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EXCLUSIVITÉ WEB - La réalité virtuelle : une façon novatrice de lutter contre l’intimidation et de favoriser l’apprentissage socioémotionnel chez les adolescents en milieu scolaire

Dr Vincent Domon-Archambault | Psychologue

Psychologue clinicien au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et chercheur postdoctoral à l’Université de Sherbrooke, ses intérêts généraux concernent le développement social et affectif de l’enfant et sa considération dans l’évaluation et l’intervention en psychologie au sein de différents milieux de pratique.
 

Dr Miguel M. Terradas | Psychologue

Psychologue clinicien et professeur au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke, il s’intéresse principalement aux effets des traumas relationnels précoces sur le développement des capacités de symbolisation, de mentalisation et d’autorégulation de l’enfant, ainsi qu’à l’évolution du trouble de personnalité limite. Les Ateliers 360 constituent pour lui un nouveau champ de recherche.


Les approches fondées sur l’apprentissage socioémotionnel (ASÉ) ont démontré leur efficacité pour améliorer les facteurs de protection et diminuer les facteurs de risques associés à l’adaptation et à la réussite des enfants. Les études sont cependant moins nombreuses et les résultats plus mitigés en ce qui concerne la population adolescente. À la lumière de recherches récentes, il appert que la réalité virtuelle (RV) semble être un médium intéressant pour favoriser l’apprentissage et les changements comportementaux chez les adolescents et dépasser les limites des approches favorisant l’ASÉ chez ceux-ci. Malgré ses promesses et l’intérêt qu’elle suscite chez les adolescents, la RV n’a toutefois que peu été utilisée à d’autres fins que pour leur divertissement. Cet article présente le travail de conception et d’implantation des Ateliers 360, un projet utilisant la RV comme outil d’intervention afin de favoriser le développement de stratégies fondées sur l’ASÉ chez les adolescents et ainsi prévenir l’intimidation à l’école secondaire. Le rationnel sous-jacent à l’élaboration des scénarios sociaux projetés en RV et à la construction du manuel d’utilisation pour le personnel scolaire, visant tous les deux à soutenir l’ASÉ chez l’adolescent, sera également exposé.

Des efforts importants ont été déployés au Québec dans les dernières années afin de lutter contre l’intimidation dans les écoles. Un rapport publié par la chaire de recherche Sécurité et violence en milieu éducatif suggère toutefois que ce travail doit être poursuivi (Beaumont, Leclerc, Frenette et Proulx, 2014). Ainsi, malgré une perception positive du climat scolaire par les élèves du secondaire, un bon nombre d’adolescents mentionneraient être la cible à répétition (c.-à-d. au moins deux ou trois fois par mois) d’insultes (16,5 %), d’insultes à caractère sexuel (6,4 %), de commérages (8,6 %) et de bousculades intentionnelles (5,9 %). Près de 5 % des jeunes souligneraient par ailleurs qu’un adulte de l’école les regarderait de façon méprisante ou dirigerait des « sacres » ou des cris à leur endroit plusieurs fois par mois. Inversement, près de 15 % des membres du personnel scolaire relèveraient subir à répétition des épisodes d’impolitesse de la part des élèves. Environ 65 % du personnel scolaire mentionnerait vouloir de la formation au sujet de thématiques telles que l’intervention en situation de crise, la résolution de conflits ainsi que les différentes formes de violence (Beaumont et al., 2014). Ces constats portent à réfléchir sur les variables à cibler dans le but de diminuer la violence en contexte scolaire en rejoignant à la fois les adolescents et le personnel scolaire. La Fondation Jasmin Roy propose de favoriser l’apprentissage socioémotionnel (ASÉ) chez les adolescents et d’utiliser la réalité virtuelle (RV) comme médium d’intervention pour y parvenir.

