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Le psychodrame psychanalytique

André RenaudAndré Renaud, psychologue
Professeur titulaire de psychologie clinique à l’École de psychologie de l’Université Laval dont il a été le directeur à deux reprises, il est retraité de l’université depuis septembre 1999. Il est également psychanalyste et a pratiqué la psychothérapie pendant plus de 50 ans.

 

Monique BrillonDre Monique Brillon, psychologue
Clinicienne d’orientation psychanalytique, elle a été enseignante à l’université et superviseure clinique. Elle a publié cinq livres portant sur l’identité féminine, les enjeux psychosomatiques et le processus de changement en psychothérapie.

 


Ce texte présente le psychodrame psychanalytique en groupe. Nous y abordons les aspects techniques (le cadre et les modalités du jeu psychodramatique), la mise en scène des fantasmes, le rôle des psychologues ou des psychothérapeutes, et le travail de mise en sens.

La psychothérapie psychanalytique par le psychodrame se distingue des autres formes de psychodrame par la règle du « faire semblant » sur laquelle nous reviendrons plus loin. Elle ajoute le geste (sans se toucher) à la parole et profite de la dynamique du groupe pour élucider des angoisses, des fantasmes, des affects inhibés que les figurations symboliques du jeu explicitent. Cette technique s’applique aux enfants d’âge scolaire, adolescents, jeunes adultes, couples et familles. Au moins deux cliniciens sont requis, de préférence une femme et un homme, représentant les figures parentales. Les cliniciens doivent avoir une bonne connaissance du fonctionnement psychodynamique des groupes et se faire suffisamment confiance mutuellement pour analyser honnêtement leur contre-transfert.

Les participants sont préalablement reçus individuellement en entrevue pour une évaluation de leur motivation, de leur disponibilité d’implication et de l’essentiel de leur problématique. Entre huit et douze participants sont retenus – en deçà de huit, les individus composent plus difficilement avec la proximité, les émotions sont plus inhibées, au-delà de douze, la réciprocité des relations est plus relâchée, la circulation de la parole plus lente et plus lourde, certaines personnes se fondent plus facilement dans la masse et restent anonymes (Kaës, 2003). Dans la constitution du groupe, la pratique clinique nous a appris à éviter la présence de gens qui se côtoient à l’extérieur ainsi que les personnes trop fragiles ou trop pathologiques parce que la dynamique du groupe restreint peut exacerber certaines fragilités (tendances aux passages à l’acte, réactivité et rivalité parfois trop manifestes, décompensation, etc.) (Kaës, 2003). Généralement le groupe est ouvert, ainsi lorsqu’un participant quitte le groupe, un nouveau peut s’ajouter avec l’accord des participants. De cette façon, le groupe reste actif tant et aussi longtemps que le nombre des participants est suffisant.

Le local implique deux espaces distincts (Basquin, 1972). Dans une partie, des chaises, correspondant au nombre de participants incluant les cliniciens, sont disposées en demi-cercle. Cet espace est réservé à la discussion et à l’analyse. L’autre moitié constitue l’aire de jeu. Quelques chaises ou coussins en retrait sont disponibles au besoin, mais rien d’autre. Plus le décor est neutre, plus il facilite la projection, l’élaboration des thèmes et les associations spontanées. Les séances commencent et se terminent à l’heure prévue et l’entrée des cliniciens signifie le début de la séance. N’ayant pas de places attitrées, ils utilisent les chaises laissées libres par les participants (Basquin, 1972). Celles-ci peuvent parfois livrer un message aux cliniciens ; insécurité de certains participants, rivalité, tentatives de séduction, etc. La durée des séances est fixe et stable, généralement entre 60 et 90 minutes selon le nombre de participants.

Lors de la première séance, une fois les présentations faites, les cliniciens répètent les règles et posent à nouveau le cadre, déjà évoqués dans les rencontres individuelles. Chaque participant est libre de proposer un thème de jeu : un rêve, un souvenir, une situation vécue ou inventée, un fantasme, etc. Chacun est libre de jouer ou non, de se proposer pour jouer ou de suggérer un participant pour jouer tel ou tel rôle, ce dernier étant libre d’accepter ou de refuser. Il est possible d’attribuer un rôle à un des cliniciens, mais à un seul à la fois. L’autre se place en observateur afin de garder une certaine distance face à ce qui se mobilise et se déploie sur la scène. Il aide le groupe à préciser le rôle attribué au clinicien qui, dans le jeu, s’en tient au rôle assigné et peut insérer dans son jeu l’interprétation qu’il juge appropriée si l’occasion s’y prête (Kaës, 2010).

