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« Je le ferai demain » : la procrastination chez les étudiants

Dr Frédérick Dionne, psychologue
Professeur agrégé au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Ses projets de recherche portent sur l’implantation et l’évaluation d’interventions psychologiques innovantes, notamment pour la procrastination scolaire et la douleur chronique.
 

Jean-Philippe Béliveau
Finissant au baccalauréat en psychologie à l’UQTR. Son projet de recherche s’intéresse aux liens entre la procrastination, le sentiment d’efficacité personnelle et le perfectionnisme chez les étudiants universitaires.

 

Arianne Marois
Finissante au baccalauréat en psychologie à l’UQTR. Son projet de recherche s’intéresse aux liens entre la procrastination, la flexibilité psychologique et le perfectionnisme chez les étudiants universitaires.

 

Joël Gagnon
Postdoctorant à l’Université Laval. Ses intérêts de recherche portent notamment sur la persévérance scolaire ainsi que sur l’utilisation des nouvelles technologies en éducation.


 

Dr Frédéric Langlois, psychologue
Professeur titulaire au Département de psychologie de l’UQTR. Ses recherches ciblent le perfectionnisme, l’anxiété de performance et d’autres troubles comme l’anxiété généralisée, l’hypocondrie, le trouble obsessionnel-compulsif.

 


Sacha est un étudiant fictif de 21 ans en génie électrique. Il se décrit comme un grand sportif, un gars sociable et un amateur de Netflix. Il se dit également de nature impulsive, voire quelque peu hyperactive. Sacha doit bientôt passer un important examen, mais il ne se résout tout simplement pas à s’assoir devant ses livres pour étudier. Il se répète qu’il sera plus efficace dans l’étude de dernière minute. « J’ai encore beaucoup de temps », songe-t-il, alors qu’il visionne un énième épisode de télésérie.

Un problème majeur dans les cégeps et les universités 
Sacha fait partie des nombreux étudiants collégiaux et universitaires aux prises avec un problème de procrastination. Selon une vaste enquête menée en 2015 auprès de 2295 étudiants de l’Université du Québec à Trois-Rivières par les Services aux étudiants (SAE), remettre les tâches à plus tard est la principale difficulté affectant les étudiants (rapportée par 23 % d’entre eux), la deuxième étant la difficulté à gérer son temps (21 %). Pour 20 à 30 % de la population étudiante, la procrastination est un problème sérieux affectant le rendement scolaire et la qualité de vie (Steel et Ferrari, 2013). Cette propension à remettre inutilement les tâches au lendemain est d’autant plus préoccupante dans le contexte d’enseignement à distance, où les cours sont généralement asynchrones et où les étudiants bénéficient de moins d’encadrement. Cet article vise à définir la procrastination et à présenter les principaux modèles thérapeutiques et des stratégies d’interventions. Il décrit également les résultats d’une étude sur la procrastination menée dans le contexte de l’enseignement à distance. 

Qu’est-ce que la procrastination ?
Bien que la procrastination soit étudiée depuis plusieurs années, à ce jour, il n’existe pas de définition consensuelle sur la question. À la suite d’une revue de la littérature, Klingsieck (2013) a proposé une définition qui distingue la procrastination d’un report de tâches dit « fonctionnel » par les trois éléments suivants : 1) le report est inutile ou irrationnel; 2) le report est effectué malgré les conséquences négatives potentielles (par exemple, une note plus faible) et 3) le retard s’accompagne d’un certain degré de souffrance ou de détresse (par exemple, le stress ou la culpabilité). Pour reprendre l’histoire de Sacha, lorsque l’étudiant repousse constamment à plus tard l’étude pour son examen en regardant des téléséries, il sait pertinemment que sa note en souffrira, mais il le fait tout de même, malgré le fait qu’il souhaite ardemment réussir cet examen. Il reconnaît qu’il sera également soumis à une période de stress et à des nuits d’insomnie, mais c’est « plus fort que lui », dira-t-il. Il n’arrive tout simplement pas à résister aux sollicitations extérieures et à se mettre à la tâche.

Approches thérapeutiques et pistes d’intervention
Il existe différents modèles d’intervention qui permettent de mieux comprendre la procrastination (Rozental et al., 2018; Van Eerde et Klingsieck, 2018). Étant donné qu’il n’existe pas une théorie commune de la procrastination (Van Eerde, 2003), chaque modèle est associé à des cibles d’intervention différentes définies ci-dessous.

