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La téléthérapie, mieux que la thérapie en présentiel pour le TDA/H?

Dre Diane Dulude, psychologue

Spécialisée en relations, TDA/H, concept de soi et résilience, elle est l’auteure de livres novateurs sur le TDA/H, pratique en privé, en plus de présenter des conférences.

 

 


Écoles fermées… Lieux publics non essentiels fermés jusqu'à nouvel ordre. Distanciation… Désinfectant… Masque... Confinement… COVID-19 : une nouvelle réalité. Dès le début du confinement et de la crise pandémique, j’arrivais à imaginer les suivis verbaux en télétravail. Mais comment réussir la thérapie par le jeu? Accueillant familles, couples et enfants, dont plusieurs vivant avec une problématique de TDA/H avec anxiété ou opposition, cette question tourbillonnait dans ma tête. Puis l’essence de la thérapie, l’alliance thérapeutique, m’est revenue, et j’ai songé que je pouvais « écouter avec modestie et authenticité et ne pas hésiter à puiser dans ma créativité et celle de mes clients pour façonner un espace thérapeutique chaleureux et rassurant en ligne ». Tous ont cheminé vers leurs objectifs, certains, même, dont plusieurs jeunes vivant avec un TDA/H accompagné d’anxiété ou de problèmes d’opposition, plus rapidement qu’en présentiel.
 

L’écran magique

Le concept de soi des personnes confrontées au TDA/H tend à être diffus (Epstein et al., 2000). Ceci implique des frontières interpersonnelles très souples et donc une vulnérabilité à la décentration par leurs émotions ou par l’extérieur (Anderson et Sabatelli, 1990; Bowen, 1978; Mahler, Pine et Bergman; 1975; Mendelson, 1978). Cette souplesse des frontières permet également de percevoir les atmosphères, d’avoir un processus de pensée très rapide, de réfléchir hors du cadre ou avec créativité, toutes des forces auxquelles on accorde peu d’importance dans l’approche conventionnelle (Dulude, 2014). Le type d’intervention peut aussi favoriser la réorganisation cérébrale plutôt que la compensation (Masson, 2013). Pour favoriser cette résilience, il faut cibler le concept de soi et le pouvoir personnel par un travail relationnel et affectif (Dobbs, 2011; Donnon et Lemay, 2003; Shore, 2008).

L’approche que j’utilise avec ma clientèle TDA/H avec anxiété ou opposition est celle que j’ai présentée dans l’ouvrage Le TDA/H, une force à rééquilibrer (Dulude, 2014), qui se situe dans le prolongement des recherches citées précédemment.

Nous travaillons dans quatre sphères indirectes de travail, soit le développement d’un concept de soi positif, la clarification des frontières, la régulation affective et la réappropriation du pouvoir personnel (Dulude, 2014). Nous avons observé, depuis plus de cinq ans, des résultats impressionnants et durables à moyen terme en présentiel auprès des jeunes suivis quant à leurs capacités d’attention, de régulation affective et de collaboration par rapport à leurs attitudes d’opposition. En télépratique, tel que nous le décrirons ci-après, l’écran permet d’investir ces sphères de travail plus concrètement et exige un travail relationnel régulier. Ceci pourrait expliquer les évolutions marquées observées quant aux symptômes de TDA/H avec anxiété ou opposition.

1. Concept de soi : Souvent, les jeunes vivant avec un TDA/H se sentent différents et ont une estime d’eux-mêmes fragile. Le contexte de confinement leur a donné l’occasion d’être comme tout le monde… « Viens voir ma chambre. Regarde mes Legos, et mon affiche d’Harry Potter. » « Je ne vais pas me faire soigner à la clinique, c’est plutôt Diane qui vient chez moi pour jouer. »

Avec la pandémie, tous se sont trouvés investis d’un même but : aplatir la courbe. Empêcher la propagation du virus. « Ensemble, ça va bien aller! » Le sentiment d’appartenance manque souvent douloureusement à ces jeunes; cette fois, ils avaient la possibilité de faire leurs preuves dans un contexte où personne n’avait d’expérience, et cela semble avoir affecté positivement leur concept de soi. « Moi, une TDA/H, désorganisée… en quelques jours à peine, j’ai apprivoisé Facetime, Messenger Kids, Google Meet et Zoom… » Voir la « psy » faire appel à soi pour recréer l’espace thérapeutique de jeu, réaliser que l’approximation successive est l’affaire de tous, que ses habiletés créatives sont bien utiles… Le TDA/H avec lequel vit l’enfant n’est pas un handicap permanent, mais bien une façon d’être caractérisée par des frontières interpersonnelles très souples, et un grand éveil sensoriel – tel un petit radar – à apprivoiser (Voir Pompon Radar, Tirer profit de son profil de personnalité TDA/H!, Dulude, 2020).

