Agrégateur de contenus

Introduction au dossier

Dre Diane Marcotte, psychologue | Experte invitée

Directrice du Laboratoire de recherche sur la santé mentale des jeunes en contexte scolaire à l’Université du Québec à Montréal, elle dirige un programme de recherche sur l’émergence de la dépression et l’anxiété pendant les transitions scolaires et élabore des programmes de prévention destinés aux étudiants.

 


En 2000, le chercheur Jeffrey Arnett publiait dans la revue American Psychologist son fameux article référencé plus de 16 000 fois et dans lequel il proposait que l’âge de 18 à 25 ans – à partir de 2015 il parlera plutôt des 18 à 30 ans – constitue une période de développement distincte, soit celle de l’émergence à l’âge adulte. Dans les sociétés occidentales, où l’individu bénéficie d’une période moratoire avant l’engagement dans la vie adulte, cette période est caractérisée par quatre éléments centraux : une étape marquée par l’exploration identitaire, une grande instabilité, la centration sur soi et l’optimisme. 

L’adulte émergent s’interroge bien sûr à propos de son choix vocationnel, mais aussi sur la définition de son identité de façon élargie : quelles sont mes valeurs? quelle forme de relation intime est-ce que je souhaite vivre? de quelle façon vais-je faire une contribution à la société? Il s’agit également d’une période de grande instabilité, celle-ci pouvant être illustrée, entre autres, par la variabilité des lieux de résidence des individus de ce groupe d’âge. Alors que la grande majorité des adolescents vivent chez leurs parents et qu’à l’opposé, du moins sauf exception, les 30 ans et plus ne vivent plus chez leurs parents, les jeunes adultes émergents peuvent vivre chez leurs parents, en colocation, avec leur partenaire amoureux, en résidence sur le campus ou autres, sans compter que la fréquence des déménagements est également plus élevée chez ce groupe d’âge. C’est aussi une période de centration sur soi, au sens où l’individu est exempté de la pleine prise en charge complète des responsabilités de la vie adulte pour se centrer sur son développement personnel. Cette période est aussi caractérisée par l’optimisme. Finalement, lorsqu’interrogés par Arnett à savoir s’ils se considéraient comme des adolescents ou comme des adultes, ce sont 60 % des jeunes qui ont répondu se considérer dans l’entre-deux, « feeling in between », c’est-à-dire qu’ils estimaient  avoir quitté l’adolescence, mais ne pas avoir tout à fait intégré la vie adulte. 

Si la liberté associée à ce stade exploratoire est formidable, celle-ci n’a pas que des avantages! Elle comporte également son lot de stress et s’accompagne chez plusieurs jeunes adultes de symptômes d’anxiété et de dépression, en plus de constituer une période à risque d’apparition de troubles de santé mentale plus sévères tels que les troubles psychotiques (Kessler et al., 2012). En effet, ce contexte de liberté accrue n’est pas sans défi, puisqu’il exige l’acquisition préalable d’un certain degré d’autonomie et d’autocontrôle ou de discipline personnelle. Les jeunes qui n’ont pas développé une capacité d’autocontrôle suffisante parce qu’ils n’ont pas été suffisamment encadrés par l’école et le milieu familial ou qui, au contraire, ont été soumis à un encadrement trop rigide peuvent vivre des difficultés (Schulenberg et al., 2004). 

On assiste dans la dernière décennie à une augmentation importante du nombre de jeunes adultes requérant des services pour des problèmes psychologiques sérieux (Daddona, 2011; Fier, 2010). Mais les jeunes adultes d’aujourd’hui sont-ils différents de ceux des générations précédentes? Ont-ils des facteurs de vulnérabilité qui les caractérisent? Les travaux de la psychologue américaine Jean Twenge sont particulièrement éclairants sur le sujet. Cette chercheuse s’intéresse aux changements générationnels depuis plusieurs années. Dans un ouvrage publié en 2006, Generation Me: Why today’s young Americans are more confident, assertive, entitled — and more miserable than ever before, s’intéressant aux milléniaux, elle fait état de l’augmentation du trait de personnalité narcissique chez les jeunes adultes. Faisant référence au style parental souple et axé sur le développement de l’estime de soi, qui aurait peu préparé les jeunes à tolérer l’échec et la frustration, juxtaposé à une pression de performance, elle affirme que ces jeunes seraient plus vulnérables à l’anxiété et la dépression. En 2017, dans iGen: Why today’s super-connected kids are growing up less rebellious, more tolerant, less happy—and completely unprepared for adulthood, cette auteure propose une description de la génération née depuis 1995, donc celle à laquelle appartiennent nos jeunes adultes d’aujourd’hui, et qu’elle nomme iGeneration puisqu’ils sont la première génération à avoir traversé l’adolescence majoritairement avec l’utilisation du iPhone ou du téléphone intelligent. Les données recueillies sont éloquentes, puisqu’elles démontrent une augmentation marquée d’épisodes de dépression majeure à partir de 2011, tant chez les 12-17 ans que chez les 18-24 ans, cela en parallèle de l’augmentation de l’adoption du téléphone intelligent et du temps passé en ligne. Les résultats mettent également en lumière une diminution importante du temps passé avec les amis en personne ainsi qu’une augmentation du nombre de jeunes qui ont un sommeil de moins de sept heures par nuit. Ainsi, ces jeunes vivent dans un environnement différent de celui de leurs parents et grands-parents, et il est important de comprendre cet environnement en vue de leur offrir des interventions bien ajustées. 