Approche psychodynamique 
Selon l’approche psychodynamique, la procrastination peut être comprise comme un mécanisme de défense, une façon de protéger un « ego » fragile (Burka et Yuen, 1983). Pour reprendre notre exemple de Sacha, il serait moins menaçant pour l’étudiant d’attribuer un échec potentiel à un facteur externe (par exemple, une étude de dernière minute), plutôt qu’à une faille personnelle (par exemple, un manque d’intelligence). Ce comportement « auto handicapant » tire ses origines dans les styles d’attachement parental d’au moins deux façons. D’une part, un parent peut entretenir des attentes irréalistes envers son enfant, rendant l’amour parental tributaire de la réussite scolaire, ce qui peut occasionner ultérieurement des doutes et de l’anxiété chez l’étudiant. D’autre part, un style parental autoritaire et contrôlant pourrait mener un étudiant à exprimer une colère inconsciente face à l’autorité en refusant de se plier aux échéanciers imposés de l’extérieur (un comportement passif agressif; Ferrari, Johnson et McCown, 1995). L’intervention psychodynamique consisterait à résoudre les conflits émotionnels et relationnels en explorant les styles d’attachement parental. Malgré un certain soutien empirique selon lequel les relations familiales antérieures influencent la procrastination (Pychyl, Coplan et Reid, 2002), il existe très peu de recherches cliniques sur l’efficacité de l’intervention (Rozental et al., 2018).

Thérapie comportementale 
L’approche comportementale se fonde sur les principes de conditionnement opérant et répondant. Sacha ajourne les tâches, car il est soumis à un double renforcement, ce qui augmente la probabilité d’apparition de ce comportement. Premièrement, face à une tâche désagréable qui occasionne de l’anxiété, la procrastination amène un soulagement émotionnel à court terme (renforcement négatif). Deuxièmement, la procrastination permet d’accéder à une activité agréable comme consulter les réseaux sociaux (renforcement positif). En raison des bénéfices immédiats que procure la procrastination, il s’agit d’un comportement continuellement renforcé où les objectifs à long terme (par exemple obtenir un diplôme) n’exercent pas suffisamment d’emprise sur l’étudiant (Ferrari et al., 1995). La gestion du temps, l’aménagement des contingences de l’environnement, l’octroi de récompenses et l’exposition graduelle figurent parmi les principales stratégies d’intervention (Steel, 2007). Parmi celles-ci, la gestion du temps bénéficie d’un certain appui empirique (voir Glick et Orsillo, 2015). 

Thérapie cognitive 
En plus d’intégrer des stratégies comportementales, l’approche cognitive met l’accent sur le rôle des pensées dysfonctionnelles dans le développement et le maintien de la procrastination (Ellis et Knaus, 2002). Sacha distord le temps d’au moins deux façons : il surestime le temps qu’il lui reste pour réaliser une tâche (« j’ai encore beaucoup de temps ») et il sous-estime le temps nécessaire pour en accomplir une autre (« cette tâche ne va me prendre que 20 minutes »; Pychyl, 2013). La peur d’échouer, un faible sentiment d’efficacité personnelle et la tendance à justifier ses comportements par des prétextes (par exemple songer que l’on sera plus en forme le lendemain) influencent également la propension à remettre les tâches à plus tard (Pychyl, 2013; Rozental et al., 2015). Les méthodes d’intervention ont pour but de nommer puis de modifier les croyances dysfonctionnelles afin de favoriser l’engagement dans les tâches. L’efficacité d’une intervention cognitive en ligne de 10 modules a été évaluée dans un essai contrôlé aléatoire auprès de 150 étudiants universitaires en comparaison à une liste d’attente. L’intervention est associée à des tailles d’effets variant de modérées à élevées (Rozental et al., 2015), et ces résultats se maintiennent au suivi d’un an (Rozental et al., 2017).

« Les tendances perfectionnistes peuvent-elles contribuer à la procrastination scolaire ? »

Deux méta-analyses récentes rapportent un lien positif significatif modéré entre les préoccupations perfectionnistes et la procrastination (Sirois et al., 2017; Xie, Yang et Chen, 2018). Sirois et ses collaborateurs (2017) ont proposé que des préoccupations perfectionnistes mènent certains étudiants à douter de leur capacité à atteindre un but, en raison d’un faible sentiment d’efficacité personnelle ou de l’autocritique, ce qui pourrait ensuite les entraîner à procrastiner.


