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La contribution de la psychologie scolaire à la mise en œuvre du modèle de la réponse à l’intervention

Patrick Vallières | Psychologue

Psychologue scolaire au primaire depuis 15 ans, M. Vallières accompagne des intervenants de plusieurs milieux scolaires dans le développement de pratiques cohérentes avec le modèle de la réponse à l’intervention.
 

Mathieu Dubois | Psychologue

Ayant cumulé plus de 10 années d’expérience comme psychologue en milieu scolaire au primaire, M. Dubois est impliqué dans le conseil d’administration de l’Association québécoise des psychologues scolaires.
 

Alain Desrochers

Directeur scientifique de l’Institut des troubles d’apprentissage et titulaire d’un doctorat en psychologie expérimentale de l’Université Western Ontario avec spécialisation en psycholinguistique et en méthodes quantitatives.

 


La recherche en sciences de l’éducation confirme qu’il est possible de réduire significativement le nombre d’élèves qui présentent des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation socioaffective et comportementale en remplaçant l’approche « attendre l’échec avant d’agir » par une approche axée sur la prévention et l’intervention précoce. Depuis longtemps, le modèle prédominant en milieu scolaire consiste à déployer les ressources d’aide une fois que les élèves se trouvent en difficulté. Ce modèle est progressivement remplacé en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde par un modèle d’action qui conduit les intervenants scolaires à agir dès que les premiers signes de difficultés sont observés et avant que les élèves se trouvent en situation d’échec.

Le modèle de la réponse à l’intervention (RàI) constitue actuellement l’approche préventive la plus courante et dont l’efficacité est la mieux documentée dans les écrits scientifiques, notamment ceux de la National Association of School Psychologists (NASP) aux États-Unis (Thomas et Grimes, 2008). Ce modèle a été retenu par plusieurs commissions scolaires au Québec afin d’orienter le déploiement des services, car il offre un cadre particulièrement utile pour opérationnaliser les voies d’action proposées dans les politiques et les orientations du ministère de l’Éducation du Québec : la Politique de l’adaptation scolaire (MEQ, 1999), la Politique de la réussite éducative (MEES, 2017) et la Stratégie 0-8 ans (MEES, 2018). Il est important que les psychologues qui pratiquent en cabinet privé ou dans le réseau de la santé et des services sociaux et qui ont à travailler avec des enfants et leur famille se familiarisent avec ses fondements et découvrent comment il peut faciliter la collaboration avec le milieu scolaire. De plus, une connaissance de ce modèle est impérative pour les psychologues scolaires, particulièrement ceux qui se trouvent au cœur de son implantation dans leur milieu de travail. Dans ce qui suit, nous résumons les principaux fondements de ce modèle ainsi que l’apport de la psychologie scolaire à sa mise en œuvre dans les écoles.

Fondements du modèle de la réponse à l’intervention

Globalement, le modèle de la RàI s’appuie sur une vision systémique de la situation des élèves et sur la collaboration entre les intervenants dans le milieu scolaire (voir Desrochers, Laplante et Brodeur, 2016 ; Haager, Klingner et Vaugh, 2007 ; Spear-Swerling, 2015 ; Whitten, Esteves et Woodrow, 2012). Dans cette perspective, les difficultés observées ne sont plus conceptualisées comme relevant exclusivement de l’élève, mais plutôt de l’interaction entre l’élève et son milieu. Différents facteurs, qu’ils soient personnels, sociaux, familiaux ou scolaires, peuvent ainsi être pris en compte dans l’analyse des besoins des élèves. Pour actualiser la prévention des difficultés d’apprentissage à l’école, il est proposé de cultiver des pratiques universelles de qualité en classe, celles dont l’efficacité est confirmée par la recherche, afin que tous les élèves puissent profiter du meilleur enseignement possible.

