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Introduction au dossier

Danielle B. Desjardins | Experte invitée

Durant près de 30 années à pratiquer la psychothérapie relationnelle, elle s’est questionnée sur les conditions nécessaires au développement de la compétence en psychothérapie. Forte de 30 ans d’expérience en supervision de stages cliniques à l’Université de Montréal et à l’UQAM, elle est désormais responsable du cours Supervision et consultation à l’UQAM. 


Depuis les 50 dernières années, les psychologues et les psychothérapeutes ont vu leur identité professionnelle, leur rôle professionnel et social, la conception de la santé mentale et la définition même de la psychothérapie évoluer et se transformer profondément. Qu’il suffise de se rappeler cette époque épique où des traitements étonnants pouvaient voir le jour et connaître un certain succès, et ce, sans avoir à démontrer de quelque façon que ce soit leur pertinence pas plus que leur efficacité. Il aura fallu plus de 15 ans de délibérations et de débats parfois animés pour que les cinq ordres professionnels qui offrent des services en santé mentale et en relations humaines s’entendent sur une définition de la psychothérapie. Ce ne sera finalement qu’en 2012 que les dispositions de la loi 28 (mieux connue sous le nom de « projet de loi 21 »), loi qui vise l’encadrement de la pratique en psychothérapie, entreront en vigueur (Prosper, 2014).

Que représente, désormais, le défi d’affirmer son identité de psychologue alors que la profession qu’on choisit d’exercer évolue toujours autant et est encore à promouvoir, et souvent à défendre, la spécificité de son rôle et de sa contribution essentielle à l’organisation globale des services de santé et de santé mentale ? C’est à cette question que ce dossier thématique est consacré.

Le tout jeune psychologue qui amorce sa tout aussi jeune carrière est savant. Il est fort des connaissances acquises tout au long de sa formation universitaire dans l’ensemble des champs de compétences exigés, aujourd’hui, pour pratiquer la psychothérapie. Théoriquement, sa représentation de la psychothérapie, et de ce qui n’en est pas, est claire. Mieux encore, il pourra appuyer sa pratique clinique sur des données probantes issues de la recherche clinique et fondamentale. Toutefois, l’expérience concrète de la rencontre avec ses premiers patients lui révélera assez rapidement que ce point d’appui, tout en étant fondamental, est bien fragile. Ainsi, le jeune psychologue connaîtra tout probablement cette désagréable sensation d’être savant mais de ne pas savoir. En effet, en voulant s’imposer une rigueur parfois trop orthodoxe, il peut être facile de basculer dans une certaine dérive idéologique en perdant de vue le but poursuivi, celui de veiller au mieux-être psychologique du plus grand nombre (Rousmaniere, 2017). Entre le moment où on obtient son permis de pratiquer la psychothérapie et celui où on devient à l’aise dans sa chaise de psychologue, il y aura un long chemin à parcourir pour réussir à transcender la sensation d’impuissance face à un client qui ne change pas.

Un important corpus de recherches contemporaines permet de valider que les méthodes et les traitements en psychothérapie sont d’autant plus efficaces pour traiter un large éventail de désordres psychologiques si le psychothérapeute se montre capable de moduler son travail en tenant compte des variables liées au client, à la relation thérapeutique et au contexte dans lequel s’inscrit le traitement (Castonguay et Hill, 2017). Qui plus est, et bien qu’il reste encore beaucoup de travail à faire afin d’en comprendre toute la complexité, l’observation et l’expérience clinique permettent de supposer que l’effet thérapeute ajouterait encore davantage à l’efficacité thérapeutique (Castonguay et Hill, 2017). Ainsi, au-delà de devoir maîtriser, sur le plan conceptuel et technique, le modèle d’intervention clinique choisi, les psychologues les plus souvent efficaces sont présents à l’expérience unique de leurs patients. Ils se montrent capables de s’accorder avec leur monde subjectif tout en gardant un sens de direction précis. Ils offrent de nouvelles représentations de leur expérience, travaillent à développer avec eux de nouvelles stratégies de régulation de leurs émotions et de résolution de problèmes adaptées à leurs enjeux uniques (Duncan et al., 2010).

Pour le jeune professionnel, le défi tiendra donc à inscrire son savoir-être thérapeute dans un cadre scrupuleusement respectueux des impératifs éthiques et déontologiques de la profession tout en préservant la créativité et la flexibilité nécessaires à la pertinence de son intervention pour chacun de ses patients uniques. Les particularités et les contraintes imposées par le milieu de pratique choisi (par exemple : les choix de traitement arbitraires guidés par la gestion des budgets insuffisants accordés aux services de santé mentale) ajouteront encore un peu plus au défi.