2. Frontières interpersonnelles : Savoir ajuster ses frontières est un objectif de notre approche. Le télétravail concrétise cette notion par les réglages de contact qu’il permet. Il y a un bouton, celui de la caméra, et on peut choisir d’allumer ou d’éteindre, il y a aussi le bouton du volume, et celui du partage d’écran. Ces éléments permettent d’ajuster le degré de présence au milieu et de visualiser l’ajustement des frontières. L’écran est protecteur devant l’ambivalence à la relation. Il facilite aussi le travail de flexibilité cognitive. Si nos perceptions sont différentes, c’est peut-être en raison du filtre que l’écran amène… Ne sentant pas son intégrité psychologique menacée, le jeune peut sortir du schème « tout est blanc-tout est noir » et s’ouvrir à la notion de perceptions.

3. Pouvoir personnel : Le télétravail exige une participation active à ce qui se passe dans l’ici-maintenant. « Peux-tu te mettre un peu plus proche? Changer la caméra d’angle? » En présentiel, je prenais un rôle plutôt actif pour ramener l’enfant dispersé. N’ayant pas ce pouvoir en télétravail, je sollicite davantage ses capacités à choisir d’être présent. C’est bénéfique. Me taire, attendre que l’enfant se demande où je suis et formuler que je suis présente, que c’est lui qui est parti. Graduellement, l’enfant réalise qu’il a le pouvoir de rester. Cette conscientisation se répète plusieurs fois par session.

4. Émotions : Que faire devant une perte d’attention associée à l’envahissement par une émotion? Le contact premier avec les personnes vivant avec un TDA/H passe par le non-verbal. La téléthérapie permet d’utiliser ce mode. On traite d’un sujet qui l’agite et l’enfant éteint la vidéo, mais non le son… « Tu es parti? Qu’est-ce qui se passe? Tu n’aimes pas ce dont on parle? » Tout à coup, dans la fenêtre de clavardage, apparaît une émoticône tirant la langue. On peut répondre par un reflet, une autre image non verbale, par exemple un fichier GIF présentant une petite tortue nageant tranquillement et accompagner cela d’une interprétation clinique : « On y va tranquillement. C’est vrai que ce n’est pas facile de parler de ce sujet. » L’atmosphère redevient ludique, le jeune s’apaise, le lien se rétablit. L’intervenant peut aussi modeler la régulation des « frontières » lui-même en choisissant, lors de désorganisations de la part de l’enfant, d’éteindre la caméra tout en gardant le lien par la parole. L’effet de surprise interrompt l’escalade. C’est l’occasion d’expliquer la différence entre le monde affectif intérieur et les gestes impulsifs… L’occasion d’inviter à mettre en mots son vécu. La danse des émoticônes est également bien utile. Je t’envoie une émoticône sur ce que je pense que tu vis, tu m’en renvoies une pour ajuster ma compréhension. Ce travail verbal et non verbal de dosage des frontières favorise le processus d’intégration entre les émotions, la cognition et les choix comportementaux nécessaires face à un enfant aux prises avec un TDA/H.

5. Rythme personnel et système nerveux : Comme nous abordons le TDA/H sous un angle neurodéveloppemental, nous soutenons la relance du processus maturationnel et la résolution de tâches développementales pour transformer ce profil TDA/H en un atout. Un style de vie en accord avec le rythme et les besoins personnels favorise la santé du système nerveux, ce qui permet d’ancrer le travail psychothérapeutique dans un terrain fertile sur le plan physique. Chez les familles étudiées, confinement et télétravail ont permis un meilleur respect du rythme biologique des jeunes (sommeil, repos) et une diminution du stress parental. L’absence de déplacements obligatoires leur a donné plus de temps pour répondre aux besoins personnels et familiaux de chacun. Pour ces familles, la réorganisation du quotidien a été positive, contribuant sans doute aux évolutions également positives constatées chez les enfants. Il aurait pu en être tout autrement dans des familles où cette reconfiguration du quotidien aurait généré un stress accru chez les parents. L’efficacité du télétravail pour les jeunes de ces familles vivant avec un TDA/H relève de plusieurs facteurs auxquels nous devrons réfléchir afin de bien comprendre les mécanismes en jeu. Enfin, plusieurs parents ont été surpris de voir leur enfant s’adapter avec facilité à la nouvelle réalité. L’espoir a remplacé le prisme du handicap permanent et entraîné un regard de soi amélioré de la part du jeune.