La règle du « faire semblant » est aussi énoncée. Pourquoi celle-ci ? Mimer l’action plutôt que de l’agir réellement procure une grande liberté aux acteurs dans des situations parfois angoissantes, gênantes ; faire semblant de faire l’amour, d’accoucher, de tuer. Le toucher étant interdit, fantasme et réalité s’apprivoisent mutuellement sans se confondre grâce au « faire semblant ». Généralement un geste, plus intime qu’il n’y paraît, soulève des émotions fortes qui inhibent parfois la pensée. Le « faire semblant » explicite la significativité d’un geste d’apparence anodine et peut s’avérer révélateur (Kaës, 2003). La valeur affective, souvent inconsciente, ressort. Les jeux sont improvisés le plus spontanément possible. Il importe de jouer les situations vécues telles qu’elles se sont réellement passées, ce qui permet éventuellement aux personnes de découvrir des aspects d’elles-mêmes, des émotions bloquées sur-le-champ, mais qui peuvent se manifester dans le psychodrame et être articulées, élaborées au sein et avec le soutien du groupe. Jouer la situation telle qu’on l’aurait souhaitée, c’est recourir à la pensée magique et éviter de prendre plus tard conscience de ce qui a réellement été vécu et des résistances impliquées.

La règle de confidentialité qui garantit l’alliance de travail, l’alliance thérapeutique et la confiance nécessaire dans le groupe et dans les cliniciens est également énoncée. La règle de restitution découle de la précédente. Si une personne a éprouvé le besoin de parler à l’extérieur du groupe, c’est que quelque chose qui concerne le groupe n’a pas été exprimé dans le groupe. Il importe donc, au bénéfice de la personne et du groupe, que la transgression soit clarifiée, qu’une défense soit levée, que l’angoisse qui a fait taire la personne dans le groupe soit mise à jour.

Rappelons qu'une fois les règles et le cadre présentés, le groupe est invité à élaborer un thème de jeu et à distribuer les rôles. La période consacrée à cette tâche est variable. Sans rien suggérer, les cliniciens peuvent aider le groupe à préciser la thématique, à distribuer et à préciser les rôles. Si les participants mettent beaucoup de temps à élaborer un thème de jeu, les thérapeutes peuvent le souligner, refléter la difficulté, interpréter la résistance manifestée par le groupe, s’il y a lieu (Brière-Dawson, 2016). Une fois ce travail réalisé, tous les acteurs se déplacent en même temps sur la scène et le jeu commence. Les acteurs non impliqués immédiatement dans l’action se tiennent légèrement à l’écart jusqu’au moment d’entrer en scène. Aucun des participants observateurs ne peut intervenir dans le jeu. La personne qui aurait eu le goût d’intervenir pourra s’en expliquer dans la période d’analyse. Le temps consacré au jeu varie. La ou le clinicien qui ne joue pas indique la fin du jeu lorsque l’essentiel du thème a été réalisé, ou lorsqu’une règle a été enfreinte, ou encore si le jeu tourne en rond et que les acteurs évitent le thème. Le clinicien qui a joué prendra un temps de décantation avant de reprendre la parole afin de saisir ce que son jeu lui a fait vivre émotionnellement et de l’utiliser éventuellement sous forme d’interprétation ou d’éclaircissement au profit du groupe. Celui qui n’a pas joué invite les participants à s’exprimer. Cela suppose un ajustement entre les cliniciens, une complicité, une harmonie dans les interventions de chacun. Le fait de travailler souvent ensemble permet de développer cette connivence. D’où l’importance d’une analyse franche et honnête des réactions contre-transférentielles. En général, chacun des cliniciens intervient à sa manière lorsqu’il le juge opportun.

