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Le trouble des apprentissages

Dre Isabelle Marleau, psychologue et directrice de la qualité et du développement de la pratique sortante de l'Ordre des psychologue du Québec.


L’évaluation du trouble des apprentissages peut présenter d’importants défis et enjeux, notamment en raison des réalités cliniques souvent hétérogènes selon les milieux de pratiques (réseau de l’éducation, réseau de la santé, pratique privée). Cette chronique propose ainsi une discussion intégrative tant sur la terminologie que sur les concepts liés au trouble des apprentissages.

Le diagnostic psychologique de trouble des apprentissages

Le trouble des apprentissages (TA) fait partie des troubles mentaux. L’évaluation des troubles mentaux constitue une activité réservée, notamment aux psychologues (Office des professions, 2021). Par conséquent, l’évaluation et le diagnostic psychologique de TA peuvent être réalisés par tout psychologue qui possède les compétences pour le faire (article 39 du Code de déontologie des psychologues).

Aussi, rappelons que l’évaluation des fonctions mentales supérieures impliquées dans les processus d’apprentissage est une activité professionnelle qui ne peut être effectuée que par un psychologue détenteur de l’attestation d’évaluation des troubles neuropsychologiques (ci-après, neuropsychologue).

Effectivement, il faut ici distinguer l’appréciation et l’évaluation des fonctions mentales supérieures. L’appréciation « [...] se définit par une prise en considération des indicateurs (symptômes, manifestations cliniques, difficultés ou autres) obtenus à l’aide d’observations cliniques, de tests ou d’instruments » (Office des professions, 2021). Donc, dans le cadre de l’évaluation du TA, le psychologue peut établir son diagnostic psychologique en s’appuyant sur l’appréciation de certaines fonctions mentales (par exemple les fonctions exécutives) ou de certains processus cognitifs spécifiques à l’apprentissage (par exemple la consolidation de l’association entre les particularités sonores et visuelles de la langue). Toutefois, le psychologue ne fait pas l’évaluation des fonctions mentales supérieures, il ne peut tirer de conclusion sur les fonctions mentales supérieures ni les mettre en relation avec d’autres fonctions1. Le psychologue conclut à la présence éventuelle du TA en s’appuyant sur les critères établis par une classification reconnue2.

Le trouble développemental des apprentissages selon la CIM-11

Selon la 11e version de la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-11), le trouble développemental des apprentissages (TDA) se caractérise par des difficultés importantes et persistantes à acquérir des compétences scolaires, qui peuvent inclure la lecture, l’écriture ou l’arithmétique. La performance de l’individu dans les compétences académiques affectées est nettement inférieure à ce qui serait attendu pour l’âge chronologique et le niveau général de fonctionnement intellectuel, et entraîne une altération significative du fonctionnement académique ou professionnel de l’individu. Le TDA se manifeste d’abord lorsque les compétences scolaires sont enseignées pendant les premières années scolaires. Le TDA n’est pas dû à un trouble du développement intellectuel, à une déficience sensorielle (vision ou audition), à un trouble neurologique ou moteur, à un manque de disponibilité de l’éducation, à un manque de compétence dans la langue d’enseignement ou à l’adversité psychosociale.

Le trouble spécifique des apprentissages selon le DSM-5

La 5e version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-53) définit le trouble spécifique des apprentissages (TA)4 comme celui « qui entrave la capacité d’apprendre ou d’utiliser les compétences scolaires spécifiques qui sont le fondement de tout apprentissage » et classe ce trouble parmi les troubles neurodéveloppementaux. Le TA peut se présenter alors que les autres aspects du développement évoluent selon les normes attendues. Les premiers signes de difficulté peuvent apparaître au cours des années préscolaires, mais le diagnostic ne peut être posé de manière fiable qu’après une période d’éducation formelle, et les situations d’adversité psychosociale constituent ici aussi un critère d’exclusion.

Le TA, un trouble transculturel et chronique

Le TA est considéré comme étant chronique au sens où il persiste généralement à l’âge adulte. Or, des différences culturelles et développementales sont observées dans les manifestations et les symptômes : le TA existe dans différentes cultures, mais se manifeste de diverses façons. À titre d’exemple, dans les pays francophones, les enfants atteints de TA peuvent avoir du mal à apprendre la correspondance entre les lettres et les sons afin de décoder des mots simples, alors que les adultes atteints peuvent maîtriser le décodage, mais plutôt éprouver des difficultés avec la fluidité de la lecture. En revanche, dans d’autres pays où la correspondance entre les sons et les lettres est beaucoup plus simple qu’en français, les personnes atteintes de TA peuvent maîtriser la correspondance lettre-son, mais avoir du mal à lire couramment (Hock, 2012 ; Mellard et Becker Patterson, 2008)5.

