Agrégateur de contenus

L’évaluation en neuropsychologie auprès des personnes âgées : et si une plus grande prudence était de mise?

Dre Isabelle Rioux | Psychologue

Neuropsychologue à la Clinique de neuropsychologie de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale.
 

Karina Duguay-Gagné | Psychologue

Neuropsychologue au programme de gérontopsychiatrie de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale et en pratique privée à la Clinique de médecine préventive SANA.
 

Christine Bertrand | Psychologue

Neuropsychologue au programme de gérontopsychiatrie de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale et en pratique privée à la Clinique de médecine préventive SANA.


Plusieurs facteurs peuvent influencer la performance lors de la détection, du dépistage, de l’appréciation et de l’évaluation des troubles cognitifs. Ces facteurs, souvent nombreux dans la pratique auprès des personnes âgées, doivent impérativement être pris en considération lors de l’interprétation des résultats obtenus. Que l’ensemble des neuropsychologues et autres professionnels soient sensibilisés à ces facteurs est primordial pour limiter les risques de préjudices possibles, notamment en menant faussement ou prématurément à un diagnostic de trouble neurocognitif majeur (démence). Une revue systématique des études portant sur les erreurs diagnostiques concernant plusieurs maladies fréquentes chez des patients âgés suggère d’ailleurs des taux d’erreurs supérieurs à 10 %, notamment pour la démence (Skinner, Scott et Martin, 2016). En plus, un tel diagnostic amène des bouleversements majeurs pour le patient et son entourage. Sur le plan émotionnel, entre autres, l’annonce d’un diagnostic de démence est souvent suivie d’un sentiment de honte, de perte de contrôle et d’une altération de l’image de soi avec, malheureusement trop souvent, de la discrimination, du rejet et de l’isolement social (Aminzadeh, Byszewski, Molnar et Eisner, 2007). Un diagnostic erroné de trouble neurocognitif majeur est d’autant plus lourd de conséquences.

Évidemment, l’avancement en âge et la scolarité peuvent influencer la performance aux tests, mais heureusement, pour les plus fréquemment utilisés en neuropsychologie, les normes disponibles en tiennent habituellement compte. Cela dit, ces normes ne permettent pas toujours de distinguer les personnes âgées des personnes très âgées, puisqu’elles se confondent souvent dans les échantillons normatifs (par exemple, échantillon de 65 ans et plus). Des normes plus adaptées sont donc à souhaiter, surtout avec les augmentations observées au chapitre de l'espérance de vie des Canadiens. De plus, l’interprétation des résultats obtenus aux tests de détection, de dépistage et d’appréciation des troubles cognitifs se fait souvent sur la base d’un seuil limite (cut-off) bien que des normes québécoises prenant l’âge et la scolarité en considération soient désormais disponibles pour plusieurs d’entre eux (par exemple, Mini-Mental State Examination [MMSE], Montreal Cognitive Assessment [MoCA]) (Hudon et al., 2009; Larouche et al., 2016). La maîtrise de la langue et le bagage culturel peuvent également exercer une influence sur la performance aux tests (Lezak, Howieson, Bigler et Tranel, 2012) impliquant notamment la modalité verbale. Ces facteurs doivent donc être pris en considération lors de la sélection des tests et de l’interprétation des résultats obtenus, et ce, d’autant plus que les origines linguistiques et culturelles sont de plus en plus variées au Québec, y compris chez les personnes âgées.

D’autres types de facteurs sont aussi susceptibles d’interférer avec la performance aux tests, notamment certains problèmes présents de longue date, comme des troubles du langage antérieurs (par exemple, dysphasie, bégaiement, dyslexie), un trouble neurodéveloppemental comme un déficit de l’attention/hyperactivité ou un trouble du spectre de l’autisme, ou encore une déficience intellectuelle. Les changements cognitifs associés au vieillissement cognitif normal, en s’ajoutant à ces problèmes présents de longue date, pourraient être attribués à tort à un trouble neurocognitif majeur.

Qui plus est, la présence de problèmes moteurs ou de restrictions motrices (par exemple, tremblements, arthrite des doigts, paralysie) ainsi que de déficiences sensorielles non compensées, tant auditives (par exemple, acouphènes) que visuelles (par exemple, dégénérescence maculaire, cataractes), peut aussi altérer la performance aux tests, et doit donc aussi être tenue en compte. Si une déficience auditive ou visuelle est détectée pendant l’administration d’un test, elle devrait, si possible, être compensée par l’utilisation d’un amplificateur avec casque d’écoute et oreillette (Pocketalker), de lunettes, de feuilles grossissantes ou d’une loupe. Par ailleurs, plusieurs problèmes médicaux sont aussi associés à des troubles cognitifs divers, entre autres une carence en vitamine B12, l’hypothyroïdie, le diabète, l’hypertension artérielle, la maladie pulmonaire obstructive chronique, le cancer (et la chimiothérapie), l’apnée du sommeil et le délirium. Un examen médical incluant un bilan sanguin devrait être recommandé pour éliminer les problèmes potentiellement réversibles et pouvant induire un diagnostic erroné de trouble neurocognitif majeur (par exemple, dosage de la vitamine B12 et de la thyréostimuline hypophysaire [TSH]).