On recommande également de mettre en œuvre un dépistage universel, précoce et continu des élèves à risque d’affronter des difficultés d’apprentissage et de leur offrir un programme d’intervention préventive ou rééducative pour éviter que ces difficultés deviennent insurmontables. Le dépistage continu est conçu pour évaluer la façon dont les élèves répondent à l’enseignement qui leur est offert, sachant que tous les élèves n’en profitent pas dans la même mesure, et pour déterminer leurs besoins. La réponse à ces besoins prend la forme d’une intensification progressive des interventions mises en œuvre. C’est donc la réponse à l’enseignement par l’élève qui détermine la nécessité et les modalités de l’intensification de l’intervention et non un diagnostic d’un problème déjà installé. Cette approche s’inscrit davantage dans une logique de résolution de problèmes en contexte, contrairement à une approche diagnostique, conçue comme préalable au déploiement d’un « traitement ». La reconnaissance d’un trouble n’est donc pas une condition essentielle à la mise en œuvre d’une intervention préventive ou rééducative. C’est plutôt le portrait des forces et des faiblesses de l’élève, sans égard à une catégorie diagnostique, qui guide les modalités de l’intensification de l’intervention (Desrochers, 2018 ; Desrochers et Stanké, 2017).

La variété la plus courante du modèle de la réponse à l’intervention comprend trois paliers d’intervention. Le palier 1 renvoie aux pratiques d’enseignement universel déployées en classe. On privilégie les pratiques dont l’efficacité a été confirmée par des procédés de démonstration scientifique (Cook et Cook, 2011 ; Cook, 2013). Ces pratiques sont maintenant abondamment documentées (voir National Reading Panel, 2000 ; Pressley et Arlington, 2015). L’enseignement, au palier 1, s’adresse à l’ensemble des élèves et il vise à répondre aux besoins de la majorité d’entre eux, soit 80 % ou plus. Les interventions effectuées au palier 2 correspondent à un enseignement supplémentaire offert aux élèves qui n’ont pas profité suffisamment de l’enseignement universel en classe ordinaire. Ce soutien prend la forme d’un enseignement en sous-groupe, plus systématique, explicite et ciblé offert par l’enseignant ou par l’orthopédagogue, en classe ou à l’extérieur de la classe. Typiquement, il touche environ 15 % des élèves. Les interventions au palier 3 ont une fonction rééducative. L’enseignement est encore plus explicite et systématique qu’au palier 2. Les séances d’entraînement sont plus longues et les occasions de mise en pratique des notions acquises sont plus nombreuses. Ce palier s’adresse aux élèves dont les progrès ont été jugés insuffisants au palier 1 et au palier 2, soit environ 5 % des élèves.

La mise en œuvre de ces trois paliers d’intervention mobilise l’équipe multidisciplinaire de l’école et le travail collaboratif constitue une condition essentielle à sa réussite. Le travail du psychologue scolaire, dans ce cadre, peut prendre différentes formes, dont certaines pratiques peuvent impliquer une redéfinition de son rôle au sein de l’équipe multidisciplinaire. Dans ce qui suit, nous décrivons la contribution potentielle du psychologue scolaire dans l’actualisation de chacun des paliers d’intervention du modèle de la réponse à l’intervention.

Comment soutenir les pratiques universelles efficaces?

Le psychologue scolaire peut soutenir d’une multitude de façons les pratiques universelles en classe ou dans l’école selon son niveau d’expertise. Il peut mettre à profit ses connaissances sur le développement cognitif et émotionnel des enfants, sur l’apprentissage et le traitement de l’information ou encore sur l’encadrement comportemental des élèves en offrant des ateliers de formation continue ou de l’accompagnement aux intervenants scolaires et aux parents. Il peut également contribuer à la réalisation de projets de prévention et d’intervention précoce portant sur la lecture, l’écriture ou les mathématiques.

Comment soutenir les pratiques d’intensification aux paliers 2 et 3?

Les pratiques universelles, même les plus efficaces, ne permettent pas de conduire tous les élèves à l’atteinte des cibles d’apprentissage prévues. Que faire pour soutenir l’équipe-école dans sa compréhension des besoins des élèves qui peinent à faire les apprentissages prévus? Le premier défi consiste à établir adéquatement et le plus tôt possible les besoins des élèves afin de leur offrir une intervention adaptée et efficace. Le rôle prévu du psychologue est ici de se joindre à l’équipe-école et de mettre à profit ses connaissances et ses compétences professionnelles dans l’analyse des besoins des élèves dépistés comme étant à risque ou qui ne répondent pas à l’intervention. Par exemple, par une connaissance approfondie des habiletés essentielles au développement de la compétence en lecture et en écriture, le psychologue scolaire peut soutenir son équipe dans la mise en œuvre d’un dépistage continu des élèves à risque et dans l’élaboration d’interventions consécutives à une analyse détaillée de leurs besoins (voir Spear-Swerling, 2015). Ce travail est généralement plus efficace lorsqu’il s’inscrit dans une démarche multidisciplinaire et qu’il s’articule autour d’un processus de résolution de problème bien structuré.