La conceptualisation du TA : un seul trouble

Le TA est conceptualisé, dans le DSM-5 comme dans la CIM-11, comme une catégorie globale, pouvant être spécifiée selon trois types de difficultés principales :

  1. avec déficit de la lecture;
  2. avec déficit de l’écriture;
  3. avec déficit du calcul.

Cette conceptualisation en un seul trouble permet de réduire les défis liés à la définition du sous-type de TA, notamment, lorsque les résultats varient selon les domaines évalués. Les sous-types doivent plutôt être utilisés pour caractériser un éventail de problèmes au moment de l’évaluation. D’ailleurs, l’identification d’une seule catégorie globale permet de répondre aux exigences de la plupart des programmes pour l’obtention de subventions ou d’autres formes de soutien. La conception d’une seule catégorie permet aussi de réduire la confusion des parents lorsqu’un ou des sous-types supplémentaires sont identifiés au cours des années scolaires. Effectivement, les manifestations du TA peuvent évoluer selon les stades de développement, notamment en raison des exigences scolaires croissantes. À titre d’exemple, les premières difficultés à lire des mots simples sont souvent suivies de difficultés à apprendre les mathématiques, de problèmes d’orthographe, puis de difficultés à comprendre ce qui est lu.

Un avantage clinique

Selon le DSM-5, le diagnostic de TA ne nécessite pas la mesure d’un écart entre le quotient intellectuel (QI) et la réussite scolaire. Ainsi, l’évaluation intellectuelle n’est pas systématiquement requise, sauf en cas de suspicion de handicap intellectuel. De plus, le diagnostic de TA ne nécessite pas l’identification de déficits cognitifs spécifiques et une évaluation neuropsychologique n’est pas requise pour poser le diagnostic psychologique, bien qu’une telle évaluation puisse par ailleurs éclairer le plan d’intervention.

Pour le système éducatif, l’élimination du critère d’écart entre le QI et les résultats scolaires pourrait signifier un accès facilité aux services professionnels spécialisés pour les enfants atteints de TA ayant un QI sous la moyenne, mais sans handicap intellectuel (ayant un QI légèrement supérieur à 69). D’ailleurs, ces enfants peuvent présenter une réponse à l’intervention positive, tout comme les enfants atteints de TA ayant un QI dans la moyenne (Swanson et al., 2014).

L’usage du terme dyslexie

Dans une perspective classique, la dyslexie correspond à des difficultés à reconnaître les mots de façon exacte ou fluide ; il s’agit de difficultés en lecture, qui excluent les difficultés en compréhension du langage écrit (Lyon et al., 2003 ; OPQ, 2014). Or, le TA avec déficit de la lecture (DSM-5) et le TDA (CIM-11) peuvent comprendre de telles difficultés dans la lecture des mots (rythme et fluidité de la lecture) et aussi des difficultés en compréhension de la lecture. Le TA et le TDA sont donc distincts de la dyslexie, et ces termes ne peuvent être utilisées de manière interchangeable avec le terme dyslexie.

La persistance des symptômes et le critère de réponse à l’intervention

Le diagnostic de TA (DSM-5) nécessite de statuer sur la persistance des symptômes dans le temps (au moins six mois). La notion de persistance étant une caractéristique essentielle du TA, cela implique de recueillir un éventail de données permettant de confirmer et de quantifier la faible réussite scolaire dans le temps. Ainsi, la collaboration des enseignants, des orthopédagogues et des parents permet aux psychologues de tirer leurs conclusions, puisqu’ils peuvent avoir notamment accès aux évaluations antérieures, aux antécédents pédagogiques (bulletins actuels et antérieurs), aux plans d’intervention et aux bilans en orthopédagogie.