En outre, les problèmes de santé mentale doivent être pris en considération lors de l’interprétation des résultats obtenus. Effectivement, la dépression majeure, le trouble bipolaire, les troubles psychotiques et les troubles anxieux,  même après leur stabilisation, peuvent être associés à des troubles cognitifs pouvant atteindre les habiletés motrices, les fonctions attentionnelles et exécutives, ainsi que la mémoire épisodique verbale et visuospatiale (Botez-Marquard et Boller, 2005). Bien que l’apparition tardive d’un problème de santé mentale puisse être un indice d’un trouble neurocognitif majeur en installation, un déclin cognitif n’est pas nécessairement observé chez toutes les personnes âgées ayant un problème de santé mentale. Au contraire, chez certaines d’entre elles, une amélioration cognitive peut même être constatée, une fois le problème de santé mentale stabilisé.

Indépendamment de la présence d’un problème de santé mentale, la détection, le dépistage, l’appréciation ou l’évaluation des troubles cognitifs seraient potentiellement plus stressants chez les personnes âgées que chez les jeunes adultes. D’après des travaux du Centre d’études sur le stress humain (Lupien, Sindi et Wan, 2012), l’environnement clinique leur serait moins favorable, ce qui pourrait entraîner une augmentation significative de leurs hormones de stress qui, conséquemment, pourrait induire des déficits de mémoire. Entre autres, des personnes âgées interrogées sur le stress associé à la période précédant les rendez-vous médicaux rapportent, comme facteurs les plus stressants, l’attente entre la prise d’un rendez-vous et le jour du rendez-vous, le fait de se rendre à la clinique (mode de transport) et de devoir trouver une place de stationnement. Le moment du rendez-vous peut également avoir un effet sur le stress, et donc sur la performance aux tests. Comme les personnes âgées ont tendance à se réveiller tôt le matin, elles obtiendraient généralement de meilleurs résultats à des tests de mémoire lorsqu’elles sont évaluées en début de journée, plutôt que l’après-midi. Avoir un rendez-vous durant la saison hivernale s’avérerait également très stressant pour les personnes âgées. Voir d’autres patients dans la salle d’attente et le manque de propreté de ceux-ci est aussi rapporté par les personnes âgées comme des facteurs stressants. Le peu de temps passé avec le professionnel, le manque de temps pour poser des questions et les difficultés à comprendre le langage médical auraient également un effet sur le niveau de stress (et potentiellement sur la performance aux tests). De plus, effectuer des tests de mémoire est considéré comme étant encore plus stressant que d’avoir à passer des tests sanguins ou un examen médical général. Il va sans dire qu’un environnement calme, sans bruit et sans distraction devrait être privilégié pour l’administration des tests afin de s’assurer que les résultats obtenus reflètent le mieux possible le fonctionnement cognitif réel de la personne évaluée.

Idéalement, l’évaluation en neuropsychologie devrait être réalisée une fois le traitement pharmacologique stabilisé, mais dans tous les cas, la prise d’un médicament ou d’une combinaison de plusieurs médicaments ayant un effet potentiel sur les fonctions cognitives doit aussi être prise en considération lors de l’interprétation des résultats obtenus. Il importe donc de s’interroger sur la possibilité d’une interaction médicamenteuse ou d’une cascade d’effets secondaires de plusieurs médicaments. Par exemple, de nombreux médicaments ayant des propriétés anticholinergiques sont prescrits aux personnes âgées pour traiter différents problèmes médicaux tels que les allergies, l’asthme, l’incontinence urinaire, la douleur, la dépression, la psychose, la maladie de Parkinson, les maladies cardiovasculaires et les troubles du comportement. Or, les médicaments ayant des propriétés anticholinergiques sont largement associés à l’apparition d’une confusion mentale chez les personnes âgées, ainsi qu’à une désorientation spatio-temporelle, de l’agitation, des troubles du comportement, ainsi que des troubles de la mémoire et des fonctions exécutives. Plusieurs échelles existent néanmoins pour mesurer l’effet anticholinergique cumulatif de ces médicaments, entre autres l’échelle du risque anticholinergique (Anticholinergic Risk Scale [ARS]) (Rudolph, Salow, Angelini et McGlinchey, 2008), l’échelle du risque cognitif lié aux anticholinergiques (Anticholinergic Cognitive Burden [ACB]) (Boustani, Campbell, Munger, Maidment et Fox, 2008) et l’échelle des médicaments anticholinergiques (Anticholinergic Drugs Scale [ADS]) (Carnahan, Lund, Perry, Culp et Pollock, 2002). À ces médicaments ayant des propriétés anticholinergiques s’ajoutent entre autres ceux ayant un effet sédatif, ou entraînant de la somnolence (par exemple, benzodiazépines, antihistaminiques, opiacés). L’observance thérapeutique du traitement médicamenteux devrait également être appréciée, puisque des troubles cognitifs peuvent diminuer l’observance et une mauvaise observance peut, à l’inverse, accentuer des troubles cognitifs. L’abus de certains médicaments ainsi que d’autres substances (alcool, drogues) mérite également considération.

