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Le traitement cognitif-comportemental de l’insatisfaction corporelle

Dre Alex Drolet-Dostaler, psychologue

Pratiquant à la clinique Imavi et au Centre de santé mentale Royal Ottawa, elle s’intéresse aux troubles alimentaires et liés à l’image corporelle, ainsi qu’aux blessures de stress opérationnel chez les militaires.

 

Tanya Guitard, psychologue

Copropriétaire de la clinique Imavi, elle se spécialise dans l’évaluation et l’intervention psychologiques auprès d’adultes présentant des troubles des conduites alimentaires ou des troubles anxieux.

 


L’insatisfaction corporelle est un concept multidimensionnel qui réunit les aspects cognitif, affectif, perceptif et comportemental de l’apparence physique (Farrell, Shafran et Lee, 2006). Elle est présente lorsqu’un ou plusieurs des facteurs déterminants de l’image corporelle est dysfonctionnel. Par exemple, elle se manifeste lorsque quelqu’un tient un discours dévalorisant (par exemple « Je suis laide »), évite de se mettre en maillot de bain à la plage ou encore croit qu’il ne pourra attirer de partenaire à cause de son apparence physique. Bien qu’un certain niveau d’insatisfaction soit jugé « normal », l’insatisfaction corporelle est potentiellement liée à des conséquences importantes, telles que la dépression, l’anxiété et les troubles alimentaires (Fernández-Bustos, Infantes-Paniagua, Gonzalez-Martí et Contreras-Jordán, 2019).

Développement de l’insatisfaction corporelle

Le développement de l’insatisfaction corporelle est lié à plusieurs facteurs qui sont soit socioculturels, soit interpersonnels, soit individuels. Après avoir fait un survol de ces facteurs, nous présenterons un modèle de traitement de l’insatisfaction corporelle au moyen d’une approche cognitivo-comportementale développée par Cash (2008).

Facteurs socioculturels

Les standards de beauté varient selon la culture et la période (Cash, 2008). Si, dans certaines cultures, le fait d’avoir des anneaux permettant d’allonger le cou est considéré comme une marque de beauté, dans d’autres, il peut s’agir d’une mutilation du corps. Dans les sociétés occidentales, le poids est souvent considéré comme un élément à contrôler afin d’atteindre les idéaux véhiculés par les différents médias, notamment la minceur chez les femmes et la musculature chez les hommes. Stice (2002) identifie le renforcement social comme un élément contribuant au développement de l’insatisfaction corporelle. Le renforcement social fait référence aux commentaires et aux actions de l’entourage d’une personne, qui consolident les idéaux de beauté et la notion que la réussite passe bien souvent par l’image. Par exemple, une adolescente qui est confrontée à des messages de valorisation de la minceur sur les comptes Instagram des personnalités qu’elle suit pourrait décider de suivre un régime amaigrissant afin de perdre du poids dans l’espoir de se trouver plus jolie.

Facteurs interpersonnels

La famille et les pairs affectent fortement le développement de l’image corporelle. Cette influence peut notamment s’exercer par des pressions ou des commentaires à propos du poids. Une personne ayant été stigmatisée par ses pairs en raison de son apparence, à l’enfance ou à l’adolescence, risque de développer une insatisfaction corporelle (Cash, 2008). Le « modeling », aussi appelé « apprentissage par observation », est un autre facteur d’influence interpersonnel important dans le développement de l’image corporelle (Stice, 2002). Il s’agit d’imiter directement des comportements d’individus de l’entourage, par exemple si un jeune homme commence un programme d’entraînement intensif pour augmenter sa masse musculaire après avoir vu son oncle faire de même.

Facteurs individuels

Les caractéristiques physiques contribuent au développement de l’image corporelle. Parmi celles-ci, le surpoids, l’acné ou toute autre caractéristique distinctive place les personnes plus à risque de développer une insatisfaction corporelle (Cash, 2008). De plus, certains éléments de la personnalité peuvent moduler, favorablement ou défavorablement, l’influence des différents facteurs dans le développement de l’image corporelle. L’estime de soi, le style d’attachement ainsi que le perfectionnisme sont des caractéristiques qui contribuent au développement de l’image corporelle.

Traitement de l’insatisfaction corporelle

Bien qu’il soit courant de tenter d’améliorer son image corporelle par la modification de l’apparence (par exemple en faisant des régimes amaigrissants, du conditionnement physique, en utilisant des produits de beauté ou en subissant une chirurgie esthétique), ces stratégies sont rarement associées à une satisfaction durable. Puisque l’insatisfaction corporelle est un problème complexe et multifactoriel, tel que nous l’avons décrit précédemment, il est essentiel de comprendre que tout changement doit s’opérer sur le plan de la relation avec le corps, et non sur le corps lui-même. En ce sens, Cash (2008) a développé un modèle de traitement de l’insatisfaction corporelle en huit étapes qui s’inscrit dans une approche cognitivo-comportementale. Les étapes peuvent être effectuées dans le cadre d’un cheminement personnel à l’aide d’un cahier d’exercices ou encore dans le contexte d’une psychothérapie individuelle ou de groupe. Les sections qui suivent présentent brièvement chacune de ces huit étapes.

