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Introduction au dossier - Image corporelle : entre reflets et distorsions

Dre Catherine Bégin, psychologue

Catherine Bégin est professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval. Ses travaux de recherche tout comme sa pratique clinique se concentrent sur le traitement des troubles alimentaires et de l’image corporelle. Elle dirige le Centre d’expertise poids, image et alimentation (CEPIA) de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF) de l’Université Laval.


Définition et portrait de la situation

L’image corporelle est un construit complexe qui englobe les perceptions et les attitudes qu’un individu a envers son corps, plus particulièrement envers son apparence physique (Cash et Pruzinsky, 2002). Elle consiste en la représentation mentale qu’une personne se fait de sa propre apparence. L’insatisfaction corporelle s’exprime par la différence entre la silhouette souhaitée et la silhouette réelle. Plus l’écart entre les deux est grand, plus l’insatisfaction corporelle sera grande.

L’insatisfaction corporelle est un construit relativement répandu qui touche une proportion significative de gens. Une revue de littérature incluant différentes études américaines rapporte des taux de prévalence d’insatisfaction corporelle allant de 11 % à 72 % chez les femmes adultes et de 8 % à 61 % chez les hommes adultes (Fiske, Fallon, Blissmer et Redding, 2014). L’importance du phénomène s’exprime également par le nombre impressionnant de chirurgies esthétiques pratiquées dans le monde chaque année. Ainsi, alors qu’il était estimé à plus de 20 millions en 2014 (Société internationale de chirurgie esthétique et plastique [ISAPS], 2015), ce chiffre est en croissance depuis (ISAPS, 2018). Les interventions les plus fréquemment accomplies sont le traitement à la toxine botulique (botox), l’augmentation mammaire et la liposuccion, pour ne nommer que celles-ci.

Une importante proportion des personnes qui passent sous le bistouri présenteraient un trouble de l’image corporelle reconnu par le DSM, soit la dysmorphie corporelle. En fait, les taux de prévalence des gens présentant une dysmorphie corporelle et qui recevraient une chirurgie esthétique varient grandement selon les études, mais pourraient aller de 2 à 54 % (Crerand, Sarwer et Ryan, 2017). Les données actuellement disponibles suggèrent que les traitements cosmétiques s’avèrent plutôt inefficaces pour les individus souffrant du trouble de dysmorphie corporelle (Bowyer, Krebs, Mataix-Cols, Veale et Monzani, 2016). En effet, ceux-ci sont, la plupart du temps, insatisfaits des changements mis en place par la chirurgie et, dans les rares cas de satisfaction, de nouvelles préoccupations émergent et se focalisent sur de nouvelles parties du corps (Greenberg, Weingarden et Wilhelm, 2019).

Bien que l’insatisfaction corporelle puisse découler d’un défaut précis relativement à l’apparence (par exemple une poitrine menue, des paupières tombantes, des biceps peu développés), il n’en demeure pas moins qu’au sein de notre société actuelle, vivre de l’insatisfaction corporelle fait souvent référence au fait d’être insatisfait de son poids. En fait, pour bon nombre d’individus, ces deux construits sont interreliés; le fait d’être plus « enrobé » que ce que véhiculent les médias comme image idéale s’avère une tare incompatible avec la beauté. Ces croyances ancrées proviennent, en partie, du contexte social dans lequel nous vivons, où beauté et minceur riment avec réussite et succès. Elles sont aussi alimentées par les industries cosmétique et pharmaceutique, par l’industrie de la mode et par d’autres industries lucratives bénéficiant financièrement de la promotion d’idéaux de minceur inatteignables (Hesse-Biber, Leavy, Quinn et Zoino, 2006).

Ainsi, la pression à la minceur est encore omniprésente. Par exemple, il est possible de constater une surreprésentation à la télévision, aux heures de grande écoute, de femmes minces, ainsi qu’un biais défavorable envers les personnes de forte taille (par exemple, elles peuvent être plus souvent ridiculisées) (Mastro et Figueroa-Caballero, 2018). Cette pression ne s’applique pas qu’aux femmes. En effet, le corps de l’homme est de plus en plus valorisé pour son esthétisme et on remarque la promotion de modèles masculins de plus en plus musclés. D’ailleurs, la somme des études empiriques menées sur le sujet montre que l’exposition au modèle de minceur et de musculature promu par les médias est associée à des préoccupations importantes concernant l’image corporelle chez les femmes et chez les hommes en général (Barlett, Vowels et Saucier, 2008; Grabe, Ward et Hyde, 2008), et que les hommes sont, eux aussi, touchés par un mécontentement généralisé à propos de leur corps (Tantleff-Dunn, Barnes et Gokee Larose, 2011).