L’approche par résolution de problèmes représente une avenue particulièrement efficace pour la psychologie scolaire parce qu’elle oriente les démarches de collaboration multidisciplinaire, non pas directement vers l’évaluation d’un trouble mental, ce qui est souvent le cas lorsqu’on dirige un élève vers le psychologue scolaire, mais vers une compréhension commune des difficultés de cet élève. L’intention n’est pas prioritairement d’établir un diagnostic psychologique, mais de rechercher collectivement des solutions aux obstacles concrets à l’apprentissage ou à l’adaptation personnelle de l’élève au contexte scolaire.

Le processus de résolution de problème s’inscrit typiquement dans une démarche d’accompagnement constituée de plusieurs étapes, peu importe que ces problèmes concernent le fonctionnement de l’individu, de la classe ou même de l’école (Kratochwill, 2008). D’abord, il est impératif d’établir une relation de confiance avec la personne qui demande de l’aide. Les différentes techniques d’écoute et de relation d’aide que possède le psychologue peuvent grandement faciliter l’établissement d’un climat de travail favorable et permettre de « prendre soin » du sentiment d’efficacité professionnelle des intervenants accompagnés.

Par la suite, l’équipe détermine la nature du problème ou de la situation de besoin. Dès cette étape, on recommande de rendre explicites les attentes de la personne qui demande de l’aide, car des attentes qui ne sont pas présentées adéquatement mènent parfois à des processus inefficaces. Il est également important d’aider la personne qui cherche de l’aide à prioriser ce sur quoi portera le processus. Les démarches qui visent à répondre à un trop grand nombre de « besoins » mal définis ou à régler un trop grand nombre de problèmes s’avèrent généralement peu efficaces. Il est préférable de faire suivre des interventions ciblées de l’analyse des besoins les plus importants, de vérifier l’impact réel de ces interventions et, au besoin, d’apporter des correctifs.

Ainsi, une fois les attentes clarifiées, l’étape de la définition du problème est centrée sur une description juste et précise de la situation de besoin de l’élève, c’est-à-dire l’écart entre ce que l’élève fait actuellement et ce qui est attendu de lui. Il est préférable de décrire les capacités de l’élève dans une activité spécifique, ses attitudes, ses conduites et aussi les attentes des adultes qui travaillent avec lui au quotidien : comment l’élève réagit-il dans des situations spécifiques? Quelles sont les attentes à son endroit?

L’étape ultérieure, l’analyse du problème, vise à repérer les variables qui causent ou qui entretiennent la situation de besoin : pourquoi les choses se passent-elles ainsi? C’est à cette étape que le psychologue peut contribuer à la compréhension des besoins de l’élève en faisant appel à des cadres théoriques (par exemple, les modèles d’apprentissage ou de la motivation) et à des procédés d’évaluation (par exemple, l’évaluation approfondie d’un ensemble d’habiletés) pour guider l’analyse et pour formuler des hypothèses interprétatives. Par exemple, l’obstacle vient-il de l’attitude de l’élève, de ses capacités d’apprentissage actuelles ou de la hauteur des attentes des adultes relativement à son niveau de compétence ponctuel?

L’étape suivante consiste en l’implantation d’un plan d’action établi en fonction du besoin défini et de l’analyse réalisée. Cette étape est étroitement liée aux démarches d’évaluation et de révision du plan d’action issues de la réponse de l’élève à l’intervention. Dans l’approche de la RàI, c’est précisément cette réponse qui guide l’adaptation progressive des modalités de l’intervention. La persistance des difficultés dans le temps, malgré des mesures de soutien ordinairement efficaces, devient l’indice tangible d’un trouble (Fletcher, Lyon, Fuchs et Barnes, 2007). Le pistage des progrès de l’élève constitue dans cette approche une opération essentielle au guidage d’une évaluation plus approfondie et à la régulation de l’intervention.

