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Dre Mireille Cyr, psychologue : de la rigueur avant toute chose

Hélène de Billy, journaliste et écrivaine



Photo : Louis-Étienne Doré

Psychologue, professeure et chercheure au Département de psychologie de l’Université de Montréal, la Dre Mireille Cyr se penche depuis près de 30 ans sur le sort des enfants et des adolescents victimes d’agressions sexuelles. Grâce à elle, policiers et magistrats disposent désormais de solutions concrètes lors des auditions avec ces enfants.

De tout temps, interroger un enfant dans un contexte judiciaire s’est avéré délicat. Le sujet soulève des débats passionnés, ce qui ne rend pas la tâche facile aux intervenants, parfois eux-mêmes aux prises avec leur propre réalité et leurs propres préjugés.

« Jusqu’en 2000 environ, nous possédions certaines connaissances sur la façon de procéder, reconnaît la Dre Mireille Cyr. Sauf que nos recherches montraient un écart entre ce qui était enseigné et ce qui se faisait sur le terrain; le nombre des questions spécifiques et donc plus suggestives dépassait celui des questions ouvertes. Ceci était vrai dans tous les pays où on a dressé un état des lieux. »

Membre de la Société royale du Canada, cotitulaire de la chaire de recherche interuniversitaire Marie-Vincent sur les agressions sexuelles envers les enfants et directrice du Centre interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS), la Dre Cyr a la réputation d’être une chercheure « rigoureuse et acharnée ».

Grâce à elle, l’École nationale de police du Québec diffuse désormais la formation d’un protocole d’entretien structuré, qui repose sur l’utilisation de la question ouverte durant le recueil de témoignages d’enfants. Il est maintenant prouvé que ce protocole améliore les comportements non suggestifs de la part des enquêteurs et permet d’obtenir un taux de dévoilement plus élevé.

Connu sous le nom de National Institute of Child Health and Human Development (NICHD), ce protocole est le plus reconnu et le mieux validé à l’échelle mondiale.

La passion de la recherche

Ayant grandi à Laval, Mireille Cyr fait remonter sa carrière de psychologue à la place qu’elle occupait au sein d’une famille de cinq filles, troisième de la fratrie entre ses sœurs jumelles et les deux cadettes. « C’est moi qui recueillais les confidences », dit-elle. Deux générations plus tard, grand-mère deux fois, elle continue d’être fascinée par les comportements des jeunes êtres humains, en particulier ceux de sa petite-fille de 5 ans auprès de qui elle a tout juste réussi à inculquer la notion de personne de confiance, c’est-à-dire un adulte vers qui elle peut se tourner si besoin est. « Elle semblait perplexe quand je lui parlais de ça au début, puis, une semaine plus tard, elle avait tout compris. »

Dès ses études de baccalauréat, Mireille Cyr a travaillé à l’Institut Pinel auprès des personnes avec des problèmes de santé mentale liées à la criminalité. « Une des choses qui me plaisait en psychologie, c’était son aspect scientifique. Depuis, j’évolue dans toutes sortes de milieux. La psychologie mène à tout et c’est un avantage. »

Professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal depuis 1988, la Dre Cyr s’est heurtée à la question des agressions sexuelles chez les enfants lorsqu’elle a effectué la supervision de stages pour les étudiants en intervention clinique. « En consultation pour des problèmes mentaux ou relationnels, plusieurs femmes déclaraient avoir été victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance. Ça m’a interpellée. »

C’est alors qu’elle a décidé de joindre le Partenariat de recherche et d’intervention en matière d’abus sexuel (PRIMASE), un groupe de recherche présidé par le Dr John Wright, qui œuvre alors auprès des jeunes vivant en centre jeunesse.

À l’invitation d’un collègue psychologue, la Dre Cyr s’intéresse à la question des mères des petites victimes. La question n’a cessé de la préoccuper depuis. Les parents souffrent, dit celle qui a livré de nombreuses conférences sur le sujet. « Si j’ai un conseil à donner aux psys qui doivent affronter ce problème dans leur bureau, c’est de ne jamais sous-estimer le sentiment de culpabilité ressenti par le parent. Quand son enfant a subi une agression, on a l’impression d’avoir échoué dans son rôle de parent. »

Un tournant

La question des auditions d’enfants s’est rapidement imposée à l’attention de la Dre Cyr. « On a cherché à savoir s’il existait des méthodes pour recueillir la parole des enfants victimes d’agressions sexuelles. On a fouillé. En 1999, on est tombé sur des articles à propos du protocole NICHD. Dans ma carrière de chercheure, je définis ce moment comme un tournant. Un cadeau du ciel. »

Après avoir traduit le protocole NICHD en français et l’avoir testé auprès de policiers et de travailleurs sociaux québécois, la Dre Cyr a multiplié ses efforts pour le faire adopter au Québec et ailleurs dans la francophonie. En 2013, elle l’a exposé à l’Université Paris-Descartes dans le cadre du séminaire de criminologie du diplôme universitaire de victimologie, puis à l’UNESCO en 2014 et devant de nombreux magistrats et policiers français.