Des statistiques percutantes appuient aussi ces états des faits. Selon un sondage mené auprès de femmes canadiennes, 80 % souhaiteraient perdre du poids, bien que plusieurs d’entre elles ne présentent pas de problème de poids (56 %) (Kalergis, Leung Yinko, Savoie, Dagenais et Simpson, 2011). Il semble également que leur plus grande motivation à perdre du poids réside dans l’amélioration de leur estime de soi (86 % d’entre elles), surpassant les raisons de santé (76 %) (Kalergis et al., 2011). De même, au Québec, c’est 73 % des femmes qui souhaiteraient perdre du poids. Chez les jeunes, en dépit du fait qu’ils affichent un poids insuffisant ou normal, près des deux tiers des filles de 13 ans rapportent entreprendre des actions afin de perdre du poids, tout comme le tiers des garçons de 16 ans font usage de suppléments ou pratiquent l’exercice excessif pour prendre du poids (muscles) (Association pour la santé publique au Québec, 2010).

Lorsque l’on s’intéresse plus particulièrement aux personnes présentant de l’obésité, il est possible de voir que ces dernières rapportent par ailleurs de plus hauts niveaux d’insatisfaction corporelle que les personnes qui présentent un poids dit « normal » (Weinberger, Kersting, Riedel Heller et Luck-Sikorski, 2016). La majorité des individus présentant un surplus de poids ou de l’obésité poursuivrait au moins une stratégie de gestion de poids (74 % des femmes et 60 % des hommes) (Yaemsiri, Slining et Agarwal, 2010). De la pression sociale ambiante pro-minceur se dégage un phénomène tout aussi nuisible au développement d’une saine image corporelle, soit la stigmatisation par rapport au poids. En effet, des taux de 19 à 42 % de discrimination à l’égard du poids sont rapportés par les individus ayant un surplus de poids ou de l’obésité, la prévalence augmentant avec l’importance du surpoids que présente la personne (Spahlholz, Baer, König, Riedel-Heller et Luck-Sikorski, 2016). Il va sans dire que, pour plusieurs, être discriminés sur leur poids contribue à nourrir leurs préoccupations quant à leur image corporelle (Puhl et Heuer, 2009).

Conséquences

Ces préoccupations et ces insatisfactions relativement à l’image corporelle viennent avec un lot de manifestations cliniques et de comportements malsains. Notamment, l’insatisfaction par rapport au poids a été associée à la dépression, indépendamment du sexe, de l’âge et de l’indice de masse corporelle (rapport entre la taille et le poids) des individus (Richard, Rohrmann, Lohse et Eichholzer, 2016). L’insatisfaction corporelle due à une estime de soi affaiblie a également été associée à l’anxiété ainsi qu’à la dépression (Duchesne et al., 2017). Il ne semble pas surprenant que l’insatisfaction à propos de l’image corporelle mène à l’adoption de comportements malsains visant à contrôler le poids. Par exemple, l’insatisfaction corporelle a été désignée comme le plus important déterminant des comportements de diètes chez les adolescentes (Mendes, Araújo, Lopes et Ramos, 2014). Chez les adolescents de sexe masculin, ceux qui rapportent être insatisfaits de leur poids présentent un risque significativement plus élevé d’utiliser des stéroïdes anabolisants (Jampel, Murray, Griffiths et Blashill, 2016). Ultimement, l’insatisfaction corporelle peut contribuer au développement de troubles des conduites alimentaires, cette variable ayant été identifiée de façon récurrente comme un important facteur de risque à ces troubles (Stice et Shaw, 2002). Dans ce contexte, ne serait-il pas plus approprié d’utiliser le proverbe « une image vaut mille maux »?