Thérapie d’acceptation et d’engagement 
La thérapie d’acceptation et d’engagement (dont l’abréviation en anglais est ACT) (Hayes, Strosahl et Wilson, 2012) conçoit la procrastination comme un manque de flexibilité psychologique. Pour Sacha, il s’agirait d’une tendance à l’évitement expérientiel (Dionne, Gagnon et Raymond, 2020; Scent et Boes, 2014). L’intervention ACT vise à développer une meilleure flexibilité psychologique, la capacité d’être dans le moment présent et d’agir conformément à ses valeurs personnelles, tout en acceptant les émotions ou les pensées désagréables (Hayes et al., 2012). Wang et ses collaborateurs (2017) ont comparé l’efficacité d’une intervention ACT à celle d’une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et à une liste d’attente (N = 60) dans un programme de huit semaines dont les séances duraient 180 minutes. Les résultats ont permis de constater que les deux interventions (ACT et TCC) mènent à une diminution de la procrastination chez les participants. L’effet de l’intervention ACT est un peu supérieur à celui de l’intervention TCC dans la diminution des affects négatifs à plus long terme (Wang et al., 2017). Cependant, dans cette étude, le suivi à plus long terme s’est limité à trois mois et les mesures de procrastination étaient autorapportées par les participants.

Théorie de l’autorégulation 
Selon la théorie de l’autorégulation, la procrastination résulterait principalement d’un échec d’autorégulation (Sirois et Pychyl, 2013). Sacha aurait tendance à réagir à la gratification immédiate au détriment de ses objectifs à long terme. Ce serait une façon de gérer ses humeurs dans l’immédiat et ça dénoterait une tendance à agir avec impulsivité (Sirois et Pychyl, 2013; Steel, 2007). La difficulté d’autorégulation serait explicable, en partie, par une motivation non autodéterminée (c’est-à-dire une motivation extrinsèque), ce qui contribuerait à la propension à la procrastination. À l’inverse, une motivation autodéterminée (ou intrinsèque) favoriserait la persévérance et la réussite scolaire (Senécal, Koestner et Vallerand, 1995). Les interventions axées sur l’autorégulation consistent à établir et à planifier des objectifs concrets (par exemple au moyen d’une liste « to do »), à réduire les distractions de l’environnement et à favoriser l’autoverbalisation positive afin d’augmenter la maîtrise de soi et le sentiment d’efficacité personnelle (Grunschel, Patrzek, Klingsieck et Fries, 2018). Ce type d’intervention est associé à des résultats positifs pour réduire la procrastination au sein d’un groupe comparativement à un groupe contrôle, et les résultats se maintiennent au moins cinq mois (Grunschel et al., 2018; Van Eerde, 2018).

L’enseignement à distance mène-t-il les étudiants à procrastiner davantage?
Le contexte pandémique, qui amène les étudiants à suivre la majorité de leurs cours à distance, laisse croire qu’il peut être plus difficile pour eux de se motiver et d’accomplir leurs travaux, d’autant plus que la situation actuelle peut être associée à d’autres facteurs de stress et à des difficultés sur le plan de l’humeur. Les résultats préliminaires d’une étude menée en décembre 2020 par notre équipe auprès de 392 étudiants postsecondaires (cégep et université) montrent que 34,7 % des étudiants affirment que leur procrastination a « empiré quelque peu » pendant les périodes d’enseignement à distance alors que pour 21 % des étudiants, elle a « beaucoup empiré ». De plus, une majorité de participants ressent davantage de stress (78,9 %), vit des difficultés de concentration (53,8 %) et a une humeur plus maussade qu’à l’habitude (51 %). Cette étude adopte cependant un devis transversal et non longitudinal, et il sera intéressant de déterminer les mécanismes par lesquels l’étudiant procrastine, que ce soit en raison d’un manque de motivation ou d’une humeur négative.

Conclusion 
En somme, cet article vise à mieux comprendre la procrastination pour intervenir plus adéquatement auprès d’étudiants présentant cette difficulté qui affecte leur rendement, leur persévérance et leur qualité de vie. Les modèles d’intervention présentés sont prometteurs sur le plan de l’efficacité, mais plus d’études rigoureuses sont nécessaires afin de pouvoir tirer des conclusions définitives (Van Eerde, 2018). On remarque que les études actuelles portent sur des interventions d’une certaine durée (5 à 10 semaines), dans des formats en ligne ou en présentiel. Leurs conclusions nous amènent à nous demander s’il y a suffisamment de programmes d’intervention spécifiquement consacrés à la procrastination dans les établissements postsecondaires et si ces programmes sont d’une durée suffisante. Pour un étudiant, une intervention touchant sa procrastination peut être une bonne porte d’entrée vers les services afin d’aborder une problématique très près de sa réussite scolaire.

Tableau récapitulatif

Références

Burka, J. et Yuen, L. (1983). Procrastination: Why you do it, what to do about it. Reading, MA : Addison-Wesley, 1983.

Dionne, F., Gagnon, J. et Raymond., G. (2020). Déjouer la procrastination pour réussir et survivre à vos études : une méthode scientifique basée sur l’approche d’acceptation et d’engagement (ACT). Les Presses de l’Université du Québec.

Ellis, A. et Knaus, W. J. (2002). Overcoming Procrastination. New York, NY : New American Library.

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