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Introduction au dossier

Diane Spooner, psychologue | Experte invitée

Elle a œuvré au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine à compter de 1992 en pédiatrie-périnatalité comme superviseure en psychologie et génétique, puis à la Société québécoise d’hypnose de 2017 à 2020. Elle a aussi été conférencière : au Réseau mère-enfant de la Francophonie (RMEF) à Marseille, en 2013 ; au 20e congrès mondial ISH–CFHTB à Paris, en 2015 ; au congrès mondial de la Société internationale d’hypnose (ISH) en 2018, à Montréal ; et aux congrès de 2016 et de 2019 de la Société québécoise d’hypnose. Pour plus d'autres exemples de ses collaborations, il est possible de consulter INSPQ 20191, décès et deuil périnatal et CHU Sainte-Justine, 2019, Revenir les bras vides2.


Avant, pendant et après la naissance, la femme devenant mère et l’homme devenant père conçoivent, attendent, puis accueillent un enfant. Cette métamorphose individuelle, conjugale, familiale et collective constitue un axe de filiation familiale et sociale (Missonnier, 2013). Cette transformation constitue « une crise identitaire » (Slade et al., 2009), source de créativité et source de vulnérabilité ; les relations d’enfance vécues avec leurs propres figures d’attachement sont revisitées. Tout ceci peut se produire en contexte de pandémie et de pertes de repères familiaux, de migration, de survie, sans compter les médias sociaux qui font désormais partie de la réalité avec laquelle doivent composer de nombreux nouveaux parents.

Dans ce numéro thématique de Psychologie Québec, une mise à jour de certaines réalités de la périnatalité vous est proposée. Le premier article concerne un trouble négligé, peu diagnostiqué et peu traité, la dépression périnatale, vécue souvent dans la culpabilité, texte rédigé par l’auteure Bauer. Le deuxième article décrit quatre formes de besoins chez les pères lors de la période périnatale, et est signé par les auteurs Lacharité, Baker-Lacharité et Coutu.

Le troisième article, qui aborde le rôle parental à l’ère de la parentalité de performance, est rédigé par l’auteure Zéphyr. Le quatrième article présente pour sa part un modèle d’intervention auprès des adultes ayant un vécu traumatique, population plus à risque de symptômes de détresse et d’effets nocifs quant au style d’attachement. L’auteur Berthelot y décrit un programme préventif d’intervention qui peut être mis en place dès la grossesse, le STEP.

Rédigé par l’auteure Lara-Carassco, le cinquième article aborde quant à lui l’accompagnement des parents dans la symbolisation d’une mort insensée et les rituels de deuil périnatal. Enfin, le sixième article concerne les tabous du deuil périnatal à briser en milieu de travail. Cet article est une collaboration des auteures Meunier, Noël, de Montigny et Delawarde-Saïas.

Apaiser la souffrance et activer les ressources

Dans cette introduction, j’ai voulu, pour ma part, vous proposer d’aborder l’activation des ressources des parents en anténatal lors de complexité obstétricale ou fœtale et de risque pour la vie, en tenant compte de leur souffrance. L’intervention créée au préalable auprès d’enfants s’inspire d’habiletés à interagir qui se développent tôt dans la vie et sont détectées grâce à des indices visuels, sonores ou cénesthésiques dont parlent notamment les neurosciences.

Les interventions mises en place pour des nourrissons hospitalisés visent à donner du sens aux situations inhabituelles de la vie qui n’ont pas de sens, compte tenu des actes médicaux pratiqués sur leur petit corps pour leur survie, et ce, parfois, depuis leur naissance, ou impliquant des séjours à répétition comme en oncologie.

Nommer, valider et normaliser ces ressentis constituent des éléments centraux de la démarche thérapeutique afin de créer du sens tant pour le bébé et ses parents que pour le personnel.

Les études de René Spitz chez des bébés après la Seconde Guerre mondiale ainsi que d’autres recherches empiriques au cours des années 1980 ont fait ressortir d’importantes compétences précoces. Le nourrisson y est apparu comme un socialisateur actif et compétent, capable très tôt, sinon dès la naissance, d’interagir de façon efficace avec autrui et particulière avec son principal partenaire, sa mère (Spooner et al., 1992).