En outre, l’administration récente d’un traitement par électroconvulsivothérapie (ECT), un traitement médical surtout administré aux personnes souffrant de dépression majeure sévère, de certaines formes de trouble bipolaire, de catatonie ou de schizophrénie, lorsque ces troubles sont réfractaires aux traitements habituels (par exemple, médicaments, psychothérapie), doit être prise en compte lors de l’interprétation des résultats obtenus. Effectivement, selon une méta-analyse (Semkovska et McLoughlin, 2010), les traitements par ECT sont associés à des troubles cognitifs qui se limiteraient toutefois aux trois premiers jours post-traitement. Après 15 jours, la vitesse de traitement, la mémoire de travail, la mémoire antérograde et certains aspects exécutifs s’améliorent même au-delà du niveau de base. Ainsi donc, les traitements par ECT affectent généralement des fonctions cognitives qui sont souvent sensibles aux effets du vieillissement normal, ce qui invite encore plus à la prudence quant au délai entre la fin de ces traitements et le début de l’évaluation des troubles cognitifs chez les personnes âgées.

En somme, les facteurs pouvant influencer la performance aux tests sont nombreux chez les personnes âgées, et lorsque plusieurs d’entre eux sont présents simultanément, la prudence s’impose encore davantage pour réduire le risque d’erreurs diagnostiques. La démarche d’évaluation doit donc aller au-delà d’un résultat et de l’atteinte (ou non) des critères diagnostiques d’un trouble neurocognitif majeur et faire place à la nuance, au jugement clinique et, idéalement, à la collaboration interdisciplinaire.

 

Bibliographie

Aminzadeh, F., Byszewski, A., Molnar, F. J. et Eisner, M. (2007). Emotional impact of dementia diagnosis: exploring persons with dementia and caregivers’ perspectives. Aging & Mental Health, 11(3), 281-290. doi: 10.1080/13607860600963695

Botez-Marquard, T. et Boller, F. (2005). Neuropsychologie clinique et neurologie du comportement (3e éd.). Montréal, Québec : Presses de l’Université de Montréal.

Boustani, M., Campbell, N., Munger, S., Maidment, I. et Fox, C. (2008). Impact of anticholinergics on the aging brain: a review and practical application. Aging Health, 4(3), 311-320. doi: 10.2217/1745509X.4.3.311

Carnahan, R. M., Lund, B. C., Perry, P. J., Culp, K. R. et Pollock, B. G. (2002). The relationship of an anticholinergic rating scale with serum anticholinergic activity in elderly nursing home residents. Psychopharmacology Bulletin, 36(4), 14-19.

Hudon, C., Potvin, O., Turcotte, M.-C., D’Anjou, C., Dubé, M., Préville, M. et Brassard, J. (2009). Normalisation du Mini-Mental State Examination (MMSE) chez les Québécois francophones âgés de 65 ans et plus et résidant dans la communauté. La Revue canadienne du vieillissement, 28(4), 347-357. doi: 10.1017/S071498080999017

Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (2015). La maladie d’Alzheimer (MA) et les autres troubles neurocognitifs (TNC). Document synthèse : repérage, diagnostic, annonce et suivi. Repéré à https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/Geriatrie/INESSS_DocumentSynthese_Reperage_diagnostic_annonce_suivi.pdf

Larouche, E., Tremblay, M.-P., Potvin, O., Laforest, S., Bergeron, D., Laforce, R., ...Hudon, C. Normative data for the Montreal Cognitive Assessment in middle-aged and elderly Quebec-French people. Archives of Clinical Neuropsychology, 31, 819-826. doi: 10.1093/arclin/acw076

Lezak, M. D., Howieson, D. B., Bigler, E. D. et Tranel, D. (2012). Neuropsychological Assessment (5e éd.). New York, NY : Oxford University Press.

Lupien, S., Sindi, S. et Wan, N. (2012). Quand on teste, est-ce qu’on stresse? Guide pour les professionnels de la santé et les chercheurs travaillant auprès des personnes âgées. Montréal, Québec : Centre d’études sur le stress humain.

Rudolph, J. L., Salow, M. J., Angelini, M. C. et McGlinchey, R. E. (2008). The Anticholinergic Risk Scale and anticholinergic adverse effects in older persons. Archives of Internal Medicine, 168(5), 508-513.

Semkovska, M. et McLoughlin, D. M. (2010). Objective cognitive performance associated with electroconvulsive therapy for depression: a systematic review and meta-analysis. Biological Psychiatry, 68(6), 568-577. doi: 10.1016/j.biopsych.2010.06.009

Skinner, T. R., Scott, I. A. et Martin, J. H. (2016). Diagnostic errors in older patients: a systematic review of incidence and potential causes in seven prevalent diseases. International Journal of General Medicine, 9, 137-146. doi: 10.2147/IJGM.S96741