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Le couple aîné : défis, particularités et pistes d’intervention clinique

Myriam Gauvreau, psychologue

Candidate au doctorat en psychologie clinique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et interne à la clinique universitaire de services psychologiques.
 

Dr Yvan Lussier, psychologue

Professeur titulaire à l’UQTR et chercheur régulier au sein du Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et de l’équipe Sexualité et couple (SCOUP). Il est coéditeur des livres Manuel clinique des psychothérapies de couple et Les fondements de la psychologie du couple.

Dr Stéphane Sabourin, psychologue

Professeur titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval et chercheur régulier au sein du Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS). Il est coéditeur des livres Manuel clinique des psychothérapies de couple et Les fondements de la psychologie du couple.

 


La vieillesse est une période de la vie où les buts et le soutien mutuel dans le couple s’avèrent déterminants. En effet, le partenaire est bien souvent la personne la plus significative, tenant lieu de confident, de compagnon d’activités, de source de soutien ou de proche aidant pour le conjoint vieillissant. Or, peu d’études existent sur l’intervention conjugale et sexuelle auprès de cette couche croissante de la population. Il importe pour le clinicien de pouvoir reconnaître les différents défis et changements auxquels font face les couples aînés, de même que de bien saisir leurs caractéristiques propres pour intervenir avec les conjoints. Cet article présente un survol des travaux scientifiques sur le fonctionnement conjugal et sexuel des aînés, en plus d’offrir des pistes pour l’évaluation et l’intervention auprès du couple aîné.

Portrait des couples aînés

La population des aînés se caractérise par l’hétérogénéité tant sur le plan de la santé que sur ceux de l’éducation, de l’emploi, des projets et des expériences de vie. Les formes que peuvent prendre les relations amoureuses à cette période de la vie sont en effet variées : relations hétérosexuelles ou homosexuelles, couples mariés ou conjoints de fait, fréquentations amoureuses tout en conservant son propre domicile, partenaires de la même génération ou de cultures et d’âges fort différents. Il ne faut pas non plus négliger les recompositions familiales : des couples mariés depuis longtemps divorcent et vivent une nouvelle relation, des veufs ou des veuves s’engagent de nouveau ou se limitent à des fréquentations occasionnelles. Puis, il y a ceux qui tentent de maintenir la qualité de leur relation conjugale tout en exerçant le rôle de proche aidant auprès de leur partenaire ou de tuteur auprès d’un enfant handicapé ou de petits-enfants (par exemple dans des cas de violence sur les petits-enfants ou encore d’abus de substances, d’incarcération, de divorce, de maladie ou de décès d’un parent).

Satisfaction conjugale et qualité de la relation
En comparaison des études menées auprès d’adultes moins âgés, les recherches sur le fonctionnement conjugal chez les aînés sont peu nombreuses. Pourtant, plusieurs spécialistes ont montré que la qualité de la relation conjugale dans ce groupe d’âge est étroitement liée au fonctionnement psychosocial, notamment à la santé et au bien-être psychologique. Des recherches transversales et longitudinales (voir notamment Trudel, Turgeon et Piché, 2010 ; Trudel, Dargis, Villeneuve, Cadieux, Boyer et Préville, 2013) ont montré que la détresse conjugale des personnes aînées est souvent associée à la détresse psychologique, notamment à des symptômes de dépression et, dans une moindre mesure, à l’anxiété. Cette symptomatologie clinique chez l’un des conjoints entraînerait aussi une augmentation des symptômes dépressifs chez le ou la partenaire de vie. Il ressort aussi de ces études qu’une relation conjugale satisfaisante peut prévenir ou diminuer des difficultés sur les plans physique, social et psychologique chez les couples âgés, en raison de l’importance particulière de la vie de couple à ce moment de la vie.

A priori, les adultes âgés font l’expérience d’un grand nombre d’événements stressants et de transitions, comme la cessation de l’activité professionnelle, la diminution du réseau social (à la suite de la retraite, de maladies ou de deuils) et les transformations du système familial résultant du fait que les enfants deviennent adultes et parents à leur tour (Bulanda, 2011). Ce sont là des sources de préoccupations auxquelles les aînés doivent s’adapter et qui sont susceptibles aussi de se répercuter sur le fonctionnement conjugal en exacerbant notamment les difficultés déjà présentes à l’intérieur du couple.

Dans le travail clinique auprès des couples âgés, les principales sources d’insatisfaction rapportées par les conjoints et pour lesquelles ils consultent sont la communication, les relations sexuelles et le temps passé ensemble (voir Herman, 1994). En effet, il semble que les couples mariés depuis longtemps peuvent tenir pour acquis le mode relationnel et les codes relationnels qu’ils ont développés au fil du temps au sein de leur union. Les comportements visant à maintenir la communication dans le couple seraient ainsi moins présents, ce que déplorent certaines personnes. Il peut arriver aussi que les conflits tirent leur origine du fait que les attentes respectives des deux partenaires par rapport aux priorités, aux activités et aux loisirs à la retraite ne
soient pas les mêmes (Szinovacz et Schaffer, 2000).