Se définissant comme un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté (OMS, 2018), la santé mentale est bien davantage que l’absence de troubles mentaux. L’intervention se doit donc d’être diversifiée et de viser autant la diminution des symptômes que l’augmentation des facteurs de protection. Dans ce dossier sur les jeunes adultes, l’article de Turgeon et ses collaboratrices portera sur les étudiants universitaires et nous présentera une étude qualitative dont les résultats rappellent l’importance chez les futurs aidants de prendre soin de leur propre santé mentale, en plus d’insister à nouveau sur le besoin de diversification des services.

Les programmes de prévention ciblée, tels que notre programme multiniveaux Zenétudes et celui expérimenté par Rainville et ses collègues, s’orientent vers le développement d’une plus grande diversité de services, notamment dans les établissements d’enseignement collégiaux. Bien que ces deux programmes se distinguent de par leur composante et leur niveau d’intervention, ils mettent en lumière les possibilités d’intervention préventive permettant de rejoindre un plus grand nombre de jeunes adultes émergents. Enfin, l’article de Dionne et ses collaborateurs nous offre une présentation des plus pertinentes d’une réalité de plus en plus présente dans le contexte d’apprentissage de nos jeunes adultes d’aujourd’hui, soit celle du contexte d’enseignement à distance et du risque associé de difficultés liées à la procrastination.

En terminant, l’ensemble des articles présentés dans ce dossier sur les jeunes adultes touche les étudiants postsecondaires. Bien que les études ne confirment pas que cette sous-population vive davantage de problèmes de santé mentale que les jeunes adultes non étudiants, cet intérêt pour le milieu de l’enseignement fait écho à l’augmentation constante des demandes de consultation et au souci des dirigeants et intervenants professionnels d’offrir aux jeunes des services faciles d’accès dans leur milieu de vie quotidien.

Références

Arnett, J. J. (2000). Emerging adulthood: A theory of development from the late teens through the twenties. American Psychologist, 55(5), 469-480. https://doi.org/10.1037/0003-066X.55.5.469 

Arnett, J. J. (2015). Emerging adulthood: The winding road from the late teens through the twenties (2e éd.). Oxford University Press.

Daddona, M. F. (2011). Peer educators responding to students with mental health issues. New Directions for Student Services, (133), 29-39.

Fier, S. M. et Brzezinski, L. G. (2010). Facilitating the high school-to-college transition for students with psychiatric disabilities: Information and strategies for school counselors. Journal of School Counseling, 8(10), 1-40.

Kessler, R. C., Avenevoli, S., Costello, J., Georgiades, K., Greif Green, J., Gruber, M. J., He, J., Koretz, D., McLaughlin, K. A., Petukhova, M., Sampson, N. A., Zaslavsky, A. M. et Merikangas, K. R. (2012). Prevalence, persistence, and sociodemographic correlates of DSM-IV disorders in the National Comorbidity Survey Replication Adolescent Supplement. Archives of General Psychiatry, 69(4), 372-380. https://doi.org/10.1001/archgenpsychiatry.2011.160 

Organisation mondiale de la Santé. (2018). La santé mentale : renforcer notre action. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response 

Schulenberg, J. E., Sameroff, A. J. et Cicchetti, D. (2004). The transition to adulthood as a critical juncture in the course of psychopathology and mental health. Development and Psychopathology, 16(4), 799-806.

Twenge, J. (2006). Generation Me: Why today’s young Americans are more confident, assertive, entitled — and more miserable than ever before. Atria Books.

Twenge, J. (2017). iGen: Why today’s super-connected kids are growing up less rebellious, more tolerant, less happy —and completely unprepared for adulthood. Atria Books.