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Introduction au dossier

Karine Poitras, psychologue | Experte invitée
Exerçant en pratique privée depuis plus de 20 ans auprès des enfants et de leur famille, elle est professeure au Département de psychologie de l’UQTR et directrice du Laboratoire de psychologie légale. Ses travaux de recherche portent sur les trajectoires psychojudiciaires qui suivent la séparation parentale et celles associées à la  protection de la jeunesse.


Unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres (Organisation des Nations unies, 1989), la famille agit sur le développement de l’individu tout au cours de sa vie. Ainsi, la nécessité de faire l’évaluation du fonctionnement familial pour mieux saisir les problèmes individuels et familiaux fait consensus. Au cœur du fonctionnement familial, nous trouvons des composantes dynamiques, dont la qualité des relations parent-enfant et la qualité de la relation coparentale (Pauzé et al., 2017). Ces deux composantes du fonctionnement familial ont été abondamment étudiées dans les quatre dernières décennies, et les résultats qui en découlent rappellent le caractère déterminant de ces premières relations.

D’abord, les premières interactions sociales que l’enfant vit au sein de sa famille constituent le meilleur prédicteur de son développement cognitif et socio-affectif (Fearon, Bakermans-Kranenburg, van IJzendoorn, Lapsley et Roisman, 2010; Madigan, Atkinson, Laurin et Benoit, 2013) et influencent sa santé physique (Stewart-Brown, Fletcher et Wadsworth, 2005) et mentale (McLeod, Weisz et Wood, 2007; McLeod, Wood et Weisz, 2007). Le rôle central des premières interactions est d’une telle force que leur influence sur le fonctionnement s’observe tout au long de la vie de l’individu (Girme, Jones, Fleck, Simpson et Overall, 2020; Mak et Iacovou, 2019; Morgan, Brugha, Fryers et Stewart-Brown, 2012) et perdure, même, d’une génération à l’autre (Van IJzendoorn, Bakermans-Kranenburg, Coughlan et Reijma, 2020).

Par ailleurs, la qualité de la relation conjugale et coparentale est également centrale à la compréhension des difficultés présentes chez l’enfant (Teubert et Pinquart, 2010). L’évaluation de cette relation s’impose lors de toute demande de services psychologiques.

En s’intéressant aux problématiques en matière familiale, les auteurs ayant contribué à cette édition Web du magazine Psychologie Québec viennent révéler la famille comme objet d’évaluation complexe et comme levier d’intervention prometteur. Soutenant les meilleures pratiques évaluatives, le chercheur Pauzé nous propose un modèle du fonctionnement familial d’un grand niveau d’élaboration. Son texte nous rappelle que le fonctionnement familial est déterminant dans le développement de plusieurs problématiques (Goodrum et al., 2020; Leschied, Chiodo, Nowicki et Rodger, 2008; Teubert et Pinquart, 2010) et qu’un modèle du fonctionnement familial est nécessaire pour préciser les meilleures cibles d’intervention. Ensuite, les auteurs Lemieux, Drouin-Maziade et Berthelot nous proposent un texte éloquent sur la portée intergénérationnelle des traumas interpersonnels. Ils soulignent le rôle de ces traumas interpersonnels sur le bien-être psychologique des parents et le développement de leurs enfants et invitent les psychologues à une plus grande vigilance lors de demandes de services impliquant ces parents. Ils suggèrent enfin d’intervenir de manière à soutenir la mentalisation à propos de soi, de l’enfant et des traumas et soulignent que le traitement des traumas interpersonnels vécus par un membre de la famille a le potentiel d’améliorer le fonctionnement familial.

C’est en reconnaissant la famille comme unité fondamentale du développement de l’individu que le maintien de l’enfant dans sa famille est priorisé par un ensemble de lois. Toutefois, lorsque le développement et la sécurité de l’enfant sont compromis dans son milieu de vie, le système de protection de l’enfance de même que le système de justice civil favorisent la continuité et la stabilité des liens pour l’enfant (Godbout, Poitras et da Silva Guerreiro, 2020; Gouvernement du Québec, 2019). Dans leur texte portant sur les enjeux familiaux dans le contexte de l’intervention de la Direction de la protection de la jeunesse, les auteures Dubé, Baudry et Bédard soulignent l’apport de la théorie de l’attachement pour réfléchir à ces enjeux et pour nourrir les réflexions quant aux meilleures politiques sociales.

