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Le consensus interordres sur l’exercice de la psychothérapie

Pierre Desjardins, psychologue, consultant et ex-directeur de la qualité et du développement de la pratique de l'Ordre des psychologues du Québec.


Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi 21, on constate dans certains milieux que des professionnels se limitent dans leurs interventions de peur de contrevenir à la loi, alors que d’autres, sans le savoir et sans y être autorisés, exercent la psychothérapie. De plus, le projet de loi 21 pose des défis dans certains milieux, notamment au sujet de l’embauche et de l’affectation de professionnels et autres intervenants pour répondre aux besoins de santé mentale de la population et satisfaire aux exigences de la loi.

Conscients de ces enjeux, les ordres professionnels dont les membres peuvent exercer la psychothérapie1 ont pris l’initiative de créer un groupe de travail pour se pencher sur les questions que soulève la réserve de la psychothérapie et ses impacts, et ce, dans le but de dégager une compréhension commune du sens et de la portée de la définition de la psychothérapie. Les travaux de ce groupe de travail interordres ont permis la production d’un document intitulé L’exercice de la psychothérapie et des activités qui s’y apparentent (ci-après le document). Le document a été adopté par tous les conseils d’administration des ordres professionnels concernés.

Rappelons d’abord comment le Code des professions définit la psychothérapie :

La psychothérapie est un traitement psychologique pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique qui a pour but de favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé. Ce traitement va au-delà d’une aide visant à faire face aux difficultés courantes ou d’un rapport de conseils ou de soutien.

Cette définition sert à déterminer si une intervention constitue ou non de la psychothérapie, tâche parfois difficile dans le contexte où différents professionnels de la santé mentale et des relations humaines ont recours à une variété d’interventions en lien avec leur champ d’exercices, interventions qui s’apparentent souvent à la psychothérapie.

Le contenu du document

Le document fait état d’un positionnement consensuel qui porte notamment sur :

  • la définition de la psychothérapie et l’importance de chacun de ses trois éléments constitutifs;
  • la démarche psychothérapeutique :
    • qui intègre une diversité d’interventions, dans un continuum, interventions qui ne sont pas de la psychothérapie en soi et qui peuvent être offertes hors de ce continuum par des professionnels non habilités,
    • selon laquelle on peut avoir recours à des outils ou à des techniques qui peuvent aussi être utilisés dans le cadre d’autres interventions;
  • la portée et les limites de l’évaluation requise pour l’exercice de la psychothérapie;
  • des enjeux d’ordre conceptuel et terminologique.

La définition de la psychothérapie

Comme l’illustre le tableau 1, quatre éléments se dégagent de la définition de la psychothérapie. Les trois premiers, soit sa nature, son objet et sa finalité, en sont constitutifs. Le quatrième ne fait qu’évoquer ce qu’elle n’est pas, et peut ainsi renvoyer à des interventions qui s’y apparentent, dont celles que liste le Règlement sur le permis de psychothérapeute (ci-après le Règlement)2.

Tableau 1 - La psychothérapie

1. Sa nature

Traitement psychologique.

2. Son objet

Pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique.

3. Sa finalité
(ses objectifs)

Qui a pour but de favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé.

4. Ce qu’elle n’est pas

Ce traitement va au-delà d’une aide visant à faire face aux difficultés courantes ou d’un rapport de conseils ou de soutien.

 

Ainsi, lorsqu’il s’agit de déterminer si une intervention constitue une forme de psychothérapie, il faut montrer que l’intervention offerte se caractérise par la présence simultanée des trois éléments constitutifs de la psychothérapie que sont sa nature, son objet et sa finalité.