Dans sa version française, le NICHD est maintenant utilisé en France, en Suisse, en Belgique, par les policiers, les procureurs et les intervenants sociaux. « Face à cette réalité parfois très dure de la maltraitance des enfants, dit la Dre Cyr, ce qui nous motive c’est de savoir qu’on peut faire une différence. Pour moi, il était important de faciliter le besoin de se confier de la part des enfants pour avoir un impact sur le terrain. »

Elle n’a jamais été déçue par la réaction des travailleurs sociaux, des policiers, des juges avec qui elle collabore toujours. « J’ai observé dans ces milieux des gens qui se donnent à cent pour cent pour résoudre les cas parfois difficiles qui se présentent à eux. Des gens dévoués à la cause de la protection de la jeunesse. C’est très encourageant et leur soutien continue de me motiver tous les jours. »

Le printemps prochain, Mireille Cyr donnera une formation à l’Institut de police de Neufchâtel. Ce n’est pas la première fois qu’elle se rendra en Suisse, où la méthode NICHD est utilisée dans tous les cantons francophones.

En Roumanie, avec une interprète, la Dre Cyr a également donné un cours d’une semaine devant un groupe réduit. Les participants devaient être prêts à se servir de la méthode le lundi suivant. Elle livre régulièrement des conférences en France et en Belgique, où le NICHD est diffusé grâce à ses travaux. « C’est fantastique, parce que je peux voir comment les pratiques se déroulent à l’étranger. »

Un guide pratique à l’intention des professionnels confrontés à l’enfance maltraitée

À l’automne 2019, Mireille Cyr a publié, chez Dunod, la deuxième édition de son ouvrage intitulé Recueillir la parole de l’enfant témoin ou victime pour faire suite à la parution d’une version révisée du NICHD aux États-Unis.

« Le protocole est évolutif », explique Mireille Cyr à propos du NICHD et de ses applications. En plus de revenir sur des thèmes comme la nature des interactions avec l’enfant, le rôle du comportement de l’enquêteur, la qualité du soutien à prodiguer à l’enfant, le livre de la Dre Cyr rend accessible un bilan des plus récentes recherches (publiées à l’origine en langue anglaise) à un public francophone.

Conçue à partir des observations réalisées sur le terrain, accompagnée d’une série de conseils pratiques énoncés dans une langue claire et précise, la nouvelle version de Recueillir la parole de l’enfant… tient également compte des réticences des enfants. Car le quart des enfants sont toujours réticents à parler lors des auditions. « C’est un aspect que nous nous sommes efforcés d’étudier, explique la Dre Cyr. Comment composer avec la résistance observée chez les plus jeunes pour les encourager à dévoiler les abus sans pour autant, comme intervenant, se montrer suggestif? »

Des chiens de soutien durant les entrevues des jeunes victimes?

En Europe francophone, on suit attentivement les progrès des chercheurs québécois dans le domaine de l’enfance souffrante ou maltraitée. Et au cours des dernières années, rien n’a ébloui davantage nos « cousins » que l’utilisation des chiens de soutien pour répondre aux besoins d’un enfant durant une enquête ou d’un enfant aux prises avec des troubles du spectre de l’autisme.

Dans ce contexte, la Dre Cyr se fait demander, tant ici qu’en Europe, si on ne devrait pas utiliser ces chiens lors des auditions. « L’idée est séduisante, avance-t-elle avec prudence. Mais je n’ai aucun appui scientifique pour répondre à cette question. » Elle se souvient d’une époque pas si lointaine où les enquêteurs utilisaient des poupées pour encourager les enfants à dévoiler les maltraitances. Résultat : les questions biaisées s’étaient mises à pulluler. « Et l’utilisation des poupées encourageait les enfants à basculer vers le jeu et l’imaginaire », déclare-t-elle. Elle poursuit son raisonnement : « On sait que la présence du chien diminue le niveau de stress chez l’enfant. Mais est-ce que cela facilite la révélation? Ou, au contraire, est-ce que le chien ne poussera pas le policier à se montrer plus insistant et l’enfant plus distrait? »

La Dre Cyr dirige justement un projet de recherche à ce sujet financé par le ministère de la Justice. Tant qu’un nombre suffisant d’études ne lui aura pas démontré « avec des devis rigoureux » les bienfaits – et peut-être dévoilé les écueils – associés à la présence d’un chien de soutien durant les entrevues avec des jeunes victimes d’agressions sexuelles, elle ne se prononcera pas.

C’est une question de rigueur. « Malgré l’engouement général, je dois vérifier. »