En outre, Gottman et Levenson (2000) soutiennent que l’absence d’interactions positives entre les conjoints âgés serait plus importante dans la prédiction du divorce que la présence d’interactions négatives. Toutefois, il ne faudrait pas croire que les interactions négatives sont inexistantes. Elles contribuent à l’érosion lente du plaisir de la vie en couple. La violence existe dans les couples âgés, et elle demeure particulièrement invisible dans la recherche, à l’exception de quelques études nord-américaines (pour une recension, voir Charron, 2009 et, pour un approfondissement, Montminy, 2005).

Il s’avère donc que le soutien du partenaire et une communication positive seraient considérés comme des facteurs clés pour favoriser une relation conjugale satisfaisante et de longue durée. Plus encore, différentes études ont démontré que le soutien et le respect du partenaire pour les buts et les projets de l’autre s’avèrent importants pour le bien-être des deux conjoints (Roussy, Lapierre, Alain et Bouffard, 2003), d’autant que la majorité des conjoints ne prennent pas leur retraite simultanément.

Il est encourageant de savoir que de manière générale, les écrits scientifiques révèlent que la perception de la vie conjugale est généralement positive chez les aînés, dépassant même la moyenne observée chez des couples plus jeunes. Cependant, les femmes affichent un niveau de satisfaction conjugale statistiquement plus bas que celui des hommes et une proportion considérable d’aînés présentent une détresse conjugale importante ; au Québec, c’est notamment le cas de 12,1 % des couples aînés vivant ensemble sous le même toit (Trudel et al., 2013).

Par ailleurs, chez les aînés, la vie sexuelle serait perçue en moyenne comme satisfaisante alors que des changements importants apparaissent, comme une diminution de la sexualité génitale au profit d’activités sexuelles non génitales dont la fréquence augmente. La sexualité continuerait donc à jouer un rôle important dans les couples à cette période de la vie. Toutefois, les aînés auraient du mal à exprimer leur sexualité, particulièrement les femmes, et cela, en raison de l’éducation reçue, parfois rigide, où l’on ne parlait pas du plaisir et des moyens de l’atteindre, ainsi que des représentations sociales associées à la sexualité des aînés. Ce tabou est également observable chez les professionnels œuvrant auprès des personnes âgées (Bélanger, Boudreau, Trudel et Labelle, 2013).

Approches cliniques
Seulement une faible proportion des couples âgés de plus de 65 ans font une demande d’aide psychologique en couple (Evans, 2004). Comme en psychothérapie individuelle chez les personnes aînées, la question du «trop tard» est souvent posée. La vision de l’impossibilité à changer lorsque l’on est âgé, la crainte de rouvrir de vieilles blessures, la perspective d’une rupture potentielle sont autant de freins à l’amorce d’une psychothérapie chez les couples aînés. Or, lors de la période de la vieillesse, la personne est dans une adaptation permanente, dans une évolution personnelle et conjugale. Par conséquent, un processus thérapeutique conjugal est non seulement possible, mais pertinent. Un survol de la documentation scientifique portant sur le couple âgé (voir notamment Bookwala et Jacobs, 2004 ; Henry et Miller, 2005 ; Yorgason, Miller et White, 2009) a permis de faire ressortir différents repères pertinents pour l’évaluation et l’intervention. Voici quelques-uns d’entre eux, qui nous apparaissent les plus importants à retenir.


D’abord, le thérapeute gagne à tenir compte des spécificités propres aux dyades âgées. L’intervention mise de l’avant doit être dotée d’une structure flexible quant au nombre et à la durée des rencontres, afin de tenir compte des caractéristiques de ces couples, de leurs préoccupations, de leurs difficultés, de leurs objectifs et de leur contexte de vie (par exemple la présence de maladies, l’état de fatigue, les ressources et l’environnement, la dimension spirituelle). À cet égard, des auteurs comme Amyot (2008) expliquent que, lors de la prise en charge thérapeutique du couple âgé, il faut tenir compte des détériorations physiques ou psychiques, de la prise de médicaments et de leurs effets secondaires et de toutes les autres pertes qui fragilisent l’estime de soi de l’individu vieillissant, car elles peuvent, elles aussi, engendrer des difficultés conjugales. Il serait aussi important de prendre en compte certaines notions temporelles, en s’intéressant notamment à l’histoire de vie et aux problématiques de chacun des partenaires (par exemple en ce qui a trait à la personnalité, à la santé mentale, à la dépendance ; Garner, 2003).

En outre, certains auteurs suggèrent que le travail thérapeutique auprès des couples âgés se base sur la résolution de problèmes et qu’il vise à favoriser l’autonomie fonctionnelle des partenaires en misant sur les diverses ressources et conditions modifiables (Michaud-Feinberg, Darwiche, Vaudan, de Roten et Despland, 2014). Ils ajoutent que le fait de traiter les membres de la dyade comme des partenaires actifs plutôt que comme aidant ou aidé, et de favoriser un lien plus égalitaire entre eux contribue à améliorer le processus de l’intervention et son acceptabilité (notamment auprès de dyades vivant avec des problèmes de santé tels la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer et le cancer). Puis, étant donné la forte interdépendance qui semble caractériser les partenaires âgés, une approche systémique familiale serait à préconiser pour favoriser un bien-être et une qualité de vie chez les membres de la dyade.

