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Introduction - Troubles mentaux sévères et persistants

EXPERTE INVITÉE
Dre Tania Lecomte | Psychologue

La Dre Tania Lecomte est psychologue, professeure titulaire au Département de psychologie de l’Université de Montréal et chercheuse responsable de l’axe Traitement et réadaptation au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Ses travaux portent sur le rétablissement, via le développement de thérapies efficaces, des personnes aux prises avec un trouble mental grave. 


En 1963, Karl Jaspers décrivait les idées délirantes comme des pensées inexplicables et irrationnelles (Jaspers, 1963). Cette description illustre en grande partie les raisons pour lesquelles les troubles mentaux graves ont été si longtemps délaissés par les psychologues et relégués quasi exclusivement aux traitements médicaux. De plus, les premières études portant sur la psychothérapie (d’approche psychodynamique) ne montraient aucun effet bénéfique et parfois même des effets néfastes (p. ex. un taux de réhospitalisation plus élevé, un moins bon fonctionnement social et une plus grande sévérité symptomatologique [Mueser et Berenbaum, 1990]). 

Grâce à la désinstitutionnalisation des soins psychiatriques à la fin du 20e siècle, de nombreux constats ont vu le jour. D’une part, l’entraînement aux habiletés sociales facilite l’intégration sociale des personnes avec un trouble mental grave, et ce, au-delà de la prise de médicaments et de l’apprentissage d’habiletés de vie autonome (Kopelowicz, Liberman et Zarate, 2006). D’autre part, plus d’un tiers des personnes avec un diagnostic de schizophrénie, souvent perçues comme atteintes d’un trouble chronique sans retour, se rétablissent, c’est-à-dire qu’elles peuvent vivre sans symptômes psychiatriques, ont un emploi, une famille et une vie remplie et accomplie (Harding et coll., 1987). 

Aujourd’hui, des avancées thérapeutiques (psychologiques et pharmacologiques) font en sorte que la plupart des personnes avec un trouble psychotique peuvent prétendre à un rétablissement. Ce dernier n’implique pas forcément une absence de symptômes – plusieurs gens apprennent à vivre avec leurs symptômes et à les gérer, avec ou sans médicaments. Le concept de rétablissement renvoie plutôt à une meilleure connaissance de soi, à une redéfinition identitaire et à une fierté personnelle dans l’atteinte de nouveaux buts. Les résultats de nos études montrent que les buts de la personne sont relatifs aux sphères d’activité de la plupart des gens, soit le désir d’avoir une vie intéressante, d’avoir un emploi satisfai- sant, des relations amicales et amoureuses, un logement au- tonome et une bonne santé physique et mentale (Lecomte et coll., 2005). 

Plusieurs programmes et interventions qui visent à soutenir la personne dans son rétablissement sont validés empiriquement et considérés comme faisant partie des meilleures pratiques en réadaptation/réhabilitation psychiatrique (Lecomte et Leclerc, 2012 ; Lecomte, Corbière et Leclerc, 2014). Parmi ceux-ci gurent les programmes de soutien à l’emploi, qui permettent aux personnes de se réinsérer sur le marché du travail ordinaire au même titre que toute autre personne, en exerçant un emploi qui correspond à leurs préférences. La thérapie cognitive-comportementale individuelle ou de groupe (Lecomte, Leclerc et Wykes, 2016) permet aux personnes de trouver des stratégies pour diminuer leurs symptômes, améliorer leur estime de soi et leur capacité à gérer le stress. La remédiation cognitive, quant à elle, est une intervention qui cherche à pallier les déficits neurocognitifs liés à la mémoire, à l’attention et aux fonctions exécutives. Les programmes destinés aux personnes avec un trouble mental grave et un problème de consommation (troubles concomitants, 50 % de la clientèle) visent à diminuer ou cesser leur consommation de drogue ou d’alcool. Les interventions familiales permettent aussi de renforcer un maintien dans la communauté en diminuant les rechutes et en améliorant la communication entre les parents et leur proche. Les articles de ce dossier font référence à certaines de ces interventions, dont plusieurs sont offertes par des psychologues-psychothérapeutes ou encore par des neuropsychologues. 