Prévention et intervention

Il semble que l’insatisfaction corporelle, qui découle, entres autres, de croyances ancrées associant la minceur au succès, à la performance et au bonheur, demeure difficile à prévenir et à traiter. Bien sûr, des modèles de traitement sont disponibles, permettant aux personnes qui sont aux prises avec de l’insatisfaction corporelle de trouver de l’aide individuelle (Cash, 2008). Le fait que les gens puissent avoir de l’aide pour aborder cette insatisfaction corporelle et la détresse qu’elle génère est essentiel. Les traitements, en visant principalement un travail sur le plan de la relation avec le corps et non sur la modification du corps en soi, assurent une satisfaction à plus long terme (Cash, 2008).

Néanmoins, considérant que l’insatisfaction corporelle cible une majorité de la population et que plusieurs réfèrent à un mécontentement normatif pour la décrire, les efforts collectifs, déjà mis en place, nécessitent d’être poursuivis. Ceux-ci doivent viser la promotion d’une image corporelle plus réaliste et diversifiée tout en enrayant les stéréotypes et les préjugés négatifs envers l’obésité. Parmi les initiatives actuellement proposées, notons par exemple le fait que plusieurs joueurs de l’industrie de la mode ont inclus des collections ou sélectionné des mannequins « taille plus » afin d’avoir une offre plus représentative des différents formats corporels. De même, le gouvernement du Québec a rédigé, en 2009, la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée, qui favorise une représentation plus réaliste des personnes en encourageant la diffusion d’images de personnes d’âges, de tailles, de poids et d’origines culturelles variés. Plusieurs autres efforts ont également été faits en ce sens, nommément des campagnes de sensibilisation menées par la compagnie Dove ou encore, au Québec, par l’organisme Équilibre.

C’est aussi dans l’optique de poursuivre cet effort collectif visant à mieux comprendre, démystifier et traiter l’insatisfaction corporelle que j’ai accepté de me joindre à une équipe d’autrices pour aborder ce sujet. Dans ce numéro de Psychologie Québec portant sur ce thème, l'article écrit par Jacinthe Dion, professeure à l’Université du Québec à Chicoutimi, et ses collaboratrices, aborde les enjeux d’image corporelle chez les adolescents, leurs conséquences et les facteurs associés, tout en proposant quelques pistes d’intervention.

Le texte présenté par Jodie Richardson, psychologue à la clinique Connecte, et sa collègue, s’intéresse plus particulièrement à l’univers des athlètes et à l’impact du sport sur l’image corporelle, tout en fournissant des pistes visant à prévenir certains problèmes et à intervenir auprès de cette clientèle.

Dans l'articleMarilou Côté, professionnelle de recherche et clinicienne au CEPIA de l’Université Laval, traite de l’interrelation entre les enjeux conjugaux et l’image corporelle et fait ressortir l’importance de s’intéresser au contexte d’intimité relationnel lorsqu’il est question d’image corporelle.

Un quatrième article, proposé par Marie-Pierre Gagnon-Girouard, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, et son équipe, aborde la stigmatisation à l’égard du poids, ses causes et ses conséquences et la façon d’intervenir en contexte clinique tout en sensibilisant les cliniciens à l’importance de reconnaître leurs propres préjugés corporels.

Dans un cinquième article, Stéphanie Léonard, psychologue et fondatrice de l’organisme Bien avec son corps, et sa collègue, traient de façon très nuancée de l’omniprésence des médias sociaux et de leur influence sur l’image corporelle non seulement des filles mais aussi des garçons, tout en identifiant les facteurs qui peuvent moduler le lien entre les médias sociaux et l’insatisfaction corporelle.

Finalement, un dernier article, proposé par Alex Drolet Dostaler et sa collègue de la clinique IMAVI, fait un survol du modèle de traitement de l’insatisfaction corporelle proposé par Cash (2008), tout en prenant soin de lier les différentes étapes du traitement à des exemples cliniques.

 

Références

Association pour la santé publique au Québec. (2010). Quand l’image vaut mille maux. Dans Bulletin de santé publique (vol. 32).
Barlett, C. P., Vowels, C. L. et Saucier, D. A. (2008). Meta-analyses of the effects of media images on men’s body-image concerns. Journal of Social and Clinical Psychology, 27(3), 279-310.
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