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L’impact du traitement de l’information à connotation affective sur la mémoire de travail

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


La mémoire de travail (MdeT) peut être brièvement présentée comme une ressource cognitive à capacité limitée permettant de maintenir de l’information en tête de manière à servir des fonctions cognitives plus complexes. L’évaluation de la MdeT se fait généralement en laboratoire à partir de tâches neutres sur le plan affectif. Par exemple, il peut être demandé au participant de garder en mémoire une série de nombres, de lettres ou de formes tout en tentant de minimiser l’interférence d’autre matériel, également neutre sur le plan affectif, ce qui permet une grande précision de la demande. Or, le contexte du quotidien amène des changements rapides et importants quant à l’information pertinente à actualiser et à garder en mémoire (repriorisation dynamique). Cela se fait selon la saillance ou la nouveauté des représentations à considérer. Ces nouvelles informations peuvent être perceptuelles, guidées par l’expérience ou encore être déterminées par leurs propriétés affectives.

Utile au quotidien, la MdeT s’avère souvent nécessaire dans des contextes où certaines informations à retenir sont de nature affective. Puisque le fonctionnement de la MdeT dans ce type de contexte s’avère encore aujourd’hui mal compris, certaines études ont pour objectif de mettre en lumière l’effet que peut engendrer la connotation affective des informations sur la capacité à recourir à la MdeT.

Afin de mieux comprendre l’impact comportemental du traitement de l’information affective sur le fonctionnement de la MdeT, une revue de documentation et une synthèse des données de recherche comparant le traitement en MdeT de l’information «affective» et «neutre» sont réalisées (Schweizer, et al., 2019). Cette méta-analyse comporte deux volets, l’un portant sur le fonctionnement neurologique et l’autre sur le fonctionnement comportemental en situation de recours à la MdeT. Le premier volet considère les tests d’imagerie par résonance magnétique tirés de 33 études faisant état du fonctionnement neurologique lorsque la MdeT est activée. Les résultats de cette méta-analyse indiquent que le traitement d’information à connotation affective, comparativement au traitement d’information neutre, est associé à une sollicitation plus fréquente :

  1. de l’amygdale;
  2. du cortex temporo-occipital;
  3. du cortex préfrontal. Le second volet présente une méta-analyse comportementale en considérant les résultats de 165 études.

Schweizer et ses collaborateurs (2019) concluent que les effets de l’information à connotation affective sur les mesures comportementales de la MdeT sont généralement négligeables ou légers, et ce, chez les sujets en santé sur le plan psychologique. Or, certaines variables modératrices rendent cette conclusion plus nuancée (Schweizer, et al., 2019).

D’abord, Schweizer et ses collaborateurs (2019) émettent l’hypothèse que la pertinence de la tâche, c’est-à-dire un distracteur par rapport à une cible à connotation affective, aura un impact différent sur la MdeT (respectivement, le distracteur la rendra moins efficace et la cible, plus efficace). Ensuite, quant à la valence du stimulus affectif, l’hypothèse soutient que les stimuli positifs (par exemple s’ils sont stimulants ou nouveaux) auront plus d’effet que les négatifs (par exemple s’ils sont menaçants). Relativement à ces deux hypothèses, les résultats sont significatifs, mais la taille d’effet est faible.

En ce qui a trait au caractère significatif ou non de l’information affective, Schweizer et ses collaborateurs (2019) émettent une seconde hypothèse portant sur la notion de priorisation «brute» de l’information, à savoir la priorisation qui s’effectue de manière automatique, non contrôlée. Ils soutiennent qu’une information donnée peut parfois prendre le dessus sur toutes les autres (par exemple une alarme de feu). La validation de cette hypothèse pose des défis méthodologiques en laboratoire auprès de participants en santé psychologique, puisque les stimuli standards présentent pour eux un caractère significatif faible dans un tel environnement. Dans le but de pallier ces défis, l’exposition de ces mêmes stimuli est proposée à des sujets souffrant de problèmes de santé mentale, pour qui la priorisation brute se déclenche plus facilement en raison d’une sensibilité perpétuellement activée face au contenu affectif. Les problèmes de santé mentale considérés sont effectivement associés à :

  1. un traitement préférentiel de l’information affective, plus particulièrement négative;
  2. une lenteur dans le désengagement par rapport à l’information affective;
  3. des difficultés de régulation émotionnelle.

Les résultats de Schweizer et ses collaborateurs (2019) soutiennent l’hypothèse selon laquelle les informations à connotation affective ont un plus gros impact sur la MdeT chez les sujets souffrant de problèmes de santé mentale que chez les sujets en santé. L’effet est significatif pour les stimuli à valence négative.

En conclusion, ces résultats donnent à penser que la difficulté à recourir à la MdeT en contexte de traitement d’information à connotation affective pourrait éventuellement constituer un mécanisme transdiagnostic associé à une santé mentale fragile. Moyennant une confirmation de cette suggestion par d’autres études, ou suivant l’élaboration d’un outil validé sur le plan psychométrique, le psychologue clinicien pourrait ainsi voir son processus d’évaluation bonifié.

Bibliographie