L’importance du premier élément constitutif : le traitement psychologique

Tous les professionnels de la santé mentale et des relations humaines œuvrent auprès de personnes qui présentent « […] un trouble mental, […] des perturbations comportementales ou […] tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique » (deuxième élément constitutif, l’objet de la psychothérapie). Ils cherchent tous également à « […] favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé » (troisième élément constitutif, la finalité de la psychothérapie). Par conséquent, il ne reste que le premier élément constitutif, le traitement psychologique, comme élément permettant de discriminer si un professionnel exerce ou non la psychothérapie dans le cadre de son engagement auprès d’une clientèle commune à tous les intervenants en santé mentale et en relations humaines. C’est sur cet élément que s’est particulièrement penché le groupe de travail interordres.

Il existe une grande variété d’interventions psychologiques et, parmi celles-ci, la psychothérapie (« traitement psychologique ») et les interventions qui s’y apparentent et que liste le Règlement. On ne peut conclure qu’un traitement est psychologique par la simple exclusion du fait qu’il n’est ni physique ni pharmacologique. Par ailleurs, les interventions psychologiques ne sont pas exclusives à une profession. Elles peuvent en effet être réalisées par différents professionnels dans le cadre de leur champ d’exercices respectif.

Le groupe de travail interordres a déterminé de façon consensuelle que le traitement psychologique se distingue des autres interventions psychologiques par le fait qu’il porte sur ce qui organise et régule le fonctionnement psychologique et mental de la personne, comme le conçoivent et l’opérationnalisent les différents modèles théoriques scientifiquement reconnus2. En vertu de ces modèles, le traitement psychologique se présente de diverses façons et s’appuie notamment sur la théorie du développement et du fonctionnement psychologique et mental que propose chacun des modèles. Le tableau 2 donne un exemple de ce sur quoi porte le traitement psychologique pour chacun des quatre grands modèles théoriques.

Tableau 2 - Ce qui organise et régule le fonctionnement psychologique et mental de la personne

Modèle théorique

Exemple

Les modèles psychodynamiques

La dynamique inconsciente pulsion/défense.

Les modèles cognitivo-comportementaux

Les croyances fondamentales et les schémas cognitifs qui conditionnent les pensées automatiques, les réactions émotionnelles, les sensations et les comportements qui sont à la source de la souffrance et qui la maintiennent.

Les modèles systémiques et les
théories de la communication

Considérant les interrelations entre différents sous-systèmes qui sous-tendent et maintiennent l’équilibre du système (couple, famille, groupes, institutions et autres), le fonctionnement du sous-système individu, eu égard notamment :

  • aux règles intériorisées;
  • aux rôles qui découlent des règles intériorisées et qui sont joués de manière non consciente.

Les modèles humanistes

Le soi authentique et les entraves à son actualisation sur le plan du fonctionnement psychologique et mental.

 

Tous les professionnels qui interviennent en santé mentale et en relations humaines vont viser des changements significatifs, et ce, relativement à leur champ d’exercices respectif. Mais si leurs interventions ne portent pas sur ce qui organise et régule le fonctionnement psychologique et mental de la personne auprès de qui ils interviennent, ils n’exercent pas la psychothérapie. Il se peut par ailleurs que les interventions des professionnels non autorisés à l’exercice de la psychothérapie aient des effets sur ce qui organise et régule le fonctionnement psychologique et mental de la personne sans qu’ils aient été visés par un travail spécifique et la présence seule de tels effets ne permet pas de conclure qu’il y ait eu exercice de la psychothérapie.

Un continuum d’interventions

Écouter, soutenir avec empathie, accompagner, conseiller, enseigner, éduquer, confronter, encadrer de façon plus ou moins serrée, faire prendre conscience, etc. constituent un ensemble d’interventions que peuvent offrir tous les professionnels et autres intervenants de la santé mentale et des relations humaines, et ce, en fonction de leur champ d’exercices, le cas échéant, et des besoins de la personne.