De plus, le DSM-5 spécifie que les symptômes doivent être présents « malgré la mise en place de mesures ciblant [ces] difficultés ». Or, ce critère de réponse à l’intervention ne spécifie ni l’intensité ni la modalité des mesures mises en place auprès du jeune. Il n’est donc pas nécessaire d’attendre que ce dernier ait bénéficié d’une intervention individuelle à une fréquence hebdomadaire durant six mois pour poser le diagnostic psychologique, étant entendu que les symptômes sont présents. Ici comme ailleurs, le psychologue qui exerce selon les bonnes pratiques est invité à exercer son jugement clinique pour statuer sur le fait que des mesures ont été mises en place, et il pourrait juger comme suffisantes, par exemple, des interventions de premier niveau du modèle de la réponse à l’intervention (RAI)6.

TA n’est pas synonyme de difficultés d’apprentissage

Un mythe persistant est que le trouble d’apprentissage est équivalent à deux ans de retard dans les apprentissages scolaires. Cette idée fausse semble plutôt issue du fait que le niveau scolaire primaire est divisé en cycles d’apprentissage de deux ans chacun ; un des buts de ces cycles étant d’éviter les redoublements d’année en donnant deux années à l’enfant pour effectuer les apprentissages7. En effet, on sait que le fait de reprendre une année scolaire peut engendrer de sévères conséquences psychoaffectives et psychosociales chez certains enfants. D’aucuns, à tort, ont conclu sur cette base qu’il faut attendre que l’enfant ait accumulé deux ans de retard avant de poser un diagnostic psychologique de TA. Or, cette conception ne s’appuie pas sur des critères reconnus scientifiquement.

Par ailleurs, le fait de donner plus de temps à l’enfant pour atteindre les objectifs, deux ans plutôt qu’un an, constitue une perspective intéressante dans la mesure où on utilise ce temps pour faire progresser l’enfant. Le seul passage du temps ne suffit pas pour soutenir les apprentissages, particulièrement chez les enfants atteints de TA, et il faut voir durant cette période à optimiser les services qu’il est possible d’offrir et à adapter les interventions aux besoins de l’enfant.

L’élève en difficulté d’apprentissage selon le Ministère

Selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), l’élève en difficulté d’apprentissage est celui:

« dont l’analyse de sa situation démontre que les mesures de remédiation mises en place, par l’enseignante ou l’enseignant ou par les autres intervenantes ou intervenants durant une période significative, n’ont pas permis à l’élève de progresser suffisamment dans ses apprentissages pour lui permettre d’atteindre les exigences minimales de réussite du cycle en langue d’enseignement ou en mathématique conformément au Programme de formation de l’école québécoise » (Ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport, 2007).

Le trouble spécifique des apprentissages (DSM-5) ou le trouble développemental des apprentissages (CIM-11) sont des diagnostics de troubles mentaux qui ne sont pas synonymes de « difficulté d’apprentissage » (terme utilisé par le Ministère, les centres de services scolaires ou les intervenants des équipes-écoles, qui qualifient ainsi les élèves). Ces termes doivent également être distingués des expressions d’usage courant « enfant avec un problème d’apprentissage » ou « enfant avec un retard des apprentissages ».

Ainsi, un enfant peut présenter des retards et des difficultés significatives dans ses apprentissages sans pour autant avoir un TA. L’origine des difficultés pourrait alors relever de l’impact de divers facteurs, notamment une situation familiale qui limite la disponibilité à apprendre, de fréquents changements d’école qui ont restreint les capacités d’adaptation, la présence d’un trouble graphomoteur mobilisant l’énergie pour tracer les lettres (ne permettant pas de se concentrer sur l’orthographe), etc. Ainsi, les enfants présentant des difficultés d’apprentissage repérées par l’équipe-école ne répondent pas nécessairement à un diagnostic clinique. En revanche, les enfants atteints d’un TA se retrouvent, le plus souvent, en difficulté dans leur parcours scolaire.