Par ailleurs, Ribes et ses collègues (2008) proposent de travailler sur des points importants, notamment l’espace personnel, et ce, de manière à contrecarrer la promiscuité quotidienne qu’implique la retraite pour éviter un sentiment d’envahissement de son territoire de la part d’un ou des deux partenaires. Toujours selon eux, il s’avère important d’intervenir sur les représentations du conjoint et du couple. En effet, parler des attentes déçues sans tomber dans la rancœur, recadrer la relation, favoriser une relecture positive du couple grâce à la notion d’embellissement conjugal, c’est-à-dire en minimisant les perceptions négatives du conjoint et de l’histoire du couple, comme l’a démontré O’Rourke (2005), envisager les ressources qui ont permis au couple de durer, poser à nouveau la question des styles d’attachement sont toutes des voies à emprunter. Parler de la façon de vieillir de chacun et des craintes pour l’avenir est aussi recommandé. Enfin, aborder la proximité physique et la place laissée au désir serait important selon Ribes et ses collègues (2008) étant donné que l’effritement de l’intimité serait un mécanisme très présent chez les couples aînés, plus encore qu’à tout autre temps de la vie d’un couple.

Une autre particularité du travail de couple avec la clientèle âgée est la nécessité de considérer l’historique conjugal et familial (par exemple des événements marquants) et de les garder en tête pour comprendre la dynamique actuelle. Les variables contextuelles sont également à prendre en compte et à évaluer, notamment les transitions de vie récentes comme une relocalisation, la retraite et le rôle de grands-parents. Il en va de même d’expériences traumatisantes comme une agression sexuelle subie dans l’enfance (qui pourrait même être dévoilée pour la première fois). Cela peut avoir eu un impact considérable sur le fonctionnement conjugal et sexuel, surtout chez les couples de longue durée.

Pour conclure, sur le plan clinique, une recommandation importante serait d’encourager les aînés à consulter en couple étant donné que l’amélioration de leur vie conjugale et sexuelle peut avoir un impact positif sur leur bien-être physique, psychologique et social. Par ailleurs, il faudrait accroître la formation spécifique à l’intervention auprès des aînés étant donné les enjeux propres au vieillissement. Enfin, il appert que la sexualité, dans le cadre du processus de vieillissement, est un aspect souvent négligé et mis de côté par les cliniciens. Plusieurs d’entre eux semblent entretenir de fausses croyances et des préjugés liés à l’âge, alors qu’un manque de connaissances quant à la sexualité des aînés et à leurs besoins spécifiques est rapporté. Dans ce sens, le clinicien devrait porter attention à la présence d’une attitude âgiste afin de ne pas entraver le travail thérapeutique auprès de cette population. La sexualité devrait toujours être abordée avec respect selon l’aisance et les besoins de chacun, et un travail psychoéducatif devrait être effectué lorsqu’il s’avère nécessaire (par exemple en l’absence de désir, lorsque des problèmes d’érection ou de lubrification sont rapportés, etc.).

 

Bibliographie

Amyot, A. M. (2008). Trois cas de figure sur la psychothérapie des personnes âgées. Psychothérapies, 28(1), 49-55.
Bélanger, C., Boudreau, V., Trudel, G. et Labelle, R. (2013). L’impact des attitudes manifestées par les intervenants par rapport à la sexualité des aînés : un bilan de la question. Sexologie Actuelle, 21(2), 4-13.
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Roussy, K., Lapierre, S., Alain, M. et Bouffard, L. (2003). Projets de retraite et satisfaction conjugale. Canadian Journal on Aging/La Revue canadienne du vieillissement, 22(1), 83-94.
Szinovacz, M. E. et Schaffer, A. M. (2000). Effects of retirement on marital conflict tactics. Journal of Family Issues, 21(3), 367-389.
Trudel, G., Dargis, L., Villeneuve, L., Cadieux, J., Boyer, R. et Préville, M. (2013). Fonctionnement conjugal, sexuel et psychologique des couples aînés vivant à domicile. Les résultats d’une enquête nationale avec méthodologie longitudinale (première partie). Sexologies: European Journal of Sexology and Sexual Health/Revue européenne de sexologie et de santé sexuelle, 22(4), 176-183.
Trudel, G., Turgeon, L. et Piché, L. (2010). Marital and sexual aspects of old age. Sexual and Relationship Therapy, 25(3), 316-341.
Yorgason, J. B., Miller, R. B. et White, M. B. (2009). Aging and family therapy: Exploring the training and knowledge of family therapists. The American Journal of Family Therapy, 37(1), 28-47.