Avant que le jeune psychologue puisse accueillir ce que l’âme humaine a de plus sombre tout en conservant le meilleur de lui-même, il ressentira souvent un inconfort face à l’ambiguïté du processus thérapeutique et des décisions qu’il devra prendre, et ce, malgré les contradictions de la réalité clinique. Il sera tenté de se réfugier dans une identité professionnelle rigide (mais rassurante) parfaitement conforme à l’idée qu’il se fait de « un bon psy fait ça ». Malheureusement, ou heureusement, il découvrira, avec une certaine tension, que « ça, ça n’existe pas » (Kotler, 2003). C’est par le travail lent et parfois laborieux de la mentalisation de cette expérience émotive et cognitive complexe de devenir thérapeute qu’il tendra progressivement vers une pratique réflexive plus riche. Cette pratique réflexive, par laquelle il développera sa flexibilité et sa créativité, lui permettra plus souvent de résoudre les impasses thérapeutiques auprès des patients les plus difficiles, mais, surtout, elle lui permettra de définir une représentation plus juste de ce qu’il est comme personne, comme psychologue et psychothérapeute, et comme membre de cette profession (Ronnestad et Orlinsky, 2018). Profession, rappelons-le, qui évolue continuellement et qui est le reflet d’une époque spécifique et d’une culture singulière.

Dans ce numéro, Julie Prince-Dagenais nous fait découvrir les communautés de pratique comme lieu de soutien, de développement et de réflexion pour nous accompagner tout au long de notre pratique dans le développement de notre identité professionnelle. Pour sa part, Catherine Vandal nous rappelle que ce développement ne peut se faire sans heurts ni sans une certaine désillusion, sans oublier que ce passage obligé est peut-être source d’une plus grande créativité et garant d’une qualité de présence optimale auprès de nos clients. Marie Noël complète cette réflexion en nous faisant part de la solitude du thérapeute, une réalité existentielle incontournable de ce métier singulier. Elle nous propose plusieurs pistes d’exploration pour développer notre capacité à composer avec cette solitude. Enfin, Simon Grenier, Maxime Paquet et Inès Fizazi nous expliquent que même dans des champs de pratique très différents, l’expérience personnelle du psychologue et ses besoins de développement se ressemblent toujours un peu. Ce faisant, ils nous rappellent aussi que nous faisons tous partie de la même communauté.

En conclusion, disons simplement que développer et consolider son identité professionnelle comme psychologue et psychothérapeute est un défi de tous les jours qui exigera de nous, jeunes et moins jeunes, de continuer inlassablement d’apprendre, de maintenir le dialogue entre les cliniciens et les chercheurs afin de continuer à élargir le champ de nos connaissances et de nous engager activement dans le développement de politiques de santé mentale qui relèvent de notre responsabilité et de notre expertise. C’est à ce prix qu’à notre tour, nous transformerons encore la pratique de la psychothérapie, la représentation de la santé mentale qu’elle véhicule, ainsi que les manières de la promouvoir et de la protéger.

Bonne lecture, et c’est le bonheur que je vous souhaite dans cette pratique professionnelle que certains d’entre vous viennent tout juste d’amorcer alors que d’autres en sont à revoir, parfois avec tendresse et humour, le chemin cahoteux parcouru pour réussir à en faire cette profession complexe et unique qui est la nôtre.
 

Bibliographie

Castonguay, L. et Hill, C. (2017). How and Why are Some Therapists Better than the Others ? Understanding Therapist Effect. Washington, D.C. : American Psychological Association.

Duncan, B., Miller, S., Wampold, B. et Hubble, M. (2010). The Heart & Soul of Change (2e édition). Delivering What Works in Therapy. Washington, D.C. : American Psychological Association.

Kottler, J. et Carlson, J. (2014). On Being a Master Therapist: Practicing What You Preach. New York, NY : John Wiley & Sons.

Ronnestad, M. et Orlinsky, D. S. (2018). The Professionnal Development of Counsellors and Psychotherapists: Implications of empirical studies for supervision, training and practice. Counselling and Psychotherapy Research, 19(9).

Rousmaniere, T. (2017). Deliberate Practice for Psychotherapists: A Guide to Improving Clinical Effectiveness. New York, NY : Taylor and Francis.