Au cœur des changements humains
Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec - presidence@ordrepsy.qc.ca
Les réflexions entourant le choix du dossier de cette édition du magazine Psychologie Québec – Devenir psychologue – m’ont fait réaliser à quel point notre profession se trouve aux premières loges des changements sociaux, de l’évolution des moeurs et des valeurs de nos contemporains. Le psychologue n’est pas un spectateur, au contraire, il est un facilitateur. Sur le plan humain, les femmes et les hommes qui exercent la psychologie gèrent quotidiennement – outre la vaste gamme des émotions – le choc des idées, l’acceptation de la différence et l’affirmation de soi, et ce, auprès de clientèles qui ne cessent de se transformer.
Il va sans dire que la société évolue constamment et que les changements inhérents, par leur nature, mais aussi par leur rythme – désormais plus rapide? –, peuvent bousculer nos perceptions et nos représentations du monde, ce qui n’est pas sans impact sur nos pratiques. Bien que ces changements soient parfois déstabilisants, parfois inquiétants, ils sont aussi porteurs d’espoir et d’évolution, voire de révolution. Dans cette optique, on ne peut passer sous silence la réalité pandémique qui, nous secouant par vagues successives depuis maintenant deux ans, nous a tous heurtés et bousculés à de nombreux égards. Par ailleurs, cette période a aussi mené à beaucoup d’introspection, conduisant même un grand nombre de personnes à opérer des changements majeurs dans leur vie. La conjoncture entre les phénomènes physiques, sociaux et psychologiques pousse à rééquilibrer nos priorités et nos choix selon nos propres valeurs, mais également en regard des réalités qui nous entourent.
Parmi les enjeux qui accaparent les esprits, pensons notamment aux changements climatiques, générateurs de la désormais consacrée éco-anxiété, à l’omniprésence des médias sociaux et à leurs impacts souvent délétères sur la santé mentale, à la polarisation jusqu’à la radicalisation des idées, au sens et à la place du travail dans nos vies. Pensons aussi à ces grands mouvements tels que #MeToo ou #BlackLivesMatter, qui éveillent les consciences, qui parlent d’iniquité sous toutes ses formes et de l’importance de la combattre. D’autres enjeux sont décortiqués dans des débats parlementaires et des projets de loi qui nous interpellent, par exemple le projet de loi 2 portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil. Devant ces initiatives, il faut saluer la volonté de moderniser la loi pour tenir compte des réalités de la société et des familles québécoises de façon plus inclusive et ouverte.
Du soutien et de l’accompagnement… pour nous aussi!
Au fond de moi, je suis convaincue que le travail que nous accomplissons, chacun et chacune, dans nos bureaux et sur le terrain, auprès de nos différentes clientèles, joue un rôle indéniable dans les transformations, non seulement des individus, mais de notre société. Grâce à notre écoute et à notre capacité d’accueillir l’autre, nous contribuons à répondre aux besoins fondamentaux de reconnaissance, de relations significatives, de confiance et de quête de sens. N’omettons pas, cependant, de soutenir et d’accompagner nos jeunes psychologues au cœur de cette ère pandémique en leur permettant une réflexion plus large sur leur trajectoire personnelle et sur le développement de leurs compétences.
Des rencontres politiques constantes
Dans un contexte où les besoins de la population sont criants et où on assiste à une pénurie de professionnels en santé mentale, le gouvernement Legault a lancé en novembre son plan « Opération main-d’oeuvre ». Parmi les mesures, notons l’embauche de bacheliers dans des disciplines de relations humaines qui « pourront être intégrés dans les équipes de soins et de services et répondre ainsi aux besoins de soins et de services à la population, en complémentarité des tâches réservées aux membres d’ordres professionnels1 ».
Bien que l’Ordre salue la mesure créative de favoriser l’accès aux services dans un contexte de crise sanitaire sans précédent, l’Ordre s’inquiète de la pertinence et de la qualité des services qui seront offerts pour répondre aux besoins de gens en détresse. Dans le cadre de plusieurs rencontres avec le ministère de la Santé à ce sujet, j’ai posé des questions sur l’opérationnalisation des mesures qui demeurent à ce jour sans réponse. Que feront précisément ces bacheliers? Assiste-t-on à la déprofessionnalisation de certaines activités réservées? Qu’en est-il des besoins du patient, seront-ils bien évalués avant qu’un service lui soit donné ? Qui supervisera les bacheliers? Un psychologue sera-t-il appelé à les encadrer? L’opposition officielle à l’Assemblée nationale m’a également contactée en décembre dernier afin de discuter des enjeux concernant cette annonce.
En janvier, j’ai rencontré le porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé mentale, David Birnbaum, député de D’Arcy-McGee, pour discuter des impacts de la pandémie sur la santé mentale. J’ai également rencontré le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, le Dr Lionel Carmant, avant qu’il ne lance son plan d’action en santé mentale.
Plan d’action en santé mentale
Le plan d’action lancé par le ministre Lionel Carmant, bien que porteur d’initiatives louables, aura-t-il l’effet visé de calmer la pression des listes d’attente et de ramener les psychologues vers le réseau public de la santé? Lors de représentations politiques qui ont précédé la sortie du plan, j’ai rappelé l’importance d’une forte présence de psychologues dans le réseau public de la santé pour traiter adéquatement les besoins en santé mentale de la population. Parmi les nombreux facteurs d’attraction et de rétention, notons les conditions salariales, devenues incontournables comme enjeu d’accessibilité aux services psychologiques, ainsi que les conditions de pratique comprenant l’autonomie, la reconnaissance, l’accès à la formation spécialisée, les paramètres permettant de traiter les patients et d’exercer la supervision d’internat et l’accès à un gestionnaire de proximité capable de comprendre la pratique et de la soutenir.
Bien que l’Ordre ait salué certaines mesures du plan d’action en santé mentale, j’ai déploré, dans une dizaine d’entrevues, l’absence de mesures efficaces et rapides pour améliorer l’accès à la psychothérapie et aux services psychologiques requis par la population. Le contexte pandémique a exacerbé les besoins en santé mentale. Il est temps de faire de la santé mentale un enjeu de santé publique et de prendre des actions populationnelles avec la même énergie que celle accordée à la vaccination.
En terminant, j’espère que la lecture de ce numéro vous rappellera vos débuts de carrière, les raisons pour lesquelles vous avez choisi la psychologie, et votre chemin parcouru depuis. J’espère que malgré les demandes incessantes et les refus de suivi que vous devez formuler, vous tenez le cap. Cette profession qui nous anime a plus que jamais sa raison d’être.
Bon printemps à tous!