L’une des avancées des dernières années est l’intervention précoce, c’est-à-dire une détection et une intervention rapide dès l’apparition des premiers symptômes. Les auteurs de plu- sieurs études soutiennent qu’une intervention rapide permet une meilleure réponse au traitement et peut ainsi éviter la chronicisation du trouble. Une initiative canadienne récente s’appuie d’ailleurs sur cette prémisse avec son objectif préventif d’améliorer, dès l’adolescence, les services de détection et d’intervention auprès des jeunes présentant des signes de troubles mentaux. 

Il est important de souligner qu’une distinction doit être faite entre des symptômes psychotiques, un épisode psychotique et un trouble mental grave. Environ 18 % de la population générale présente de manière régulière des symptômes psychotiques (Johns et van Os, 2001), mais ne présente pas de détresse ni d’altération marquée du fonctionnement. N’importe qui peut vivre un épisode psychotique lorsque confronté à un stress extrême (p. ex. traumatisme, deuil, abus de substance), mais seulement environ 2 % de la population présente des symptômes psychotiques qui perdurent, qui suscitent de la détresse et qui ont un impact sur le fonctionnement qui justi e un diagnostic de trouble mental grave. Une intervention psychologique validée (p. ex. la thérapie cognitive-comportementale) devrait être envisagée avant même une intervention pharmacologique, vu les effets secondaires importants documentés des médicaments (p. ex. obésité, diabète, troubles cardiaques, troubles sexuels, troubles cognitifs), notamment lorsque la personne n’est pas en crise aiguë. 

Au-delà des symptômes cliniques, la plus grande embûche à l’intégration sociale des personnes avec un trouble mental grave demeure la stigmatisation. La réalité est que moins de 4 % des personnes avec un trouble mental grave ont un potentiel de violence, alors que plus de 30 % sont victimes de violence (Teplin et coll., 2005). Les personnes en viennent à s’autostigmatiser et à ne plus croire en leur potentiel de rétablissement. Nous avons tous un rôle à jouer comme psy- chologues auprès de cette clientèle. Nous devons en particulier nous défaire de nos attitudes de crainte, de trop grande bien- veillance, voire de paternalisme, pour soutenir réellement la personne dans son rétablissement. 

 

Références

Harding, C. M., et coll. (1987). Vermont longitudinal study of persons with severe mental illness, I: Methodology, study sample, and overall status 32 years later. American Journal of Psychiatry, 144, 718-726. 

Jaspers, K. (1963) General Psychopathology (traduit de l’allemand par J. Hoenig & M.W. Hamilton). Manchester : Manchester University Press. 

Johns, L., et van Os, J. (2001). The continuity of psychotic experiences in the general population. Clinical Psychology Review, 21(8), 1125-1141. 

Kopelowicz, A., Liberman, R. P., et Zarate, R. (2006). Recent advances in social skills training for schizophrenia. Schizophrenia Bulletin, 32, s12-s23. 

Lecomte, T., Corbière, M., et Leclerc, C. (2014). Les interventions basées sur les résultats probants en réadaptation psychiatrique – lesquelles prioriser et pourquoi ? Canadian Journal of Psychiatry, 59(4), 196-202. 

Lecomte, T., et coll. (2005). Consumers’ goals in psychiatric rehabilitation and their concordance with existing services. Psychiatric Services, 56, 209-211. 

Lecomte, T. et Leclerc, C. (dir.). (2012). Manuel de réadaptation psychiatrique, 2e édition. Québec : Les presses de l’Université du Québec. 

Lecomte, T., Leclerc, C., et Wykes, T. (2016). Group CBT for Psychosis – A Guidebook for Clinicians. New York : Oxford University Press. 

Mueser, K. T. et Berenbaum, H. (1990). Psychodynamic treatment of schizophrenia: is there a future? Psychological Medicine, 20(2), 253-262. 

Teplin, L. A., et coll. (2005). Crime victimization in adults with severe mental illness – Comparison with the National Crime Victimization Survey. Archives of General Psychiatry, 62(8), 911-921.