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Milieu scolaire : prévention de la radicalisation violente

Diana Miconi, psychologue
Professeure adjointe au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur le développement positif des jeunes dans des contextes de polarisation sociale.

 

Garine Papazian-Zohrabian, psychologue
Professeure agrégée au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur le développement et le bien-être psychologique des jeunes et la promotion de leur santé mentale à l’école.

 

Dre Marie-Laure Daxhelet, psychologue
Professeure associée au Département de psychologie de l’UQAM et coordonnatrice de recherche à la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents. Ses recherches portent notamment sur la désinformation et l’adhésion aux théories du complot.

 

Avec la collaboration de la Dre Cécile Rousseau, pédopsychiatre


La mondialisation a contribué à des changements rapides dans nos sociétés, alimentant une propagation inquiétante de la discrimination et des sentiments xénophobes et suscitant une augmentation des crimes et des incidents haineux. Les données recueillies en Amérique du Nord par l’Institute for Economics and Peace (2019) soulignent notamment la montée inquiétante de la violence associée aux groupes radicaux d’extrême droite (mouvement misogyne et suprématie blanche). La pandémie de COVID-19 a mis en exergue les injustices structurelles de notre société et a augmenté l’incertitude et le désespoir, contribuant à une recrudescence de toutes les formes de violence (Venkatesh et al., 2021). Les écoles, également affectées par le climat actuel de polarisation sociale, doivent tenir compte de ces dynamiques sociétales afin de favoriser une socialisation de leurs élèves et l’apprentissage du vivre-ensemble. Bien que les études aient montré que les adolescents et les jeunes adultes sont plus à risque de détresse psychologique pendant la crise sanitaire (Loades et al., 2020) et qu’ils sont aussi plus à risque de radicalisation violente (RV) en général (Rousseau et al., 2020), peu d’études empiriques se sont concentrées sur la prévention de la RV chez les jeunes en milieu scolaire.

Selon Schmid (2013), la radicalisation violente (RV) est le résultat d’un processus individuel ou collectif qui conduit une personne à adopter des systèmes de croyances qui justifient le recours à la violence pour réaliser un changement social ou politique. Plus précisément, le soutien à la RV fait référence aux attitudes qui légitiment le recours à la violence pour réaliser ce changement. Bien que la relation entre les attitudes et les comportements ne soit jamais linéaire, une attitude positive à l’égard de la RV peut représenter un terreau fertile à la polarisation sociale et ainsi favoriser le recours à la violence de la part de personnes vulnérables. Cela s’applique tant dans la société en général qu’au sein des institutions éducatives. Il est donc important d’essayer de comprendre quels sont les facteurs de risque et de protection associés aux attitudes positives à l’égard du recours à la violence ainsi qu’à l’appui des idéologies radicales, et ce, afin de concevoir des programmes de prévention efficaces en milieu éducatif. Cet article résume les résultats d’une recherche menée par les auteurs au Québec auprès de cégépiens et d’étudiants universitaires avant et pendant la pandémie. Il vise à améliorer la compréhension du phénomène du soutien à la RV chez les adolescents et les jeunes adultes en milieu scolaire et à proposer des pistes de réflexion, d’évaluation et d’intervention pour la psychologie scolaire.

Résultats de recherche

Au total, 7 980 étudiants fréquentant un cégep ou une université au Québec ont rempli un questionnaire en ligne visant à mesurer les attitudes envers la RV, ainsi que les expériences de vie (discrimination et violence subies), l’identité collective, la détresse psychologique, le « confort social en ligne » (c’est-à-dire le fait de se sentir plus à l’aise et en sécurité dans des relations virtuelles plutôt que dans des relations en personne) et la vision du futur. Sur ces 7 980 étudiants, 1 680 (71 % de femmes, 74 % entre 16 et 21 ans) ont rempli le questionnaire en 2015, 702 (63 % de femmes, 72 % entre 16 et 21 ans) en 2017 et 5 598 en 2020-2021, pendant la pandémie de COVID-19 (69 % de femmes, 62 % ayant entre 16 et 21 ans).