L’apprentissage socioémotionnel : définition et résultats des études récentes

Plusieurs recherches se sont intéressées au développement et aux effets d’interventions visant la promotion de saines habiletés émotionnelles et sociales auprès des jeunes en contexte scolaire (p. ex., Domitrovich, Durlak, Staley et Weissberg, 2017 ; Taylor, Oberle, Durlak et Weissberg, 2017). Dans ce domaine d’interventions, les programmes fondés sur l’ASÉ ont connu un essor important et ont fait l’objet de plusieurs études d’efficacité (p. ex., Domitrovich et al., 2017; Taylor et al., 2017). L’ASÉ se définit comme étant le processus par lequel un individu développe les connaissances, les attitudes et les habiletés nécessaires à la compréhension et à la gestion de ses émotions, se fixe et atteint des objectifs personnels positifs, ressent et montre de l’empathie pour autrui, établit et maintient de saines relations interpersonnelles, et apprend à prendre des décisions responsables. Les interventions soutenant l’ASÉ ciblent cinq dimensions : (1) la conscience de soi (c.-à-d. reconnaître ses émotions, ses forces et ses limites), (2) la régulation de soi (c.-à-d. réguler ses émotions et ses comportements), (3) la conscience sociale (c.-à-d. prendre la perspective d’autrui et être empathique), (4) les habiletés relationnelles (c.-à-d. créer et maintenir des liens sociaux positifs, résoudre les problèmes sociaux, apprendre à s’affirmer) et (5) la prise de décision responsable (c.-à-d. faire des choix constructifs) (Taylor et al., 2017 ; Weissberg, Durlak, Domitrovich et Gullota, 2015). Ces cinq dimensions ont fait l’objet de plusieurs études dans les champs de l’intimidation et la violence (Morrison Gutman et Schoon, 2015). Diverses méta-analyses ont conclu que les programmes basés sur l’ASÉ améliorent significativement l’image de soi, la performance scolaire, l’attitude et la motivation face à l’école, la présence en classe et la persévérance scolaire, les attitudes et les comportements prosociaux, la compétence sociale, la santé mentale et les habiletés socioaffectives. L’ASÉ est également lié à une diminution significative de la détresse émotionnelle, de l’abus de substances et des attitudes et comportements antisociaux (January, Casey et Paulson, 2011 ; Korpershoek, Harms, de Boer, van Kuijk et Doolaard, 2016 ; Morrison Gutman et Schoon, 2015; Taylor et al., 2017; Weissberg et al., 2015).

Bien que les interventions ciblant l’ASÉ aient démontré des effets intéressants pour différents groupes d’âge, des chercheurs ont observé que certains des bénéfices seraient potentiellement moins marqués auprès des adolescents comparativement aux enfants (January et al., 2011 ; Taylor et al., 2017). À titre d’exemple, une méta-analyse effectuée par January, Casey et Paulson (2011) conclut que les interventions visant le développement d’habiletés sociales réalisées en classe auprès des adolescents s’avèrent moins efficaces que celles effectuées auprès des enfants. Une méta-analyse réalisée par Taylor et ses collègues (2017) arrive à des conclusions similaires. Ainsi, les programmes ayant pour objectif le développement d’habiletés sociales et émotionnelles chez les enfants avaient des effets à long terme significativement plus grands que ceux s’adressant aux adolescents. Il existe cependant moins d’interventions fondées sur l’ASÉ destinées aux adolescents de plus de 14 ans, ce qui pourrait contribuer à cette observation (Taylor et al., 2017). L’utilisation de la RV pour favoriser l’ASÉ chez les adolescents semble avoir le potentiel de répondre à ce besoin.

La réalité virtuelle : définition et bénéfices potentiels liés à son utilisation

La RV est un environnement généré en temps réel par un ordinateur permettant à un utilisateur de naviguer, de percevoir, de ressentir et d’interagir d’une façon similaire au monde réel (Parsons, Gaggioli et Riva, 2017). Elle peut prendre plusieurs formes ; par exemple : les jeux vidéo, les scénarios interactifs et les films immersifs. Ce médium favorise l’immersion de l’utilisateur dans un environnement virtuel interactif et lui permet de réagir de façon instinctive au point où il en vient à croire qu’il est réellement présent dans cet environnement différent (Riva, Mantovani et Bouchard, 2014).

Plusieurs études ont permis d’établir que les environnements et les personnages présentés en RV suscitent de façon réaliste l’empathie et la prise de perspective d’autrui (p. ex., Bouchard et al., 2013), les attitudes et les comportements sociaux (p. ex., Chicchi Giglioli, Pravettoni, Sutil Martín, Parra et Raya, 2017) ainsi qu’une gamme variée d’émotions (p. ex., Bouchard et Labonté-Chartrand, 2011). Des travaux effectués dans le domaine des neurosciences sociales tendent à démontrer que les stimuli sociaux présentés en RV sollicitent les mêmes processus cérébraux que les interactions réelles en face à face (Parsons et al., 2017). Les réponses comportementales des participants en contexte de RV seraient également comparables à celles observées lors des situations réelles qu’elles simulent (Chicchi Giglioli et al., 2017).

