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Introduction au dossier - Cancer et psychologie

Experte invitée
Dre Marika Audet-Lapointe, psychologue, neuropsychologue

La Dre Audet-Lapointe est fondatrice de la Clinique PSYmedicis, qui offre des services spécialisés en onco-psychologie et en psychologie de la santé. Elle est chargée de cours au Département de psychologie de l’Université de Montréal. Ses intérêts cliniques et de recherche portent sur les effets neurocognitifs du cancer et des traitements associés en vue de contribuer au développement de traitements novateurs et intégrés en oncologie.


Lorsqu’un diagnostic de cancer s’impose, c’est le patient et tout son entourage qui doivent composer avec ce défi.Avec une personne sur deux qui risque d’en être touchée, autant dire que l’oncologie concerne l’ensemble de la population. Ce dossier thématique aborde les enjeux et les singularités entourant le cancer et la psychologie.

Juillet 2012, le téléphone sonne. Monsieur B., 36 ans, marié et père de jeunes enfants, a récemment reçu un diagnostic de cancer du côlon métastasé. « Je recherche un psychologue qui pourra me libérer de mes émotions, me libérer du stress, afin que je puisse guérir et vaincre le cancer. »

Première rencontre. Intérieurement, je suis hameçonnée par une colère sourde envers la psychogenèse du cancer, terrifiée à l’idée d’éloigner mon client par une approche trop scientifique et motivée par la conviction de faire de mon mieux. C’est le début d’un accompagnement mutuel.

En 2016, le mot cancer continue d’être un mot effroyable, tabou, perçu comme la maladie mortelle du 21e siècle. Il est vu comme un ennemi invisible, celui que l’on doit éradiquer. Il y a dans ce mot la conception d’un mal intérieur, la croyance d’en être responsable.

Or, saviez-vous que des lésions osseuses ont été trouvées sur des squelettes humains datant de la préhistoire? Sur des momies égyptiennes? Et même sur des squelettes de dinosaures? Eh oui, tout organisme vivant est susceptible de le développer, les animaux, les plantes et les arbres inclus. Monsieur B., lui, ne le savait pas.

Il est faux de parler du cancer. De fait, il s’agit des cancers. Il existe plus d’une centaine de types de cancers, chacun ayant ses particularités, son type histologique, son évolution et sa réceptivité aux traitements. La maladie oncologique est indéniablement complexe. Or, malgré sa complexité, le cancer n’est plus nécessairement mortel. Grâce aux avancées thérapeutiques, il est possible de vivre avec le cancer. Monsieur B. le souhaitait intensément.

Or, vivre avec le cancer génère un stress psychologique qui origine du CINE1. La maladie est souvent vécue comme une perte de Contrôle du corps, l’étiologie exacte du cancer étant imprécise. Le succès thérapeutique est Imprévisible, la certitude d’une absence de récidive est impossible. Le parcours oncologique est parsemé de Nouveauté (la maladie, les traitements, le langage médical). Vivre avec le cancer nous met en présence de l’idée de la mort et provoque une menace à l’Ego dans son sens large. Et qu’en est-il pour le jeune adulte? L’article de la Dre Amélie Ouellette et coll.* illustre judicieusement cet enjeu.

Il m’est impossible de cibler un moment du parcours oncologique plus sensible qu’un autre à la détresse. Monsieur B. en a fait la constatation. Convaincu que le diagnostic était le pire moment, il a saisi rapidement que la réponse émotive est tributaire du CINE, de la capacité de rebondir et des effets secondaires des traitements. L’article de Clarisse Defer et coll. présente avec doigté le défi de l’évaluation psychologique et celui de la Dre Marie-Claude Blais et coll.* souligne brillamment l’importance de considérer le partenaire de vie du patient.

Dès 2012, de protocole clinique en protocole expérimental en protocole alternatif, une question survient. Je demande à Monsieur B. : « Dites-moi, pourquoi choisir de s’engager dans ce traitement? »

Il me répond : « Pour vivre, pour jouer avec mes enfants, pour aimer ma femme, pour éliminer le cancer. »

Je n’ai jamais entendu Monsieur B. répondre : « Pour survivre. » Est-il adéquat d’utiliser le terme survivant? Je m’interroge. Ce terme fait référence à quelque chose de terminé. Est-ce réellement le cas en oncologie?

Parfois, la période la plus éprouvante sera la rémission. Monsieur B. s’est révélé tétanisé à ce moment. L’article de la Dre Aude Caplette-Gingras et coll. présente adroitement la peur de la récidive et un protocole d’intervention.

Les traitements oncologiques laissent parfois des séquelles à long terme. La présence de défis chez le jeune adulte ayant fait face au cancer durant l’enfance est réelle et habilement présentée par l’article d’Annie-Jade Pépin et coll. Pour leur part, la Dre Isabelle Rouleau et la Dre Marika Audet-Lapointe* présentent judicieusement les troubles cognitifs associés aux traitements oncologiques, communément nommés chemobrain.