En conclusion, la pandémie nous a menés à la télépratique. Avec une curiosité positive, nous avons réussi à créer, et ce, pour l’ensemble de nos clients – enfants, couples et même familles –un lien tout comme en présentiel, de même que l’espace thérapeutique pour les aider à cheminer. Ceci confirme l’aspect primordial de la relation et de l’alliance thérapeutique dans la psychothérapie et valide l’importance de la créativité comme facteur favorisant cette alliance et la création de l’espace thérapeutique (Grégoire, 2019; Laroche-Provencher, 2013).

Nous avons constaté, non sans surprise, que la téléthérapie pouvait s’avérer particulièrement efficace pour les jeunes vivant avec un TDA/H. Ces résultats paraissent attribuables à un ensemble de facteurs, notamment la concrétisation, à travers l’écran, des sphères de travail investies, l’appréciation de la « pause » qu’a représentée le confinement pour les familles étudiées, et la possibilité que l’adrénaline, un neurotransmetteur psychostimulant sécrété naturellement en contexte d’urgence (Hallowell, 2018), ait favorisé l’attention et l’organisation des jeunes vivant avec un TDA/H en raison de l’existence de la COVID-19. Il faudra poursuivre nos observations et nos réflexions sur le sujet afin de pouvoir les nuancer ou les valider. Tel que nous l’avons mentionné précédemment, ces résultats remettent en question la perspective du TDA/H comme handicap permanent et permettent d’avancer qu’il peut plutôt s’agir d’un profil de personnalité à apprivoiser.

La téléthérapie s’ajoutera ainsi à nos services. De plus, nos observations auprès de notre clientèle sont rassurantes dans le contexte actuel de la pandémie, et nous indiquent également de nouvelles avenues de travail à considérer.

 

Références

Anderson, S. A. et Sabatelli, R. M. (1990). Differentiating differentiation and individuation: Conceptual and operation challenges. American Journal of Family Therapy, 18(1), 32-50. doi.org/10.1080/01926189008250790

Bowen, M. (1978). Family Therapy in Clinical Practice. New York, NY : Jason Aronson.

Dobbs, D. (2011, octobre). Beautiful brains: The new science of the teenage brain. National Geographic, 37-59.

Donnon, T. et Lemay, J.-F. (2003). Resiliency for life workshop: Assessing developmental strengths. Understanding child, adolescent and family resiliency. Calgary, Canada : Resiliency Canada [communication orale]. Présentée en mars 2004 au 29e congrès de l’AQETA, Montréal, Canada.

Dulude, D. (2014). Le TDA/H : une force à rééquilibrer. Le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité. Montréal, Canada : Éditions du CRAM.

Dulude, D. (2020). Pompon Radar. Tirer profit de son profil de personnalité TDA/H. Montréal, Canada : Éditions Mile-O.

Grégoire, A. (2019). Penser la relation thérapeutique pour mieux panser : l’histoire d’une rencontre en pédopsychiatrie. Médecine humaine et pathologie.‌ Repéré à https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02274563/document

Hallowell, N. (2018, février). Adrenaline, nature’s own Ritalin. Developmental Ressources. Repéré à https://developmentalresources.wordpress.com/2018/02/05/adrenaline-natures-own-ritalin-dr-ned-hallowell/

Laroche-Provencher, J. (2013). La créativité relationnelle du thérapeute et ses retombées en psychothérapie individuelle adulte : étude qualitative auprès de psychologues d’expérience. Savoirs UdeS. Repéré à https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/6464

Mahler, M. S., Pine, F. et Bergman, A. (1975). The Psychological Birth of the Human Infant: Symbiosis and Individuation. New York, NY : Bases Books.

Masson, S. (2013). Neuroéducation et trouble d’apprentissage [communication orale]. 38e congrès de l’AQETA, Montréal, Canada.

Mendelson. (1978). Differentiation and individuation in the family: A psychoanalytic view. Family, 5, 113-118.

Shore, A. N. (2008). La régulation affective et la réparation du soi. Montréal, Canada : Éditions du CIG.