Une fois le jeu exécuté, les acteurs reviennent s’asseoir et tous sont invités à exprimer librement leurs réactions. Chacun livre, s’il le veut, ses associations, ce que le thème et le jeu lui ont suggéré, ce qu’il a ressenti. Commence le travail d’analyse et d’interprétation, qui peut être fait autant par les participants que par les cliniciens. Comme en psychothérapie individuelle, la meilleure interprétation est souvent celle émise par les participants. Les cliniciens peuvent parfois la pousser un peu plus loin ou interpréter la résistance du groupe à l’analyse du jeu exécuté et à faire ressortir la signification groupale du jeu.

Les thèmes élaborés dans le jeu mettent en scène les fantasmes, les résistances, les pulsions, les désirs collectifs (Anzieu, 1975). Ce qui importe est le discours groupal composé de l’expression de chacun et de chacune. Les thérapeutes entendent le discours groupal comme les verbalisations d’une personne unique avec ses résistances, ses défenses, ses désirs, ses ambivalences, ses conflits, ses fantasmes, etc. La fonction principale des cliniciens est d’interpréter ce discours groupal en s’adressant toujours au groupe et non aux individus. C’est le jeu de la dynamique du groupe. Chacun est influencé par le groupe, participe à la création du groupe, est partie prenante de ce qui circule dans le discours groupal. Cela permet une nouvelle liberté d’expression à chaque personne. Prenant appui sur le discours collectif, chacun apporte une contribution qui se fond dans l’expérience groupale tout en manifestant une singularité originale dans cette collectivité. Les cliniciens portent une attention particulière aux relations transférentielles du groupe et entre les participants, tout comme ils prennent en considération leurs propres réactions contre-transférentielles. Si généralement les phénomènes transférentiels sont interprétés dans le groupe et adressés au groupe, jamais aux individus personnellement, les réactions contre-transférentielles sont analysées immédiatement après les séances entre les deux cliniciens.

Vignette

Premier thème suggéré lors d’une première séance de psychodrame : On attend l’autobus. On a demandé à un des cliniciens de jouer le chauffeur d’autobus. On parle de la belle température, mais du fait qu’il y aura peut-être de la pluie demain. Quelqu’un se plaint du retard de l’autobus qui le mettra en retard au travail. Doute que le chauffeur soit sensible à son cas. L’autobus arrive, un passager fait remarquer au chauffeur qu’il est en retard, celui-ci s’en excuse. Le chauffeur demande la carte d’entrée, une dame présente une carte échue. Il l’avise de s’en procurer une autre dès aujourd’hui, indiquant que le lendemain il n’y aurait pas de passe-droit. À l’arrêt suivant, une autre dame présente aussi une carte échue depuis deux jours. Il lui refuse l’accès à l’autobus et lui conseille de se plaindre, si elle le juge nécessaire, aux autorités compétentes. Des passagers grognent contre la rigidité du chauffeur. Jugeant que l’essentiel a été dit, le clinicien interrompt le jeu.

Durant la période d’analyse qui suit, le groupe s’interroge sur l’aventure psychodramatique, se demande pourquoi le chauffeur accepte de faire un passe-droit une fois et refuse la fois suivante. Les craintes typiques des débuts de thérapie s’expriment : les cliniciens sont-ils bons ou mauvais avec eux ? À qui peuvent-ils se plaindre le cas échéant ? Après échanges et discussion, le groupe accepte de prendre le risque et un deuxième thème est suggéré : Un dîner entre amis. La coalition se forme.

Bibliographie

Anzieu, Didier et al. (1975). Le travail psychanalytique dans les groupes. Paris, Dunod, coll. « Inconscient et culture ».

Basquin, Michel, Dubuisson, Paulette, Samuel-Lajeunesse, Bertrand et Testemale-Monod, Geneviève. (1972) Le psychodrame : une approche psychanalytique. Paris, Dunod, coll. « Inconscient et culture ».

Salem, Isaac. (2013). Vues nouvelles sur le psychodrame psychanalytique. Paris, EDK Dufour & Krief Eds.

Kaës, René et al. (2003). Le psychodrame psychanalytique de groupe. Paris, Dunod, coll. « Inconscient et culture ».

Brière-Dawson, Claude et Roman, Marie-Laure. (2016). Le psychodrame psychanalytique. Paris, L’Harmattan.

Kaës, René. (2010). L’appareil psychique groupal. Paris, Dunod.