Il faut dire que le psychologue a un rôle privilégié auprès de l’enfant et de sa famille. Impliqué dans les programmes de prévention, d’évaluation et d’intervention, il a la possibilité de soutenir les facteurs de protection entourant l’enfant et sa famille, de l’accompagner dans son développement et dans son adaptation aux événements de la vie et aux transitions familiales. Dans leur article, les auteures Aimé, Harvey-Forsat et Lafrance nous rappellent d’entrée de jeu l’efficacité de la psychothérapie familiale pour un ensemble de problèmes relationnels et liés à la régulation des humeurs, de la pensée et des comportements (Carr, 2019). Elles précisent le rôle de l’évitement émotionnel dans le développement et le maintien de troubles psychologiques et décrivent la thérapie familiale centrée sur les émotions (TFCÉ). Modèle d’intervention prometteur, la TFCÉ agit sur les interactions familiales en utilisant le parent comme agent de changement dans le processus thérapeutique. Ensuite, Lagueux et Parent nous exposent l’intérêt des interventions de pleine conscience auprès des familles. Elles rappellent ainsi la nécessité de faire des parents les alliés de la psychothérapie, et ce, en psychothérapie individuelle auprès de l’enfant comme en psychothérapie familiale (Karver, Handelsman, Fields et Bickman, 2006; Thulin, Svirsky, Serlachius, Andersson et Öst, 2014).

Par ailleurs, certains événements vécus par la famille sont marquants, notamment la séparation parentale. Ainsi, le système familial demeure dynamique et tant les interactions familiales que la coparentalité peuvent en être perturbées. Il appert que les parents qui arrivent à traverser cette transition familiale avec succès entretiennent une relation de coparentalité satisfaisante (Drapeau, Tremblay, Cyr, Godbout et Gagné, 2008) et offrent un encadrement cohérent aux besoins de l’enfant (Vélez, Wolchik, Tein et Sandler, 2011). Or, les articles respectifs de Cyr et de Van Gijseghem abordent les enjeux familiaux qui se déploient lorsque la séparation familiale se complique et que le fonctionnement des enfants, des parents et du système familial prend des formes pathologiques. Ainsi, l’auteur Van Gijseghem nous décrit le phénomène de la situation d’aliénation parentale et nous réitère les défis d’en faire une évaluation rigoureuse. Pour sa part, l’auteure Cyr nous présente un modèle d’intervention psychojudiciaire auprès de familles vivant des conflits sévères à la suite de la séparation parentale. Elle vient mettre en exergue la robustesse de certains systèmes familiaux de même que la nécessité d’intervenir de façon interdisciplinaire. Elle argue qu’un travail de psychothérapie constitue un traitement de choix si l’on vise des changements significatifs dans le système familial et dans les perceptions, les comportements et les attitudes des membres de la famille.

L’ensemble de ces textes nous permet d’insister sur le fait que le système familial vivant des difficultés sollicite le système de santé et les systèmes scolaire et judiciaire, au sein desquels les psychologues interviennent. Ces professionnels ont un rôle privilégié dans l’identification des enjeux familiaux qui sous-tendent un ensemble de demandes et ont la responsabilité de bien circonscrire les besoins de ces familles et de leur offrir une intervention efficace. En somme, le psychologue agissant auprès des individus de tous âges et exprimant des besoins de tous ordres doit s’intéresser au contexte familial dans lequel ils évoluent et à l’histoire familiale qui les forge.

