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Introduction au dossier - La santé mentale en milieu scolaire : défis et enjeux

Dre Tina Montreuil, psychologue | Experte invitée

Professeure adjointe au Département de psychopédagogie et counseling et professeure associée au Département de psychiatrie de l’Université McGill, ainsi que directrice du laboratoire de recherche C.A.R.E. – Childhood Anxiety and Regulation of Emotions, elle exerce également en pratique privée et œuvre également, dans plusieurs organisations, à la promotion de la psychologie scolaire et de la santé mentale en milieu scolaire.


La santé mentale se définit comme un « état d’équilibre psychique et de bien-être ». Elle englobe la manière de penser, de se sentir, d’agir et d’interagir avec les autres. Une bonne santé mentale permet à l’individu d’utiliser son plein potentiel et ainsi de mieux composer avec les impasses et les tensions de la vie quotidienne. Ultimement, elle permet de s’adapter à sa communauté et de développer son capital humain (Organisation mondiale de la santé, 2013). Toutefois, certains événements peuvent affecter la pensée, l’humeur ou le comportement d’une personne, engendrant chez elle des sentiments de détresse.

Un enfant ou un adolescent sur quatre, entre 9 et 19 ans, serait aux prises avec des problèmes de santé mentale (Smith et Smith, 2010 ; Institut canadien d’information sur la santé, 2009). Par voie de conséquence, la présence de symptômes s’apparentant à ceux d’une maladie mentale chez les enfants et les adolescents augmente de façon significative le risque de souffrir d’un problème de santé mentale à l’âge adulte ; cela affecte la réussite scolaire et l’employabilité.

De plus, des études démontrent que les problèmes de santé mentale perturbent la réussite de l’élève et les relations interpersonnelles qu’il entretient à l’école (Chan, Zadeh, Jhang et Mak, 2008). La maladie mentale peut se manifester à tout moment et affecter la capacité d’un individu, en particulier celle d’un enfant, d’atteindre son plein potentiel. Selon un rapport de la Commission de la santé mentale du Canada (2016), l’incidence économique des problèmes de santé mentale au Canada est évaluée à plus de 50 milliards de dollars par année (Commission de la santé mentale du Canada, 2010).

D’ici les 30 prochaines années, le coût associé aux pertes économiques découlant de problèmes de santé mentale aura totalisé plus de 2 500 milliards de dollars (Commission de la santé mentale du Canada, 2010). On estime pourtant qu’il serait possible d’économiser plus de 4 milliards de dollars annuellement si l’on parvenait à réduire de 10 % le nombre de personnes qui souffrent d’un nouveau problème de santé mentale au cours d’une année donnée ; d’où l’importance de travailler en amont auprès des jeunes, par des actions de prévention des risques et de promotion de la santé mentale, plutôt que de se cantonner à la gestion de crise. Des données probantes, nombreuses et variées, mettent d’ailleurs clairement en évidence les nombreux avantages de la promotion de la santé mentale selon une approche universelle, ainsi que de l’intervention précoce ou réactive auprès des enfants et des adolescents (Tilley, Cabecinha-Alati, O’Hara et Montreuil, 2017 ; Conley, Durlak et Kirsch, 2015 ; Howe, Batchelor, Coates et Cashman, 2014).

Puisque les enfants et les adolescents passent en moyenne 80 % de leur journée à l’école, le milieu scolaire s’avère être un endroit propice à l’enseignement des compétences sociales, des attitudes adéquates et des croyances, mais aussi du développement d’habitudes de vie saines qui contribueront au bien-être mental et global de l’élève ; et ceci, tout en réduisant les entraves à l’accès précoce aux soins de santé mentale.

Ainsi, le présent dossier vise à poser un regard pointu sur la notion de « réussite éducative », qui comprend le développement du plein potentiel de l’élève, dont la réussite scolaire est une composante majeure puisqu’elle inclut au premier plan l’intégration de savoirs scolaires, l’acquisition d’attitudes et de valeurs utiles au fonctionnement en société, le développement de compétences nécessaires à l’insertion professionnelle et la réussite d’objectifs personnels (soit l’autonomie, le bien-être, la mobilité sociale, etc.) (Demba, 2016 ; Rousseau, 2016).

En réponse à la recherche de meilleures pratiques, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a lancé, en 2015, son Plan d’action en santé mentale 2015-2020 (PASM), dont l’objectif premier est d’améliorer l’accessibilité aux soins et aux services… le plus tôt possible, tant pour les personnes atteintes que pour leurs proches. En réponse au PASM, le Programme national de santé publique (PNSP) fut conséquemment désigné pour faire la promotion de la santé mentale et mettre de l’avant la prévention des troubles de santé mentale, en plus de soutenir la mise en œuvre de ces initiatives gouvernementales. Parallèlement, l’approche École en santé de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), dont la démarche concertée vise une action sur la santé globale de l’élève (soit la santé mentale et physique), propose d’accompagner l’école et ses partenaires (les jeunes, les familles, l’école et la communauté) en vue d’accroître l’efficacité des interventions de promotion de la santé et de prévention réalisées pour améliorer le capital humain et le bien-être de la jeunesse du Québec. Similairement, en 2016, le gouvernement du Québec a dévoilé sa Politique québécoise de la jeunesse 2030 visant à agir sur « plusieurs fronts pour l’avenir des jeunes, particulièrement en les accompagnant et en les soutenant dans leurs apprentissages, leurs projets de vie et leurs initiatives », de sorte de leur fournir « un environnement scolaire favorisant la persévérance et la réussite éducative ». Ces actions concertées ont permis d’amorcer un virage vers la promotion de la santé et la prévention.