Quoique la métaphore du combat et de l’esprit positif soit pratiquement omniprésente, elle préoccupe par sa composante culpabilisante. Elle m’inquiète par sa capacité d’éloigner la personne de ce qui lui est important en la coinçant dans le cercle vicieux de combattre contre. Chacun a sa façon de composer avec le cancer. Monsieur B. s’est présenté comme un superhéros, affublé de ses rollerblades gages de santé, intarissable de détermination, protecteur de sa famille, loin de lui l’idée de mener un combat. Appuyés par la théorie d’acceptation et d’engagement (ACT) (Dionne, Ngô et Blais, 2013; Hayes et coll., 2006; Hulbert-Williams, Storey et Wilson, 2015) et sa notion de matrice (Polk et Schoendorff, 2014), nous avons ensemble distingué lutter contre de lutter pour afin de cultiver la vie en présence du cancer et de ses répercussions.

Monsieur B. : « Je lâche prise. J’arrête de lutter contre. Je choisis de vivre ma vie avec le cancer : jouer, voyager, méditer, parler de la mort… »

Moi : « D’accord et… je m’interroge : est-il possible que votre esprit ingénieux essaie de vous convaincre? Si vous parvenez de façon “authentique” à lâcher prise sur l’idée de lutter contre, allez-vous vivre? »

Long silence. Sourire de Monsieur B.

Tout en subtilité, l’article de la Dre Line St-Amour et de la Dre Lucie Martin décrit la « dernière ligne de vie » et les défis de l’équipe traitante.

Décembre 2015, à l’heure du rendez-vous de Monsieur B., Madame F. arrive : « Je ne sais pas si c’est permis… Aujourd’hui, pourriez-vous pleurer avec moi? Mon amour nous a quittés. Il est mort dans la nuit. Il ne m’a pas laissé le temps. »

Les yeux remplis de larmes, je l’ai prise dans mes bras.

Monsieur B. a signé, à quelques heures de son décès, son testament. Fusionné à sa détermination de vivre, coincé dans le cercle vicieux de la lutte contre, il en a repoussé l’éventualité de mourir. J’ai été fortement hameçonnée par la conviction d’avoir échoué. Cette mort précipitée, sans préparation, sans paroles, semblait aller à l’encontre du fait de protéger et d’aimer sa famille. Ma tête me disait que je n’étais pas parvenue à l’accompagner dans le développement d’une flexibilité psychologique, dans le remplacement de cette incessante lutte contre par la reconnaissance de la situation et le choix de cultiver sa vie. Impossible de lui dire au revoir. En mars 2016, Monsieur B. aurait eu 40 ans, mon âge.

Puis, j’ai vu nos pas en direction d’une flexibilité devant l’inconcevable. L’oncologie nous met face à la force de vivre et à l’insondable mystère de la mort. Il peut arriver qu’on en perde le nord. Consulter régulièrement notre boussole intérieure, prendre soin de soi avec compassion est nécessaire. Monsieur B. me porte à continuer de cultiver la vie. Il m’inspire à poursuivre mes pas en direction du nord : contribuer au développement d’une onco-psychologie de qualité au Québec. Monsieur B., merci.

N.B. : Les textes dont le nom de l’auteur est suivi d’un astérisque sont à découvrir à l’adresse ordrepsy.qc.ca/psychologiequebec. On y trouvera aussi une boîte à outils qui offre une liste de références pertinentes pour les professionnels œuvrant en oncologie. 

Références

1. Institut universitaire en santé mentale de Montréal (2012-2016). Comprendre son stress. Recette du stress, Centre d’études sur le stress humain. Repéré à http://www.stresshumain.ca/le-stress/comprendre-son-stress/source-du-stress.html

Bibliographie

Dionne, F., Ngô, T.-L. et Blais, M.-C. (2013). Le modèle de la flexibilité psychologique : une approche nouvelle de la santé mentale. Santé mentale au Québec, 38(2), 111-130.
Hayes, S. C. et coll. (2006). Acceptance and commitment therapy: model, processes and outcomes. Behaviour Research & Therapy, 44(1), 1-25.
Hulbert-Williams, N. J., Storey, L. et Wilson, K. G. (2015). Psychological interventions for patients with cancer: psychological flexibility and the potential utility of Acceptance and Commitment Therapy. Eur J Cancer Care (Engl), 24(1), 15-27.
Polk, K. L. et Schoendorff, B. (2014). The ACT Matrix: A New Approach to Building Psychological Flexibility Across Settings & Populations. Oakland, CA : Context Press, New Harbinger Publications.