Références
Carr, A. (2019). Family therapy and systemic interventions of child-focused problems: The current evidence base. Journal of Family Therapy, 41, 152-213.
Drapeau, S., Tremblay, J., Cyr, F., Godbout, E. et Gagné, M. H. (2008). La coparentalité chez les parents séparés. Un idéal à soutenir pour l’enfant. Visages multiples de la parentalité, 256-281.
Fearon, R. P., Bakermans‐Kranenburg, M. J., Van IJzendoorn, M. H., Lapsley, A. M. et Roisman, G. I. (2010). The significance of insecure attachment and disorganization in the development of children’s externalizing behavior: A meta‐analytic study. Child Development, 81(2), 435-456.
Girme, Y. U., Jones, R. E., Fleck, C., Simpson, J. A. et Overall, N. C. (2020). Infants’ attachment insecurity predicts attachment-relevant emotion regulation strategies in adulthood. Emotion.
Krishnakumar, A. et Buehler, C. (2000). Interparental conflict and parenting behaviors: A meta‐analytic review. Family Relations, 49(1), 25-44.
Godbout E., Poitras, K. et Da Silva Guerreiro, J. (2020). L’interprétation du principe du meilleur intérêt de l’enfant dans la pratique : une analyse de rapports d’expertise et de jugements en matière de garde et de droits d’accès. Dans K. Poitras et P.-C. Gagnon (dir.), Psychologie et droit. Éditions Yvon Blais.
Goodrum, N. M., Smith, D. W., Hanson, R. F., Moreland, A. D., Saunders, B. E. et Kilpatrick, D. G. (2020). Longitudinal relations among adolescent risk behavior, family cohesion, violence exposure, and mental health in a national sample. Journal of Abnormal Child Psychology, 48(11), 1455-1469.
Gouvernement du Québec. (2019). Chapitre P-34.1. Loi sur la protection de la jeunesse. Québec, Qc : Éditeur officiel du Québec.
Karver, M. S., Handelsman, J. B., Fields, S. et Bickman, L. (2006). Meta-analysis of therapeutic relationship variables in youth and family therapy: The evidence for different relationship variables in the child and adolescent treatment outcome literature. Clinical Psychology Review, 26(1), 50-65.
Leschied, A., Chiodo, D., Nowicki, E. et Rodger, S. (2008). Childhood predictors of adult criminality: A meta-analysis drawn from the prospective longitudinal literature. Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice, 50(4), 435-467.
Mak, H. W. et Iacovou, M. (2019). Dimensions of the parent-child relationship: Effects on substance use in adolescence and adulthood. Substance Use & Misuse, 54(5), 724-736.
Madigan, S., Atkinson, L., Laurin, K. et Benoit, D. (2013). Attachment and internalizing behavior in early childhood: A meta-analysis. Developmental Psychology, 49(4), 672.
McLeod, B. D., Weisz, J. R. et Wood, J. J. (2007). Examining the association between parenting and childhood depression: A meta-analysis. Clinical Psychology Review, 27(8), 986-1003.
McLeod, B. D., Wood, J. J. et Weisz, J. R. (2007). Examining the association between parenting and childhood anxiety: A meta-analysis. Clinical Psychology Review, 27(2), 155-172.
Morgan, Z., Brugha, T., Fryers, T. et Stewart-Brown, S. (2012). The effects of parent-child relationships on later life mental health status in two national birth cohorts. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 47(11), 1707-1715.
Organisation des Nations unies (ONU). (1989). La Convention relative aux droits de l’enfant. Traité signé par l’ONU. New York, NY : ONU.
Pauzé, R., Cook-Darzens, S., Villeneuve, M. P., Chateauneuf, D., Petitpas, J. et Côté, J. (2017). Évaluation du fonctionnement familial : proposition d’un modèle intégratif pour soutenir la pratique clinique et la recherche. Thérapie familiale, 38(3), 295-328.
Teubert, D. et Pinquart, M. (2010). The association between coparenting and child adjustment: A meta-analysis. Parenting: Science and Practice, 10(4), 286-307.
Thulin, U., Svirsky, L., Serlachius, E., Andersson, G. et Öst, L. G. (2014). The effect of parent involvement in the treatment of anxiety disorders in children: A meta-analysis. Cognitive Behaviour Therapy, 43(3), 185-200.
Stewart-Brown, S. L., Fletcher, L. et Wadsworth, M. E. (2005). Parent-child relationships and health problems in adulthood in three UK national birth cohort studies. The European Journal of Public Health, 15(6), 640-646.
Van IJzendoorn, M. H., Bakermans-Kranenburg, M. J., Coughlan, B., et Reijma, S. (2020). Annual research review: Umbrella synthesis of meta-analyses on child maltreatment antecedents and interventions: Differential susceptibility perspective on risk and resilience. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 61(3), 272-290.
Vélez, C. E., Wolchik, S. A., Tein, J. Y. et Sandler, I. (2011). Protecting children from the consequences of divorce: A longitudinal study of the effects of parenting on children’s coping processes. Child Development, 82(1), 244-257.