Toutefois, en dépit de ces avancées, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec ne semble pas reconnaître, jusqu’à présent, les difficultés qui relèvent des problèmes de santé mentale chez les élèves comme des facteurs pouvant influer sur le rendement scolaire (Gouvernement du Québec, 2018) ni sur le bien-être des jeunes.

Ainsi, en tant que rédactrice invitée, je me joins aux nombreux collaborateurs de ce dossier spécial portant sur la santé mentale en milieu scolaire afin de mettre en évidence les enjeux qui existent actuellement au Québec sur ce sujet, de fournir des pistes d’intervention validées touchant divers aspects de la santé mentale et de faire le point sur la nécessité de revoir le rôle du psychologue scolaire dans la prestation de services préventifs de santé mentale en milieu scolaire.
 

Bibliographie

Chan, E., Zadeh, Z., Jhang, N. et Mak, M. (2008, septembre). Depression and academic achievement: A meta-analysis. Poster presented at the Canadian Academy of Child and Adolescent Psychiatry. Vancouver, Canada.

Commission de la santé mentale du Canada. (2016). Pour faire progresser la Stratégie en matière de santé mentale
pour le Canada : Cadre d’action (2017–2022), Ottawa (Ontario). Consulté le 29 juin 2018 à : https://www.mentalhealthcommission.ca/sites/default/files/201608/pour_faire_progresser_la_Strategie_en_matiere
_de_sante_mentale_pour_le_canada_cadre_dac.pdf

Conley, C. S., Durlak, J. A. et Kirsch, A. C. (2015). A meta-analysis of universal mental health prevention programs for higher education students. Prevention Science, 16(4), 487-507.

Demba, J. J. (2016). Discussions autour de la notion de réussite scolaire : un regard rétrospectif Communication présentée au colloque Périscope : interfécondation des savoirs au bénéfice de la persévérance et de la réussite scolaire. Montréal, Canada : 84e congrès de l’Acfas – Association francophone pour le savoir, Université du Québec à Montréal.

Gouvernement du Québec (2018). Politique de la réussite éducative. Québec, Canada : Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Consulté le 29 juin 2018 à: http://www.education.gouv.qc.ca/parents-et-tuteurs/examens-et-epreuves/traitement-des-resultats/facteurs-pouvant-influer-sur-le-rendement-scolaire

Howe, D., Batchelor, S., Coates, D. et Cashman, E. (2014). Nine key principles to guide youth mental health: Development of service models in New South Wales. Early Intervention in Psychiatry, 8, 190-197.

Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) (2009). Les soins de santé au Canada 2009 : revue de la dernière décennie. Ottawa, Canada : ICIS. Consulté le 29 juin 2018 à : https://secure.cihi.ca/free_products/HCIC_2009_Web_f.pdf

Mental Health Commission of Canada. (2010). Making the Case for Investing in Mental Health in Canada. Ottawa

(Ontario). Consulté le 29 juin 2018 à : https://www.mentalhealthcommission.ca/sites/default/files/201606/Investing_in_Mental_Health_FINAL_Version_ENG.pdf

Organisation mondiale de la santé (2013). Plan d’action mondial pour la lutte contre les maladies non transmissibles 2013-2020. Genève (Suisse) : Auteur. Consulté le 29 juin 2018 à : http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/94384/1/9789241506236_eng.pdf?ua=1

Rousseau, N. (2016). Réussite scolaire ou réussite éducative : faut-il revisiter ces concepts? Communication présentée au colloque Périscope : interfécondation des savoirs au bénéfice de la persévérance et de la réussite scolaire. Montréal, Canada : 84e congrès de l’Acfas – Association francophone pour le savoir, Université du Québec à Montréal.

Secrétariat à la jeunesse (2016). Politique québécoise de la jeunesse 2030. Québec, Québec, Gouvernement du Québec. Consulté le 28 juin 2018 à : https://www.jeunes.gouv.qc.ca/publications/documents/pqj-2030.pdf

Smith, J. P. et Smith, G. C. (2010). Long-term economic costs of psychological problems during childhood. Social Science & Medicine, 71(1), 110-115.

Tilley, M. A., Cabecinha-Alati, S., O’Hara, G. et Montreuil, T. (2017, février). Emotion regulation, academic performance and social functioning: An intervention study. National Association of School Psychologists Annual Convention. San Antonio, TX.