Best, psychologue

Membre de l’équipe clinique à l’Institut du couple et de la famille d’Ottawa, elle est formatrice et superviseure certifiée en thérapie de couple axée sur l’émotion. Elle est également professeure clinique à l’Université d’Ottawa.
 

Dr Paul Greenman, psychologue

Professeur de psychologie clinique et directeur du Département de psychoéducation et de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais. Sa recherche porte sur la psychothérapie individuelle et conjugale auprès de personnes ayant des maladies physiques chroniques.

Dre Susan M. Johnson, psychologue

En tant que directrice du Centre international de l’excellence en thérapie de couple axée sur l’émotion, elle innove dans le domaine de la thérapie de couple. Elle est professeure émérite à l’Université d’Ottawa et a été investie de l’Ordre du Canada.

 


Les impasses thérapeutiques sont fréquentes en thérapie de couple et peuvent miner l’efficacité du processus thérapeutique. Ces impasses sont ici présentées et comprises sous la loupe de la thérapie de couple axée sur l’émotion (TCÉ), d’après laquelle la sécurité d’attachement ressentie au sein du couple est au coeur du changement thérapeutique. Nous résumerons brièvement les étapes et le processus de la TCÉ ainsi que le rôle de la théorie de l’attachement. Ensuite, nous discuterons des signaux d’alarme, des réponses typiques aux impasses en TCÉ et des causes possibles. Enfin, les stratégies de résolution d’impasses seront abordées afin de permettre à l’intervenant de fournir une intervention puissante favorisant le mieux-être du couple.

La description de la TCÉ
La TCÉ est une approche structurée brève dont l’efficacité pour soutenir les couples en détresse est validée par de nombreuses études empiriques (Wiebe et Johnson, 2016). Dans la TCÉ, les interventions privilégiées ont un effet de levier pour établir et recréer des liens empreints d'un soutien entre les partenaires amoureux. L’accent est placé sur l’exploration détaillée du vécu émotif de chaque partenaire et son impact sur le couple, et ce, afin de favoriser une saine corégulation émotionnelle en période difficile, de crise ou de détresse. La TCÉ puise donc ses racines théoriques dans les approches expérientielle et systémique, avec une place importante accordée à l’attachement (Johnson, 2004 ; 2019). Par la création d’une alliance thérapeutique sécurisante, les émotions de chacun sont cernées et exprimées de manière à occasionner de nouvelles réactions du partenaire. Ces dernières redéfinissent à la fois la vision de soi, celle du partenaire et celle de la relation. Il en résulte une nouvelle dynamique ayant l’avantage de contribuer au développement d’un lien d’attachement sécurisant qui, à son tour, permettra au couple de trouver de nouvelles solutions aux problèmes.

Le changement dans le processus thérapeutique de la TCÉ implique trois stades : 1) la désescalade du cycle interrelationnel problématique, 2) la restructuration de la dynamique et 3) la consolidation. Dans le premier stade, l’intervenant facilite l’identification des sujets de conflits (les activateurs de l’attachement). Il soutient aussi la reconnaissance du cycle interrelationnel problématique en ce qui a trait aux comportements, aux perceptions et aux émotions vives, comme la colère, de même qu’à l’accès aux émotions non avouées, comme la tristesse ou la peur, qui influencent les comportements réactifs dans la relation et sous-tendent les besoins d’attachement non comblés. Il s’agit d’une étape dans laquelle la création de l’alliance et l’espoir d’un cycle positif sont à l’honneur. Les conjoints reconnaissent à ce point-ci leur rôle dans la création et l’entretien du cycle négatif. L’intervenant aide les conjoints à voir leur cycle comme une tentative de connexion qui ne fonctionne pas, exacerbant plutôt la distance entre eux.

Les interactions du couple étant à présent plus fluides, dans le deuxième stade, l’intervenant encourage des changements dans les prises de position en aidant les individus à approfondir les émotions reliées à leurs besoins de connexion et de réconfort et à les exprimer directement à leur partenaire. L’intervenant encourage ensuite la compréhension, l’acceptation et la reconnaissance empathique du vécu de l’autre. Cet engagement approfondi résulte en des événements clés de réengagement émotionnel.

Le troisième stade a pour but de favoriser l’émergence de nouvelles solutions à d’anciens problèmes et de bien ancrer les nouveaux cycles positifs, dans lesquels une corégulation émotionnelle optimale est possible grâce à la sécurité d’attachement qui colore dorénavant les interactions du couple (pour plus de détails en français sur les étapes de la TCÉ, voir aussi Couture-Lalande, Greenman, Naaman et Johnson, 2007 ; Lafontaine, Johnson-Douglas, Gingras et Denton, 2008 ; Woldarsky Meneses, Gingras et Ragama, 2015).

Les impasses thérapeutiques : les causes et leur résolution

La figure 1 ci-haut représente la variété des impasses qui peuvent survenir non seulement en TCÉ, mais aussi à l’intérieur d’autres formes de thérapie de couple. Au cours de la TCÉ, ces impasses peuvent apparaître à n’importe quel moment, mais, le plus souvent, elles seront apparentes durant la phase de désescalade et de restructuration du cycle. Moins fréquemment, l’impasse peut survenir quand une personne (ou le couple) a de la difficulté à généraliser un changement de la thérapie à la maison. Les informations sur les impasses du présent article proviennent de divers écrits sur la TCÉ (Brubacher, 2017 ; Johnson, 2019 ; Johnson et al., 2005 ; Lafontaine et al., 2008).

Si elles ne sont pas résolues, les impasses génèrent une panoplie de réponses spécifiques tant pour le couple que pour l’intervenant (tableau 1).