Les résultats démontrent que la discrimination perçue et la violence subie représentent des facteurs de risque importants pour le soutien à la RV (Rousseau et al., 2018). La dépression constitue également un haut facteur de risque, alors qu’une vision positive de l’avenir s’avère protectrice, même et surtout pour les jeunes plus déprimés (Miconi, Oulhote et al., 2020). Le soutien social et l’appartenance religieuse représentent des facteurs de protection et réduisent l’impact négatif de l’adversité sociale sur la RV (Rousseau et al., 2019). Malgré la présence de groupes extrémistes religieux de différentes confessions qui prônent la violence, nos données indiquent que la religion et la religiosité représentent des facteurs de protection pour les jeunes, sans doute à cause de leur contribution à la construction d’un sens et d’un univers moral et de l’affiliation à une communauté de foi. La médiatisation des attentats perpétrés par Daesh et al-Qaïda a cependant nourri des préjugés quant au rôle de la religion dans le phénomène de la RV.

De 2015 à 2017, on note une augmentation importante des niveaux de détresse psychologique chez les répondants. Sur le plan sociodémographique, nous avons observé que des individus de plus en plus jeunes exprimaient de la sympathie pour la RV (ils avaient entre 22 et 24 ans en 2015, mais entre 16 et 21 ans en 2017). Durant le même intervalle de temps, l’importance attribuée à l’identité collective est devenue un facteur de risque plus évident, ce qui peut être associé à la polarisation croissante autour des questions identitaires observée dans notre société (Rousseau et al., 2020).

L’analyse préliminaire des données collectées pendant la pandémie suggère que le soutien à la RV parmi les étudiants québécois demeure modéré. Néanmoins, les résultats mettent en lumière des niveaux préoccupants de discrimination et de détresse psychologique qui continuent de représenter des facteurs de risque importants en ce qui concerne la légitimation de la violence. En 2021, 62 % des étudiants rapportent avoir été victimes de discrimination (23 % à l’école), notamment pour des raisons liées à la langue parlée, au genre et au groupe ethnique d’appartenance. De plus, 60 % des étudiants présentent des niveaux cliniques de dépression à l’échelle HSCL-25 (contre 43 % en 2017). Ce sont les étudiants les plus jeunes, les personnes faisant partie des minorités de genre, les femmes et les personnes rapportant le plus de stress économique qui reconnaissent vivre le plus de détresse psychologique. Les données indiquent aussi que le niveau de « confort social en ligne » est un facteur de risque pour le soutien à la RV comme pour la détresse psychologique. Bien que s’identifier à certains groupes puisse représenter un risque de soutien à la RV (groupe politique, groupe lié au genre ou à l’orientation sexuelle), l’identification avec des groupes professionnels ou de loisirs s’avère protectrice.

Ces résultats ont aussi mis en lumière des différences régionales (le milieu culturellement plus homogène de la ville de Québec par rapport au milieu multiethnique montréalais) dans l’association entre la discrimination perçue, la violence et le soutien à la RV, ce qui suggère que les programmes de prévention et d’intervention doivent être adaptés aux réalités locales, en particulier au climat sociopolitique ainsi qu’au degré de diversité ethnique et culturelle (Miconi, Calcagnì et al., 2020).

Implications pour la pratique et la psychologie scolaire

Nos résultats pointent vers des pistes de prévention qui pourraient être importantes pour les cégépiens et les étudiants universitaires. Alors que la polarisation sociale observée au collégial et à l’université autour des questions de langue, de genre et de diversité culturelle traverse aussi les écoles et pose des défis croissants aux acteurs scolaires qui doivent y maintenir un climat de cohésion et de respect, nos résultats confirment l’importance de la promotion du vivre-ensemble et du bien-être psychosocial des jeunes à l’école. Par exemple, le soutien d’identités plurielles et d’appartenances multiples ainsi que la promotion de la participation des jeunes à des groupes et à des activités de loisirs pourraient contribuer à améliorer le climat scolaire.

Dans ce contexte, le psychologue scolaire peut jouer un rôle crucial dans la prévention de la RV. Ce rôle peut se déployer dans différents volets de la psychologie scolaire. Le premier volet concerne l’évaluation des besoins psychosociaux et de la détresse psychologique pouvant favoriser le recours à la RV. Le deuxième concerne le suivi et l’accompagnement individuel ou collectif des élèves présentant des signes de détresse psychologique. Les psychologues scolaires peuvent soutenir cliniquement les étudiants qui souffrent de ces tensions sociales et qui en subissent les conséquences sous forme d’intimidation et de discrimination. Les données issues de nos résultats pourraient suggérer aussi que soutenir les jeunes dans la recherche d’un sens à leur vie afin qu’ils puissent envisager le futur quelles que soient leurs capacités pourrait être une piste d’intervention intéressante. Les psychologues scolaires peuvent participer directement à la promotion du bien-être psychologique des jeunes en milieu scolaire en proposant, en collaboration avec des enseignants, diverses activités collectives de symbolisation, telles que des groupes de parole (Papazian-Zohrabian et al., 2019) et de créativité (Rousseau et al., 2007) qui permettent le développement du bien-être par l’expression symbolique et la construction d’un sens positif de la vie. Le troisième volet, enfin, touche la formation et le soutien du personnel scolaire et enseignant afin d’outiller chaque personne pour qu’elle soit en mesure de promouvoir un sentiment de sécurité et d’inclusion ainsi que des mécanismes de résolution de conflits. Sur le plan de la formation, à la lumière de l’importance de l’utilisation d’Internet dans la vie des jeunes (Islam et al., 2020), il devient fondamental d’investir dans les compétences numériques des enseignants et des jeunes et de favoriser le développement d’une pensée critique et d’une conscience de l’autre, et ce, tant en ligne que hors ligne.