Étape 1. Découvrir sa propre image corporelle

Puisque l’insatisfaction corporelle peut se manifester de différentes façons, il importe d’en faire une conceptualisation précise et personnalisée pour chaque individu. Plus spécifiquement, il s’agit d’identifier les parties du corps jugées négativement, les pensées critiques à l’égard de l’apparence et les situations qui les déclenchent, les croyances quant à l’importance de la beauté, les mécanismes de protection en place et les conséquences sur la qualité de vie. À la lumière de ces informations, la personne établit des objectifs de changement concrets et réalistes qui orienteront le déroulement des prochaines étapes.

Étape 2. Comprendre les origines de son image corporelle

Comme pour tout processus de changement, il peut être utile d’identifier les éléments qui ont contribué au développement des insatisfactions corporelles. À cette étape, la personne s’approprie l’histoire de son image corporelle par l’entremise d’un exercice d’écriture expressive (Pennebaker, 2004) ou d’une discussion verbale en psychothérapie. L’objectif est de revisiter les expériences passées et les impacts émotionnels de celles-ci sur la relation avec le corps, dans le but de créer un récit cohérent et de faire émerger un sens. La découverte des origines de l’insatisfaction corporelle a souvent un effet normalisant et validant pour l’individu.

Étape 3. Examiner les expériences liées à l’image corporelle

À partir de cette étape, l’accent est placé sur les facteurs actuels qui maintiennent les insatisfactions corporelles en place. L’individu est invité à porter attention aux « épisodes ABC » qu’il vit au quotidien par rapport à son image corporelle, composés d’éléments déclencheurs (A pour activators), de croyances et d’interprétations (B pour beliefs), ainsi que d’émotions et de comportements (C pour consequences). Par exemple, le fait d’aller magasiner (A) entraîne la pensée « Je ne pourrai jamais m’habiller à la mode avec ce poids » (B), ce qui engendre de la honte et l’action de quitter le magasin (C). Cash suggère également un exercice intitulé « Réflexions dans le miroir », qui consiste à identifier les pensées et les émotions qui surviennent en contemplant son reflet, et à apprendre à décrire son corps sans jugement. En bref, l’individu développe ici une meilleure compréhension quant aux processus négatifs à travers desquels l’insatisfaction corporelle est vécue et renforcée.

Étape 4. Remettre en question son dialogue interne lié à l’image corporelle

À cette étape, la personne est appelée à développer un regard critique par rapport à dix présomptions typiques liées à l’apparence définies par Cash (2008). Le fait de croire, par exemple, que « les personnes physiquement séduisantes ont tout pour elles » ou que « la valeur d’une personne dépend de son apparence physique » augmente évidemment les risques de vivre de la détresse par rapport à son corps. Ainsi, il s’agit d’adopter une perspective plus réaliste et moins défaitiste quant à l’importance de l’apparence physique, et ce, afin de réaliser que la personnalité et les actions importent bien plus que la beauté dans les relations interpersonnelles et pour l’accomplissement de soi. Bien qu’il soit difficile de modifier des croyances ancrées depuis longtemps et continuellement véhiculées par la société, l’objectif est de semer un doute quant à l’exactitude et à l’utilité de ces perceptions en expérimentant un nouveau dialogue intérieur.

Étape 5. Apprendre à modifier ses erreurs cognitives

Cash (2008) propose huit distorsions cognitives fréquentes se rapportant à l’image corporelle :

  1. Une vision dichotomique de la beauté;
  2. Des comparaisons défavorables avec autrui;
  3. Une attention sélective sur le corps;
  4. Une exagération de l’impact de l’apparence;
  5. Une projection des pensées sur autrui;
  6. Une prédiction négative de l’avenir;
  7. Des restrictions imposées par la beauté;
  8. Un raisonnement émotif.

Conséquemment, diverses techniques de restructuration cognitive peuvent être employées afin d’aider une personne à développer une façon de penser plus juste et tolérante. Les épisodes ABC deviennent donc des « épisodes ABCDE » (D pour dialogue et E pour effects), où l’individu met en pratique un dialogue intérieur qui est moins souffrant et qui peut même rehausser sa confiance en soi. En reprenant l’exemple précédent du magasinage, le clinicien pourrait utiliser le questionnement socratique afin d’amener la personne à réaliser que son mode de pensée est dichotomique et que les restrictions qu’elle s’impose en raison de son apparence sont injustifiées. Ainsi, une pensée alternative flexible et réaliste pourrait être : « Même si je n’aime pas tous les vêtements que j’essaie, je parviens à en trouver qui me plaisent » (D), ce qui amènerait de la satisfaction et une diminution de la honte (E).