Conclusion

Le modèle de la réponse à l’intervention représente l’un des cadres de référence les mieux documentés et prometteurs pour réunir et coordonner un vaste ensemble de leviers éducatifs dans le milieu scolaire (Desrochers, Laplante et Brodeur, 2016). En s’appuyant sur des données pour reconnaître les élèves à risque, pour pister le progrès des élèves, pour mettre en œuvre des interventions démontrées efficaces par la recherche ainsi que pour adapter l’intensité et la nature de ces interventions à la réponse de l’élève, le modèle de la RàI offre une démarche basée sur des principes scientifiques et rigoureux. Il constitue un levier important à la réussite éducative et personnelle de tous les élèves. Ce modèle constitue également un cadre particulièrement bien adapté à la pratique efficace de la psychologie scolaire actuelle. Il permet notamment de mobiliser, dans le milieu scolaire, l’éventail des savoirs et des savoir-faire élaborés en psychologie relativement aux facteurs qui exercent une influence sur le développement cognitif, émotionnel et social des enfants, aux modèles d’apprentissage qui guident les pratiques enseignantes, aux procédés d’évaluation qui permettent de brosser un portrait juste des forces et des faiblesses des élèves, et à l’accompagnement efficace des intervenants scolaires.

 

Bibliographie

Cook, B. G. (2013). Evidence-based practices and implementation science in special education. Exceptional Children, 79, 135-144.

Cook, B. G. et Cook, S. C. (2011). Unraveling evidence-based practices in special education. Journal of Special Education, 20, 1-12.

Desrochers, A. (2018). L’évaluation des difficultés en lecture du français. Langue française, sous presse.

Desrochers, A., Laplante, L. et Brodeur, M. (2016). Le modèle de la réponse à l’intervention et la prévention des difficultés d’apprentissage de la lecture au préscolaire et au primaire. Dans M.-F. Morin, D. Alamargot et C. Gonçalves (dir.), Perspectives actuelles sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture (p. 290-314). Sherbrooke : Éditions de l’Université de Sherbrooke.

Desrochers, A. et Stanké, B. (2017). Évaluation de la lecture et de l’orthographe et intervention rééducative. Approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant, 148, 239-246.

Fletcher, J. M., Lyon, G. R., Fuchs, L. S. et Barnes, M. A. (2007). Learning disabilities: From identification to intervention. New York, NY : Guilford.

Haager, D., Klingner, J. et Vaugh, S. (2007) (dir.). Evidence-based reading practices for response to intervention. Baltimore, MD : Paul H. Brooks Publishing.

Kratochwill, T. R. (2008). Best practices in school-based problem solving consultation: applications in prevention and intervention systems. Dans A. Thomas et J. Grimes (dir.), Best practices in school psychology V (chap. 105, vol. 5). Bethesda, MD : National Association of School Psychologists.

Ministère de l’Éducation du Québec (1999). Une école adaptée à tous ses élèves : politique de l’adaptation scolaire. Québec : Auteur.

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec (2017). Politique de la réussite éducative. Québec : Auteur.

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec (2018). Tout pour nos enfants : stratégie 0-8 ans. Québec : Auteur.

National Reading Panel (2000). Teaching children to read: An evidence-based assessment of the scientific research literature on reading and its implications for reading instruction. Washington, DC : National Institute of Child Health and Human Development.

Pressley, M. et Allington, R. L. (2015). Reading instruction that works: The case for balanced teaching. New York, NY : Guilford.

Spear-Swerling, L. (2015). The power of RTI and reading profiles: A blueprint for solving reading problems. Baltimore, MD : Paul H. Brooks Publishing.

Thomas, A. et Grimes, J. (2008). Best practices in school psychology V. Bethesda, MD : National Association of School Psychologists.

Whitten, E., Esteves, K. J. et Woodrow, A. (2012). La réponse à l’intervention : un modèle efficace de différenciation. Montréal : Chenelière Éducation.