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La production des notes d’évolution et autres rapports : utilité, pertinence et diligence

Pierre Desjardins, psychologue, consultant et ex-directeur de la qualité et du développement de la pratique de l'Ordre des psychologues du Québec.


Il n’est pas facile de garder à l’esprit que tenir un dossier, c’est plus que faire un simple geste de nature administrative, que cela fait partie intégrante de l’exercice de la profession, voire du service à rendre au client. De plus, les obligations relatives à la tenue de dossier s’ajoutent parfois à une charge de travail importante et il peut se produire que l’on tarde à y donner suite en pareilles circonstances. Le temps pris pour rédiger et consigner au dossier les notes d’évolution ou autres rapports peut donc varier considérablement, les exigences qui y sont associées n’étant pas les mêmes en toutes situations et circonstances. La question est de savoir s’il existe des normes réglementaires ou professionnelles au sujet du temps qu’il est possible de prendre pour répondre aux exigences de la tenue de dossier.

Les meilleurs délais

L’idéal serait de consigner au dossier toute l’information requise dès qu’on en dispose. Mais parfois, certains psychologues, en raison de leur contexte de travail, font face à des urgences. Par conséquent, le meilleur délai est celui qui tient compte de plusieurs paramètres, qui est adapté aux circonstances diverses et qui sert le mieux l’intérêt des clients. En règle générale, il faut faire diligence tout en tenant compte du fait que l’élaboration et la rédaction des notes d’évolution et des autres rapports nécessitent de prendre le temps qu’il faut.

Les exigences en matière de tenue de dossier ne se situent pas en périphérie, mais bien au cœur d’une pratique qui se doit d’être réflexive, soucieuse du bien-être des clients et du respect de leurs droits fondamentaux. Les questions relatives au délai de production renvoient ainsi les psychologues à l’incontournable exercice de leur jugement professionnel, puisqu’il n’existe ni absolu ni normes précises. L’exercice de ce jugement se fera en tenant compte de différents paramètres, dont ceux que nous vous présentons dans ce qui suit.

L’importance du caractère contemporain des notes d’évolution et autres rapports

Comme dit précédemment, il faut s’acquitter de ses obligations en matière de tenue de dossier aussitôt qu’il est possible de le faire après la prestation du service. De fait, plus le délai de rédaction s’allonge, plus il y a de risques de perdre l’information ou encore de confondre les informations transmises par différents clients, cela étant d’autant plus susceptible de se produire quand la clientèle est nombreuse, relativement homogène et qu’elle présente des problématiques similaires. Bref, l’exactitude ou la pertinence de l’information rapportée risquent d’être affectées au fur et à mesure que le délai de rédaction s’allonge.

La nécessité de prendre du recul

S’il est attendu que le moment où sont versés au dossier les notes ou autres rapports soit relativement rapproché du moment où les services ont été rendus, il demeure qu’il ne faut pas se précipiter pour autant. En effet, il faut se donner le temps de prendre du recul, puisqu’il importe de se dégager des premières perceptions, impressions ou ressentis, ceux-ci ayant un impact sur la compréhension qu’on a du client et de sa problématique. Il faut prendre le temps de trier l’information dont on dispose, d’en faire l’analyse et d’organiser sa pensée pour être en mesure de présenter sous forme de synthèse ce qui est essentiel, utile et pertinent et qui par conséquent devrait être plus qu’une simple transcription fidèle de ce qui a été dit. Mais, on le verra, tout ne nécessite pas qu’on prenne le même recul, sans compter qu’il peut y avoir des situations où le recul n’est pas possible.

Le contexte de travail

La pratique privée, en solo

Lorsque le psychologue a une pratique autonome, qu’aucun autre intervenant ou professionnel n’est impliqué auprès de ses clients, qu’il n’y a pas de tiers à qui éventuellement rendre des comptes et que les notes et autres rapports au dossier ne servent pas à communiquer d’importantes informations au sujet du client à d’autres personnes qui en auraient besoin, les risques de laxisme ou de procrastination sont plus importants. On peut ainsi croire qu’il importe peu que les informations requises soient versées au dossier le jour même de la rencontre, le lendemain ou dans la semaine qui suit. Mais cette impression peut être un piège. Pour éviter de s’y prendre, il serait opportun d’adopter une routine rédactionnelle qui prévoit un échéancier serré à respecter pour chacun de ses clients, en fonction du mandat confié. Il faut savoir de plus qu’en tout temps le client peut demander accès à son dossier, ce qui renforce l’importance de faire diligence.

La pratique à titre de fournisseur de services

Les ententes entre des organismes et leurs fournisseurs de services (ex. : SAAQ, CNESST, IVAC/psychologues) peuvent prévoir expressément la production de notes ou d’autres rapports, et ce, dans des délais convenus. Il est entendu que le psychologue y donnera suite et, s’il y a un motif sérieux d’empêchement, il devra voir avec l’organisme la possibilité de disposer d’une certaine marge de manœuvre dans l’intérêt, encore une fois, de ses clients (client objet de services, client payeur et client mandataire).

La pratique dans un établissement du réseau de la santé ou de l’éducation ou dans un organisme autre

Un employeur peut imposer des directives d’ordre administratif ou professionnel balisant ou précisant le délai à respecter pour verser au dossier les informations relatives à la prestation des services rendus, étant entendu que de telles directives respectent les obligations légales et déontologiques, tiennent compte des meilleures pratiques et prévoient une certaine marge de manœuvre considérant la nature diverse des responsabilités et mandats confiés aux psychologues.