Le spectre d’intervention de la psychologie scolaire est très large et peut toucher tant les étudiants que les acteurs scolaires. Il participe au développement d’un climat scolaire positif et à la promotion du vivre-ensemble. Déjà surchargée, l’équipe-école ne peut assumer seule ce mandat élargi et une réflexion sociétale sur la priorité que nous accordons à la prévention de la violence en milieu éducatif s’impose.


Nous tenons à remercier la Dre Cécile Rousseau, pédopsychiatre, directrice de l’équipe Recherche et action sur les polarisations sociales (RAPS) et chercheuse principale du projet de recherche décrit ici, pour sa précieuse collaboration dans la rédaction de cet article.
 

 

Bibliographie

Institute for Economics and Peace (2019). Global Peace Index 2018: Measuring the impact of terrorism. Repéré à : http://visionofhumanity.org/app/uploads/2018/12/Global-Terrorism-Index-2018.pdf

Islam, M. S., Sujan, M. S. H., Tasnim, R., Ferdous, M. Z., Masud, J. H. B., Kundu, S., Mosaddel, A. S. M., Choudhuri, M. S. K., Kircaburun, K. et Griffiths, M. D. (2020, décembre). Problematic internet use among young and adult population in Bangladesh: Correlates with lifestyle and online activities during the COVID-19 pandemic. Addictive Behaviors Reports, 12, 100311. doi : https://doi.org/10.1016/j.abrep.2020.100311

Loades, M. E., Chatburn, E., Higson-Sweeney, N., Reynolds, S., Shafran, R., Brigden, A., Linney, C., McManus, M. N., Borwick, C. et Crawley, E. (2020, novembre). Rapid systematic review: The impact of social isolation and loneliness on the mental health of children and adolescents in the context of COVID-19. Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, 59(11), 1218-1239. doi : https://doi.org/10.1016/j.jaac.2020.05.009

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Papazian-Zohrabian, G., Mamprin, C. et Lemire, V. (2019). Les groupes de parole en milieu scolaire : un espace de développement du bien-être psychologique des jeunes réfugiés. Revue québécoise de psychologie, 40(3), 87-102. doi : https://doi.org/10.7202/1067550ar.

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Rousseau, C., Hassan, G., Miconi, D., Lecompte, V., Mekki-Berrada, A., El Hage, H. et Oulhote, Y. (2019). From social adversity to sympathy for violent radicalization: The role of depression, religiosity and social support. Archives of Public Health, 77(1), 45. doi : https://doi.org/10.1186/s13690-019-0372-y

Rousseau, C., Hassan, G., Rousseau-Rizzi, A., Michalon-Brodeur, V., Oulhote, Y., Mekki-Berrada, A. et El Hage, H. (2018). Adversité psychosociale, détresse psychologique et sympathie pour la radicalisation violente chez les collégiens du Québec. Cahiers de la sécurité et de la justice, 43, 158-166.

Rousseau, C., Miconi, D., Frounfelker, R. L., Hassan, G. et Oulhote, Y. (2020). A repeated cross-sectional study of sympathy for violent radicalization in Canadian college students. American Journal of Orthopsychiatry, 90(4), 406-418. doi : https://doi.org/10.1037/ort0000444

Schmid, A. P. (2013). Radicalisation, de-radicalisation, counter-radicalisation: A conceptual discussion and literature review. International Centre for Counter-Terrorism (ICCT) Research Paper, 97(1).

Venkatesh, V., Rousseau, C., Morin, D. et Hassan, G. (2021). Violence as collateral damage of the COVID-19 pandemic. The Conversation. https://theconversation.com/collateral-damage-of-covid-19-rising-rates-of-domestic-and-social-violence-143345