Par ailleurs, l’ensemble de ces interventions peut faire partie intégrante d’un processus psychothérapeutique. En effet, les manuels de référence en psychothérapie présentent une démarche psychothérapeutique qui, de façon indissociable, intègre des interventions de l’ordre notamment de l’éducation psychologique et de la réadaptation, tout en préconisant le recours à des techniques particulières. Parfois, les interventions se situent sur un continuum, alors qu’elles doivent être faites en suivant une certaine séquence, celle-ci respectant les principes cliniques de l’approche préconisée. Dans tous les cas, elles doivent non seulement être réalisées au moment opportun, mais aussi prendre en compte les besoins, les capacités et les ressources de la personne qui consulte. Du point de vue des professionnels qui exercent la psychothérapie, toutes ces interventions font partie de la démarche psychothérapeutique et il peut leur paraître difficile de concevoir qu’elles puissent être dissociées de la psychothérapie et de les considérer isolément comme des interventions qui ne sont pas de la psychothérapie. Il est tout de même possible de les distinguer sur la base de la définition de la psychothérapie et de définir un point de bascule dans la démarche, point qui est franchi quand le travail porte sur ce qui organise et régule le fonctionnement psychologique et mental de la personne.

Questions d’ordre terminologique et conceptuel

On constate, lorsque vient le moment de distinguer la psychothérapie et les interventions qui n’en sont pas, qu’on a recours à des termes et à des expressions qui trop souvent recouvrent des réalités diverses ou même découlent de conceptions différentes. La terminologie utilisée par les professionnels et autres intervenants en santé mentale et en relations humaines peut varier en fonction des paradigmes de leurs disciplines propres, des modèles d’intervention, de la clientèle desservie, du milieu d’intervention, etc. Considérant les risques de confusion et d’incompréhension associés à leur utilisation, le document propose de convenir du sens de certains termes et expressions couramment utilisés et potentiellement sources de confusion quand il s’agit de déterminer s’il y a ou non exercice de la psychothérapie. C’est le cas, par exemple, des termes ou des expressions suivant : le counseling, la relation d’aide, la thérapie, la thérapie de soutien, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), les croyances, les schémas, l’exposition et la restructuration cognitive.

Le défi de l’accessibilité à la psychothérapie

La publication du document arrive à point nommé, alors que le ministère de la Santé et des Services sociaux s’affaire à mettre en place un programme de services permettant de donner un accès à la psychothérapie, universel et gratuit, à toutes les personnes qui présentent des troubles de santé mentale. Pour ce faire, on compte s’appuyer sur les programmes de traitement qui sont offerts en Grande-Bretagne. Or, on sait que ces programmes, dont la visée générale est psychothérapeutique, comprennent des interventions diverses qui peuvent être de l’ordre de l’éducation psychologique, de la réadaptation, de l’accompagnement et du soutien et de la psychothérapie, en modalité individuelle ou en groupe. Différents professionnels et autres intervenants en santé mentale et en relations humaines y seront conséquemment mobilisés, et l’enjeu ici est de s’assurer qu’on a bien circonscrit et délimité l’offre de services, qu’on a départagé, sur la base d’une compréhension commune, celle qu’élabore le document, ce qui constitue ou non de la psychothérapie afin que tous ceux qui seront impliqués interviennent dans les limites de leurs compétences et de leurs habilitations.

Voilà, dans de très grandes lignes, ce que propose le document. Nous espérons que cet aperçu vous donne envie d’en savoir davantage et nous vous invitons à faire une lecture attentive du document intitulé L’exercice de la psychothérapie et des interventions qui s’y apparentent.

Notes

1 Les ordres concernés sont : le Collège des médecins du Québec (CMQ), l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (OCCOQ), l’Ordre professionnel des criminologues du Québec (OPCQ), l’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ), l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), l’Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec (OPPQ), l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ), l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) et l’Ordre professionnel des sexologues du Québec (OPSQ).

2 Dans la perspective d’opérationnaliser le concept de traitement psychologique, le groupe interordres a jugé pertinent de s’appuyer sur les quatre grands ensembles de modèles d’intervention que présente l’article 1 du Règlement sur le permis de psychothérapeute de l’Office des professions, soit les modèles psychodynamiques, les modèles cognitivo-comportementaux, les modèles systémiques et les théories de la communication, et les modèles humanistes.