Dans un autre ordre d’idées, il est plus probable que les psychologues en situation d’emploi fassent partie d’une équipe interdisciplinaire ou multidisciplinaire. En pareil milieu, les dossiers prennent une importance additionnelle non négligeable, puisqu’ils permettent de communiquer des informations sensibles à des collègues au sujet de clients communs, informations déterminantes pour la suite des interventions dont sont responsables ces collègues. Bref, on s’attend à ce que les informations livrées sous forme de note ou de rapport soient consignées au dossier avant que n’ait lieu la prestation de services prévue par un autre professionnel ou encore suffisamment rapidement pour ne pas retarder l’exécution du plan d’intervention. Toutefois, les mécanismes de concertation interdisciplinaire facilitent la transmission verbale de l’information aux autres intervenants, de sorte que le plan d’intervention (ou les suites à donner) peut être mis en branle sans que toute l’information pertinente soit encore consignée au dossier. Cela peut par ailleurs avoir pour effet d’allonger les délais de rédaction, la note ou le rapport ayant ainsi perdu de son importance comme outil de communication. Il peut donc être opportun de prévoir ici également un échéancier à respecter pour minimiser les risques de laxisme ou de procrastination.

La problématique des clients et le caractère urgent des services à rendre

La perspective d’un suivi auprès d’un autre intervenant ou professionnel ou de l’application d’un plan d’intervention ouvre sur la question du possible caractère urgent de la situation. À cet égard, il est plus facile d’avoir en tête que la diligence à consigner l’information au dossier sert manifestement l’intérêt premier du client. C’est le cas, par exemple, lorsque le client :

  • présente une problématique de dangerosité;
  • doit comparaître en cour et que le psychologue est impliqué d’une façon ou d’une autre;
  • a besoin du rapport d’évaluation (ou d’autres documents ou attestations), notamment :
    • pour bénéficier d’un remboursement de séances de psychothérapie par son assureur,
    • pour que soit élaboré un plan de services ou d’intervention,
    • lorsqu’il participe à un programme particulier de soins ou services,
    • pour obtenir des services ou adaptations dans son milieu.

Les types de notes ou de rapports à consigner au dossier

Si on se réfère au Guide explicatif concernant la tenue de dossier, les informations que les psychologues consignent au dossier peuvent être présentées sous forme de :

  • rapport d’évaluation;
  • note d’évolution;
  • résumé d’évolution;
  • rapport final;
  • rapport d’expertise.

Rappelons qu’il n’y a pas que sous ces formats qu’on peut rendre compte de son travail professionnel. De plus, tous ces formats ne commandent pas de se plier aux mêmes impératifs en matière de délai rédactionnel ni ne demandent de prendre le même recul. Le degré de difficulté est minimal s’il s’agit d’une simple note d’évolution pour rendre compte d’une séance de travail avec un client, et il serait indiqué de la rédiger après la séance de travail ou au plus tard avant qu’ait lieu la suivante, considérant que le fait de rendre compte du travail séance par séance relève d’une bonne pratique. Mais à cela peut s’ajouter le mandat de témoigner de l’évolution d’un client au fil du temps, ce qui peut impliquer la rédaction d’un rapport d’évolution regroupant plusieurs séances de travail. Il serait bien, dans ces cas, de prévoir à l’avance à quel rythme seront produits de tels rapports d’évolution et de voir ensuite à respecter l’échéancier déterminé.

La rédaction d’un rapport (d’évolution, d’évaluation, final ou d’expertise) nécessite temps et réflexion et, selon l’ampleur du mandat confié, le délai peut être variable. Par ailleurs, les rapports d’évaluation ou d’expertise servent souvent à orienter les plans de services, à identifier certaines qualités, compétences ou autres caractéristiques permettant de « classer » le client (ex. : l’accès au niveau scolaire secondaire, une promotion pour un employé), ou encore de confirmer l’admissibilité à des services (ex. : des interventions comportementales intensives aux personnes autistes), d’obtenir des paiements ou des remboursements (ex. : des séances de psychothérapie payées par un assureur ou la SAAQ, l’IVAC ou la CNESST) ou des subventions (ex. : des rentes ou déductions pour personnes handicapées), d’assurer des droits (ex. : la garde d’enfants) ou autres privilèges. Dans ces cas, la plupart du temps, les délais sont convenus à l’avance avec le client, ce dernier y ayant consenti. Les directives sont donc ici sans équivoque quant au moment où le rapport doit être consigné au dossier.

Résumé

Il arrive que les délais s’allongent, parfois trop, et cela survient dans les situations où personne, en quelque sorte, n’est en attente des notes ou du rapport du psychologue. Dans tous ces cas où en apparence il n’y a ni urgence ni pertinence, le psychologue peut considérer que rendre compte de son travail dans un dossier ne soit pas prioritaire, voire penser qu’il s’agit d’une formalité sans grande conséquence, ce qui ouvre la porte à des délais indus. En la matière, il demeure que le plus tôt est le mieux, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il faille se précipiter. Si on récapitule, il n’y a pas d’échéancier ou de délais prescrits légalement, et le temps qu’on peut et qu’il faut prendre est variable, puisqu’il faut tenir compte de plusieurs paramètres, dont ceux qui sont relatifs :

  • à l’importance :
    • du caractère contemporain de ce qui est consigné,
    • du recul qu’il faut prendre;
  • au mandat confié (et à ses particularités, exigences ou difficultés), aux ententes préalables et aux consentements libres et éclairés obtenus;
  • au milieu de travail dans lequel on évolue et aux exigences qui y sont associées;
  • à la présence de différents enjeux, dont des urgences;
  • au type de notes ou de rapports attendus.

Nous espérons que ces quelques balises d’ordre réflexif vous confirmeront l’importance de faire diligence tout en ajustant les délais de rédaction, délais qui devraient notamment se justifier par le caractère utile et pertinent que doit revêtir ce qu’il faut consigner au dossier.