La nécessité de l’évaluation et non du diagnostic

Le diagnostic psychologique ne s’avère pas essentiel pour entreprendre une intervention, alors que l’évaluation est toujours nécessaire. Bien qu’il soit impératif de ne pas précipiter le diagnostic psychologique, rappelons que le psychologue se trouve devant l’obligation déontologique d’émettre un diagnostic psychologique lorsque les critères sont satisfaits, car le fait de ne pas poser un diagnostic psychologique pourrait s’avérer préjudiciable à la personne évaluée. De plus, il faut se rappeler que le fait de poser un diagnostic psychologique de TA n’est pas une condamnation pour l’enfant, mais plutôt un outil supplémentaire afin de décrire ses forces et ses faiblesses, ainsi que les meilleures manières de lui venir en aide8. D’ailleurs, la définition du TA présentée dans le DSM-5 permet aux psychologues de passer d’une « évaluation pour le diagnostic » à une « évaluation pour l’intervention », et ce, en mettant l’accent sur les interventions comme l’éducation psychologique auprès des parents et la consultation auprès des enseignants et des professionnels du milieu scolaire. Il est certain que les services reçus par les personnes entourant l’enfant peuvent avoir un effet sur la réussite éducative de ce dernier ainsi que sur son développement, tant intellectuel que socioaffectif.

Conclusion

Le rôle des services éducatifs est d’instruire et de socialiser l’enfant dans le but de lui fournir des compétences minimales sur le marché de l’emploi et afin qu’il puisse jouer son rôle de citoyen (Conseil supérieur de l'éducation, 2002). Les psychologues œuvrant auprès des jeunes jouent un rôle capital dans ce processus d’instruction et de socialisation, notamment par l’identification des besoins des enfants et, le cas échéant, par l’identification des troubles mentaux, une étape essentielle dans l’accès aux services spécialisés et la mise en place d’interventions adaptées aux besoins.

Notes et bibliographie

Notes

  1. Ainsi, le psychologue peut conclure à un TA avec déficit en lecture ou en écriture, mais il ne peut attribuer des difficultés de compréhension en lecture à un déficit en mémoire de travail ou se prononcer sur l’impact d’éventuels déficits en attention visuelle sélective sur le décodage des mots en lecture. L’évaluation de ces fonctions est un acte réservé au neuropsychologue, qui pourra également statuer, par exemple, sur des déficits exécutifs affectant l’organisation d’un texte.
  2. Bien que les systèmes de classification les plus fréquemment utilisés en Occident soient le DSM-5 et la CIM-11, il est possible d’utiliser tout système de classification reconnu.
  3. Le DSM-5-TR, publié le 18 mars 2022, ne propose aucune modification aux critères diagnostics du TA.
  4. Nous privilégions l’abréviation TA à celle de TSA, pour éviter la confusion avec le trouble du spectre de l’autisme.
  5. Autre exemple: le français présente la particularité d’être beaucoup plus « opaque » à l’écriture qu’à la lecture. Par exemple, lorsqu’un enfant veut écrire le son /o/, il devra choisir entre les graphies o, au et eau. Or, à la lecture, ces mêmes graphies ne produisent qu’un seul son. Cette dissociation entre l’opacité de la lecture (la plupart des graphies ne produisent qu’un seul son) et de l’écriture (dans le cas de plusieurs sons, plusieurs graphies sont possibles) peut engendrer, en français, une acquisition plus aisée de la lecture par rapport à l’écriture.
  6. Pour une description succincte du modèle de la RAI : https://education.alberta.ca/r%C3%A9ponse-%C3%A0-l-intervention-rai/aper%C3%A7u/
  7. Une autre raison de cette confusion pourrait être la suivante : selon certaines normes scientifiques, l’enfant doit manifester un décalage de 2 écarts-types par rapport aux attentes pour son âge chronologique afin de conclure à une performance parmi les plus faibles de l’échantillon de normalisation, et conséquemment à la présence chez lui d’une difficulté. Or, les normes commencent souvent autour de 6-7 ans pour les tests d’apprentissage. Donc, pour atteindre 2 écarts-types aux tests, l’enfant doit avoir au moins 8-9 ans (2 ans de retard). Le psychologue ne doit jamais être l’esclave des normes d’un test : lorsqu’il évalue un enfant présentant des difficultés qui correspondent à un TA, mais dont les symptômes se situent sous les seuils cliniques, il peut émettre un diagnostic psychologique provisoire de TA à réévaluer en fin de 2e année (si l’information disponible est insuffisante pour faire un diagnostic psychologique avec certitude pour le moment). Le psychologue suppose que l’enfant aura atteint les seuils cliniques à ce moment et qu’il pourra recevoir, en attendant, des services appropriés à ses besoins.
  8. Rappelons ici que le plan d’intervention est la responsabilité de l’équipe scolaire : le psychologue peut émettre des recommandations, mais les modalités de la mise en place de ces recommandations reviennent au milieu scolaire.

Bibliographie