Ainsi divers canaux ou modalités de communication avec l’autre, souvent fort raffinés, avaient pu être étudiés, tels le regard mutuel et son effet renforçateur positif, les dialogues toniques et vocaux synchronisés et harmonisés ou le repérage empathique des dispositions affectives de l’autre à partir d’un ensemble d’indices visuels, sonores ou cénesthésiques (Spooner et al., 1992).

En fait, le bébé a une prosodie, sait se taire pour écouter, attend en silence, puis émet une réponse. Un autre apport important de connaissances provient des neurosciences : cerveau social, sens moral chez le bébé, douleur de l’incompréhension, empathies mutuelles, etc. (Decety, 2019 ; Dugnat, 2016 ; Giampino, 2020 ; Gravouil, 2016). Toutes les personnes intervenant auprès des tout-petits ont intérêt à connaître ces réalités afin de savoir favoriser leur bien-être.

Le recours à des stimulations bilatérales alternées (SBA) de mouvements oculaires (MO) lents et brefs permet d’apaiser rapidement, au besoin, leur détresse et celle de leurs parents. Des vignettes cliniques concernant des petits de 3 mois et demi, de 7 mois et demi et de 13 mois, ou encore de plus de 3 ans, en oncologie, ont fait l’objet d’une publication (Spooner, 2017).

Anténatal : dépistage et prévention

La crise « identitaire de la grossesse » conduit les futurs parents à revisiter les relations complexes vécues durant l’enfance avec leurs propres figures d’attachement. Parfois, les femmes se trouvent confrontées à un diagnostic complexe, obstétrical ou fœtal. Il peut arriver que leur vie ou celle de leur bébé à naître, ou les deux, soit compromise (Bacqué, 2013 ; Romano, 2015).

La grossesse comporte à la fois un caractère de fusion, d’idéalisation et d’ambivalence. Ce dernier aspect, souvent ignoré, possède aussi son importance, advenant notamment le risque de mort du « petit à protéger », ou son décès imminent .

Les femmes consultent parfois au CIDP  lors d’états de choc, de situation déstabilisante pour les deux parents sur différents plans, et ce, lors de la première grossesse et aussi lors de l’accouchement. La perte  d’un bébé se vit souvent dans la honte, une culpabilité massive nocive et un isolement vif prenant toute la place. Désormais, un rituel de deuil est offert en institut.

Consultation anténatale

L’entretien semi-structuré d’environ une heure et demie se déroule avec les deux parents qui, règle générale, consultent pour la première fois un psychologue. Divers problèmes ressortent datant de l’enfance ou l’adolescence : sommeil, attaques de panique, TSPT, décès d’un parent en bas âge, etc. L’évaluation permet le repérage des risques de dépression et d’entrave au processus de deuil, ou encore de deuil complexe – cela survient souvent lorsqu’il y a des composantes d’impasses (Delluci, 2016 ; Romano, 2015 ; Sajus, 2021).

Protéger les liens et aider à se projeter

Nommer, valider et normaliser les ressentis ou les réactions à la suite du choc du diagnostic (ou onde de chocs) et ainsi mettre en mots ce qui semble innommable apaise la souffrance et tisse des liens de sécurité. Un autre point majeur recherché est de réduire l’écart entre le bébé idéalisé et le bébé réel qui a reçu un diagnostic, source d’entrave et facteur de risque de dépression ou de transmission au prochain nouveau-né.

Il est nécessaire de donner des repères permettant à la mère de se projeter au-delà de l’accouchement associé à la peur de mourir ; la mort, pour chacun, confronte à notre propre finitude. La démarche qui suit facilite toutes ces situations complexes de deuil (Bacqué, 2013 ; de Clermont et Rey, 2015 ; Soubieux, 2010 ; 2011).

L’intervention thérapeutique avec le recours à de l’hypnose clinique (Bioy, 2020) se voit jumelée, parfois, aux SBA et aux lents MO. Cette approche permet de dénouer les impasses simplement et tout en douceur. L’évocation d’une série de souvenirs sensoriels agréables du parent crée un effet de stabilisation important (réassocié) et permet de traiter, dans un deuxième temps, la détresse, sans parler du traumatisme (Spooner, 2017).

Nous espérons que vous apprécierez ce dossier traitant des enjeux et des réalités de la périnatalité et nous vous souhaitons une bonne lecture.