Les causes des impasses sont multiples et tournent autour de la difficulté dans l’apprentissage du modèle en TCÉ ou du manque de compétence dans son application, du bris de l’alliance thérapeutique ainsi que de la présence de blessures d’attachement chez un ou les deux partenaires. En ce qui a trait au modèle, les impasses sont souvent liées à la difficulté de l’intervenant à bien gérer la séance, à engager et à apaiser un ou les deux partenaires, de même qu’à déterminer le cycle d’interaction problématique et les émotions primaires qui le sous-tendent et à y accéder. Une impasse peut aussi survenir lorsque l’intervenant a de la difficulté avec les interventions de base, telles que le rehaussement d’émotions fortes. Parfois, l’intervenant reste pris dans le cycle négatif du couple, de même que dans les contenus plutôt que dans les processus. Il y a aussi impasse lorsque l’intervenant ne se sert pas adéquatement du cadre de l’attachement ; par conséquent, l’intervenant et même le couple n’ont alors pas de «carte» de ce qu’une relation amoureuse sécurisante devrait être.

Ces impasses peuvent contribuer à une faible alliance thérapeutique et à un bris de l’alliance. Ce bris peut, en soi, constituer une impasse qui à son tour risque de maintenir d’autres impasses. En effet, une alliance thérapeutique collaborative offre une base sécurisante, permettant au couple de mieux explorer sa dynamique avec l’intervenant. Afin d’établir une forte alliance, l’intervenant en TCÉ doit valider les expériences émotionnelles de chaque partenaire et les introduire dans le cycle problématique, ce qui permettra d’orienter l’évaluation de la relation et d’encourager le partage. L’alliance doit toujours être présente, et toutes les brisures de celle-ci devront être réparées avant la poursuite de la thérapie. L’intervenant peut détecter une alliance en difficulté, entre autres, lorsqu’il ressent ou montre une faible compassion, n’est pas authentique ou responsabilise un partenaire pour les difficultés du couple.

La présence d’une blessure d’attachement au sein du couple, si elle n’est pas prise en considération, représente potentiellement un défi pour la création d’un nouveau lien sécurisant entre les conjoints et peut ainsi générer une impasse. Les blessures d’attachement peuvent être comprises comme des événements interpersonnels négatifs ou des traumatismes relationnels, lors desquels un partenaire se sent abandonné, trompé ou trahi (Johnson et al., 2001). En cours de thérapie, ces incidents refont surface de façon très vive et envahissante pour le partenaire blessé. Lorsque le partenaire qui a commis la blessure ne répond pas de façon apaisante et réparatrice, ou lorsque le partenaire blessé ne peut pas accepter cette réponse, la blessure s’aggrave et s’ancre dans le cycle négatif du couple.

La création d’une alliance forte est sans aucun doute un ingrédient important pour résoudre les impasses, mais ce n’est pas le seul. Le tableau 2 présente des stratégies pertinentes de gestion des impasses liées à la compétence en TCÉ, à l’alliance ou encore aux blessures d’attachement (voir aussi Johnson et al.,
2001 ; Lafontaine et al., 2008).

Conclusion

Les impasses font partie de tous les types de thérapies et génèrent de la frustration tant pour l’intervenant que pour les clients. Il est important d’être sensibilisé au fait qu’elles peuvent survenir en tout temps et que, lorsqu’elles arrivent, elles deviennent l’enjeu prioritaire. L’intervenant en TCÉ doit être en mesure d’observer, de reconnaître et d’accueillir les impasses afin de trouver les moyens les plus appropriés de les considérer. Il en va de sa capacité à créer une expérience thérapeutique qui permette l’épanouissement du couple.

 

Bibliographie

Brubacher, L. L. (2017). Stepping into emotionally focused couple therapy: Key ingredients of change. Londres, Royaume-Uni : Karnac Books.
Couture-Lalande, M.-E., Greenman, P. S., Naaman, S. et Johnson, S. M. (2007). La thérapie de couple axée sur l’émotion (EFT) pour traiter les couples dont la femme a le cancer du sein : une étude exploratoire. Psycho-oncologie, 1(4), p. 257-264.
Johnson, S. M. ( 2004). The practice of emotionally focused couple therapy: Creating connection (2e éd.). New York, NY : Brunner-Routledge.
Johnson, S. M., Bradley, B., Furrow, J. L., Lee, A., Palmer, G., Tilley, D. et Woolley, S. (2005). Becoming an emotionally focused couple therapist: The workbook. New York, NY : Routledge.
Johnson, S. M., Makinen, J. A. et Millikin, J. W. (2001). Attachment injuries in couple relationships: A new perspective on impasses in couples therapy. Journal of Marital and Family Therapy, 27(2), p. 145-155. doi:10.1111/j.1752-0606.2001.tb01152.
Johnson, S. M. (2019). Attachment theory in practice: Emotionally focused therapy (EFT) with individuals, couples, and families. New York, NY : Guilford Publications.
Lafontaine, M.-F., Johnson-Douglas, S. M., Gingras, N. et Denton, W. (2008). Thérapie de couple axée sur l’émotion. Dans
J. Wright, Y. Lussier et S. Sabourin (dir.), Manuel clinique des psychothérapies de couple (p. 277-312). Québec, Canada : Presses de l’Université du Québec.
Wiebe, S. A. et Johnson, S. M. (2016). A review of the research in emotionally focused therapy for couples. Family Process, 55(3), p. 390-407. doi:10.1111/famp.12229
Woldarsky Meneses, C., Gingras, N. et Ragama, E. (2015). Thérapie de couple centrée sur les émotions. Dans U. Kramer et E. Ragama (dir.), La psychothérapie centrée sur les émotions (p. 145-168). Issy-les-Moulineaux, France : Elsevier Masson SAS.