Outre ces données empiriques, la RV possède des avantages intéressants sur le plan de la recherche, notamment celui de simuler des situations difficiles à reproduire en contexte naturel, de contrôler les stimuli présentés et de s’appliquer à des projets à grande échelle (Dascal et al., 2017 ; Parsons et al., 2017). La RV serait perçue positivement par les participants (Dascal et al., 2017) et ne générerait que peu d’effets secondaires significatifs chez les jeunes (Bouchard, Robillard, Renaud et Bernier, 2011 ; St-Jacques, Bélanger et Bouchard, 2007). Elle est ainsi employée chez les adultes dans l’étude, l’évaluation et le traitement de plusieurs troubles de santé mentale dont les troubles anxieux (p. ex., Ahmed et al., 2017) et la schizophrénie (p. ex., Freeman et al., 2017). La RV a aussi été utilisée à des fins similaires auprès des adolescents (St-Jacques et al., 2007 ; Wang et Reid, 2011).

Synergie entre la réalité virtuelle et l’apprentissage socioémotionnel

La capacité à stimuler l’empathie, les interactions sociales et les émotions de façon réaliste fait de la RV un médium intéressant pour la création d’un programme de prévention universelle ciblant l’ASÉ chez les adolescents en milieu scolaire. Une recherche suggère d’ailleurs que la RV est un outil efficace pour stimuler l’apprentissage et engendrer des changements comportementaux (Pantelidis, 2009). Ce médium suscite l’intérêt des adolescents (Bouchard, 2011) en même temps qu’il permet d’éviter l’écueil que représente l’utilisation d’une approche trop passive pour lutter contre l’intimidation (p. ex., Cunningham et al., 2016). La RV pourrait ainsi être employée pour faire vivre des expériences in vivo aux jeunes, ceux-ci pouvant ensuite être invités à en discuter dans le cadre d’une intervention axée sur l’ASÉ.

Les Ateliers 360 : une collaboration entre la Fondation Jasmin Roy, l’Institut Pacifique et l’Université de Sherbrooke en vue de favoriser l’ASÉ des adolescents en milieu scolaire

La Fondation Jasmin Roy a créé les Ateliers 360, une série de courtes vidéos présentées en RV, afin de susciter l’ASÉ chez les adolescents ainsi que son soutien par le personnel scolaire. Ces ateliers sont animés par l’Institut Pacifique, partenaire du projet ayant conçu des brochures guidant l’animation des rencontres et la réappropriation du contenu par le personnel scolaire. Les psychologues et les chercheurs de l’Université de Sherbrooke ont collaboré à l’élaboration de l’ensemble du matériel d’intervention et mènent présentement l’évaluation d’un premier déploiement du projet.

Les scénarios projetés en RV ont été conçus pour que les adolescents puissent bien s’y identifier. De jeunes acteurs du même âge ont été sélectionnés et encouragés à parler de façon naturelle dans les scènes. Ces dernières se déploient dans des contextes caractéristiques des écoles secondaires québécoises (dans des lieux comme le gymnase, la bibliothèque et les casiers). Les films présentent au surplus des situations auxquelles la plupart des adolescents sont confrontés, comme les travaux d’équipe, l’accueil d’un nouvel élève ou la gestion d’une colère dans la pratique d’un sport. En outre, la création des scénarios vise à solliciter affectivement les adolescents sans pour autant les submerger. Afin de contrôler l’intensité des situations conflictuelles présentées et des émotions qu’elles sollicitent, chaque film est composé de deux parties. La première évoque un conflit relationnel ; un acteur s’adresse directement à l’adolescent qui visionne le film. La seconde illustre une solution au conflit. Finalement, afin d’impliquer davantage le personnel scolaire dans la démarche, un des scénarios de l’atelier présente un enseignant réagissant de différentes façons aux comportements problématiques d’un élève. Les thèmes soulevés dans les scénarios sont décrits et étayés au sein des manuels conçus pour l’animateur et le personnel scolaire. La présentation de chaque film est d’ailleurs accompagnée d’une période de discussion avec les élèves et le personnel scolaire fondée sur ce contenu. Cet échange vise aussi à stimuler l’ASÉ selon les thèmes abordés dans les scènes.

Conclusion

Les Ateliers 360 sont présentement en phase d’évaluation dans des écoles du Québec. Cette démarche vise à sonder les effets de l’approche sur les jeunes en s’appuyant sur différents outils évaluant les cinq dimensions de l’ASÉ (conscience de soi, régulation de soi, conscience sociale, habiletés relationnelles et prise de décision responsable), sondant certains indices comportementaux et émotionnels (p. ex., comportements intériorisés et extériorisés, comportements prosociaux, attitude face à l’école et aux enseignants, qualité des relations interpersonnelles), mesurant les effets de l’utilisation de la RV sur les participants et recueillant leurs suggestions afin d’améliorer les scénarios et les périodes d’échange. Il est attendu que les Ateliers 360 favorisent l’ASÉ des jeunes, contribuant ainsi à développer un climat positif au sein des écoles participantes et à diminuer les comportements d’intimidation.

 

Bibliographie

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