Notes

1. INSPQ : fiche Décès et deuil périnatal, site du Portail d’information périnatale : questions et réflexions au sujet du deuil et du décès prénatal afin d’accompagner les futurs parents dans leur préparation.

2. CHU Ste-Justine Décès et deuil périnatal : Revenir les bras vides, une série de quatre émissions dans lesquelles des parents et leur entourage ayant vécu un deuil périnatal partagent leurs histoires)
 

Références

Bacqué, M. F. (2013). Des corps immémoriaux. Devenir du corps de l’enfant mort autour de la naissance. Deuil social et psychologique des parents. Corps, 1(11), 57-67. cairn.info/revue-corps-2013-1-page-57.htm

Bioy A. Hypnose et hypnothérapie. EMC - Psychiatrie 2020;0(0):1-11 Il est également possible de contacter Mme Diane Spooner, psychologue, CHU Ste-Justine, afin d'obtenir une copie de l'article. 

Decety, J. (2019). Les fondations biologiques de la morale chez le bébé. L’information psychiatrique, 96(2), 109-116. cairn.info/revue-devenir-2019-3-page-207.htm

de Clermont, C. et Rey, J. (2015). Accompagner le deuil périnatal : dialogues entre une mère et des professionnels. Lyon, France : Chronique sociale.

Delluci, H. (2016). Dissociation et traumatismes transgénérationnels : trouver du sens dans le non-sens. Dans J. Smith (dir.), Psychothérapie de la dissociation et du trauma, Paris, France, 2016.

Dugnat, M. (dir.). (2016). Empathie autour de la naissance. Toulouse, France : Érès.

Giampino, S. (2020). Et si en matière de socialisation, nous n’avions rien à « apprendre » aux bébés et aux jeunes enfants? Spirale, 3(95), 123-132. cairn.info/revue-spirale-2020-3-page-123.htm

Gravouil, J. F. (2015). Un cerveau social. Société française de Gestalt : Gestalt, 1(46), 81-94. cairn.info/revue-gestalt-2015-1-page-81.htm

Institut national de santé publique du Québec. (2011, octobre). Décès et deuil périnatal (fiche). Portail d’information périnatale. Modifié en mars 2019. inspq.qc.ca/information-perinatale/fiches/deces-et-deuil-perinatal

Korenromp, M. J., Page-Christiaens, G. C. M. L., van den Bout, J., Mulder, E. J. H., Hunfeld, J. A. M., Potters, C. M. A. A., Erwich, J. J. H. M., van Binsbergen, C. J. M., Brons, J. T. J., Beekhuis, J. R., Omtzigt, A. W. J. et Visser, G. H. A. (2007, août). A prospective study on parental coping 4 months after termination of pregnancy for fetal anomalies. Prenatal Diagnosis, 27(8), 709-716. https://doi.org/10.1002/pd.1763

Missonnier, S. (2013). Périnatalité : interdisciplinarité et psychologie clinique. Le Journal des psychologues, 6(309), 22-66. https://doi.org/10.3917/jdp.309.0022

Romano, H. (dir.) (2015). Accompagner le deuil en situation traumatique : 10 contextes cliniques. Paris, France : Dunod.

Sajus, N. (2021). Le traumatisme psychique : psychologue entre psychanalyse et neurosciences. Le Journal des psychologues, 8(390), 60-64. https://doi.org/10.3917/jdp.390.0060

Slade, A., Cohen, L. J., Slader, L. S. et Miller, M. (2009). The psychology of pregnancy: Reorganization and transformation. Dans J. C. H. Zeanah (dir.), Handbook of Infant Mental Health (3e édition) (p. 22-39). Guilford Press. 

Soubieux, M. J. (2010). Le deuil périnatal. Bruxelles, Belgique : Fabert.

Soubieux, M. J. (2011). Les bébés des limbes. Le Carnet Psy, 5(154), 42-46.

Spooner, D., Ricard, M. et Saucier, J. F. (1992). L’interaction mère-enfant et la genèse de soi chez le nourrisson. Canadian Journal of Psychiatry, 37(6), 406-411.

Spooner, D. (2017). EMDR adapté en pédiatrie et périnatalité. Dans L. Souche et N. Baltenneck (dir.), Mieux comprendre la thérapie EMDR : 13 études de cas. Paris, France : Éditions In Press.