Étape 6. Faire face à l’évitement de son image corporelle

Cette étape et la suivante visent l’aspect comportemental de l’insatisfaction corporelle. L’évitement des éléments déclencheurs est souvent utilisé comme mécanisme de protection contre la détresse, ce qui a pour effet de maintenir les difficultés en place. Ceci concerne les activités, les endroits et même les postures où les « imperfections » physiques peuvent être exposées, ou encore les personnes de l’entourage qui incitent à avoir un regard critique sur son corps. Des exemples typiques incluent l’évitement de la plage ou de la piscine, d’événements sociaux ou sportifs, du port de vêtements moulants et de la prise de photos. L’évitement peut aussi se traduire par le fait de toujours chercher à camoufler ses « défauts » physiques, par exemple en ne portant que des vêtements très amples ou en évitant de dévoiler certaines parties de son corps (bras, jambes). Ainsi, l’individu est encouragé à s’exposer de manière progressive aux éléments déclencheurs de l’insatisfaction corporelle, dans le but de diminuer son inconfort, d’augmenter son sentiment d’auto-efficacité et de confronter ses croyances défaitistes quant à son apparence.

Étape 7. Enrayer les rituels liés à l’image corporelle

Parallèlement, certaines personnes tentent de neutraliser leurs insatisfactions corporelles avec des comportements de type obsessif compulsif, comme des vérifications (par exemple se regarder dans le miroir, se peser) et des corrections de l’apparence (par exemple acheter des produits cosmétiques de manière abusive). Il importe de distinguer les actions saines, qui visent à se sentir bien dans sa peau, et les actions autodestructrices, qui confirment les présomptions sur l’apparence. Par exemple, le fait d’aller au gym régulièrement est bénéfique si cela vise davantage un bien-être physique, du plaisir, de la gestion du stress ou la socialisation, alors qu’il peut être moins bénéfique s’il vise uniquement le contrôle du poids ou si le comportement est jugé excessif et rigide. Avec une approche similaire à l’exposition avec prévention de la réponse, il s’agit de mettre des moyens en place pour diminuer progressivement le recours aux vérifications et aux corrections compulsives de l’apparence. Cette stratégie permet de réduire l’emprise des insatisfactions corporelles sur la vie au quotidien.

Étape 8. Traiter son corps avec soin

La dernière étape consiste, pour l’individu, à adopter des comportements qui lui permettront de développer une relation plus positive avec son corps. Cela peut se faire notamment par l’écriture d’une lettre à son intention pour s’excuser d’avoir été excessivement critique et rejetant à son égard. Puisque le corps est un instrument d’action et de sensations, et non seulement un objet visuel, il s’agit aussi de trouver des activités physiques (par exemple pratiquer un sport, danser), des activités procurant des sensations agréables (par exemple recevoir un massage, prendre un bain chaud) et des activités de toilettage flexibles et créatives (par exemple s’acheter de nouveaux accessoires, refaire sa coiffure) qui rehausseront le bien-être corporel. Conformément à la technique d’activation comportementale, les activités sont choisies et planifiées en fonction du plaisir et de l’accomplissement qu’elles procurent.

En conclusion, le modèle proposé par Cash (2008) demeure une référence incontournable dans le traitement des insatisfactions corporelles. En ciblant autant le dialogue interne que les comportements d’évitement et en se basant sur les données probantes, il intègre des interventions structurées, complémentaires et adaptées aux difficultés liées à l’image corporelle. Toutefois, ce traitement n’est pas indiqué pour tous et c’est notamment le cas lorsqu’un trouble des conduites alimentaires (TCA) est diagnostiqué. Chez les clients atteints d’un TCA, il devient important d’aborder en premier lieu les symptômes pouvant avoir un impact négatif sur l’intégrité physique d’une personne (par exemple des comportements compensatoires ou des restrictions alimentaires importantes), et ce, de manière à assurer la sécurité du client (Fairburn, 2008). C’est plus tard dans le traitement que les éléments proposés par Cash (2008) pourront être abordés pour permettre aux clients d’amorcer le processus de développement d’une image corporelle saine.

Bibliographie

Cash, T. (2008). The body image workbook (2e éd.). Oakland, CA : New Harbinger Publications.

Fairburn, C. G. (2008). Cognitive behavior therapy and eating disorders. New York, NY : The Guilford Press.

Farrell, C., Shafran, R. et Lee, M. (2006). Empirically evaluated treatments for body image disturbance: A review. European Eating Disorders Review, 14(5), 289-300.

Fernández-Bustos, J. G., Infantes-Paniagua, Á., Gonzalez-Martí, I. et Contreras-Jordán, O. R. (2019). Body dissatisfaction in adolescents: Differences by sex, bmi and type and organisation of physical activity. International Journal of Environmental Research and Public Health, 16(17), 3109.

Pennebaker, J. W. (2004). Writing to heal: A guided journal for recovering from trauma and emotional upheaval. Oakland, CA : New Harbinger Publications.

Stice, E. (2002). Sociocultural influences on body image and eating disturbance. Dans C. G. Fairburn et K. D. Brownell (dir.), Eating disorders and obesity (2e éd.). New York, NY : The Guilford Press.