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EXCLUSIVITÉ WEB - Pandémie : utilisation de données pour mieux soutenir les employés et leur bien-être en temps réel


Dr Simon Grenier, psychologue
Titulaire d’un doctorat en psychologie industrielle et organisationnelle, il est professeur adjoint au Département de psychologie de l’Université de Montréal.


 


Geneviève Barrette
Titulaire d’un doctorat en psychologie sociale et organisationnelle, elle est directrice principale, Analytique employé et Stratégie d’affaires expérience employé à la Banque Nationale du Canada.


 


Dre Lucie Houle, psychologue
Titulaire d’un doctorat en psychologie industrielle et organisationnelle, elle est vice-présidente, Talent et culture à la Banque Nationale du Canada.


 


Sylvain Labrie
Titulaire d’un doctorat en administration de l’éducation, il est consultant en transformation et développement organisationnel chez Labrie Services-conseils.


L’arrivée subite de la COVID-19 et l’incertitude liée à l’évolution de la propagation de la maladie ont plongé les travailleurs québécois dans un confinement sans précédent, exigeant un effort d’adaptation important de ceux-ci et mettant à risque des individus, qu’ils soient déjà fragilisés ou non. À titre d’exemple, un coup de sonde réalisé en mai 2020 auprès de milliers de Canadiennes et de Canadiens près de 50 % des répondants ont rapporté une détérioration de leur santé mentale (Findlay, Arim et Kohen, 2020).

La crise a aussi affecté le fonctionnement de milliers d’entreprises où le bien-être des employés et les opérations régulières ont été mis à mal par les conditions du confinement. Des entreprises identifiées comme faisant partie des services essentiels ont dû rapidement prendre acte et ajuster leurs activités afin d’en assurer la poursuite. La communauté scientifique reconnaît que la qualité des décisions d’affaires en moment d’incertitude est supérieure si elle est basée sur des données probantes, représentatives de ce qui se passe dans une organisation (Rousseau, 2020; Rynes et Bartunek, 2017).

Par conséquent, le présent article traite d’une initiative visant à suivre l’évolution du bien-être psychologique des employés de la Banque Nationale du Canada (BNC) et à favoriser la prise de décision rapide pour agir sur celui-ci. Pilotée par une équipe notamment composée de psychologues du travail et des organisations, cette intervention a permis d’aider l’entreprise à adopter une posture de gestion qui tenait compte des échos du terrain. À partir des analyses produites, l’équipe a modulé ses pratiques de gestion et l’accompagnement offert aux gestionnaires pour bien soutenir leurs employés.

Prendre soin des employés qui prennent soin des clients

La BNC offre des services financiers tant aux entreprises qu’aux particuliers, et plusieurs clients avaient le potentiel d’être éprouvés par la situation économique difficile générée par la crise de la COVID-19. Pour cette organisation centrée sur les clients, il était impératif que ses employés soient mobilisés et fassent une différence auprès d’eux pendant cette période.

Afin d’assurer la continuité de ses opérations, la BNC a rapidement mis en place des initiatives soutenues pour assurer le bien-être de ses employés et de ses gestionnaires. Sous la gouverne des équipes « expérience employé », une méthode de suivi a été instaurée afin de fournir des recommandations aux dirigeants de la BNC et de les épauler dans leur prise de décision relative au bien-être des membres de l’organisation.

Seulement 10 jours après le début du confinement, l’entreprise avait implanté un processus de collecte d’information visant à impliquer le maximum d’employés et de gestionnaires dans l’établissement des mesures à mettre en place pour maximiser leur bien-être. Ainsi, pour les trois premiers mois de la pandémie sur une base hebdomadaire et, par la suite, aux deux semaines, les employés et les gestionnaires étaient invités à répondre anonymement à quatre questions permettant de prendre le pouls sur :

  1. La qualité de leur lieu de travail;
  2. L’évaluation de leur moral;
  3. L’évaluation du stress perçu;
  4. La perception du soutien offert par leur gestionnaire.

Ce sondage finissait par une question ouverte permettant aux employés de décrire ce que la BNC pouvait faire de plus pour les soutenir dans ce contexte. En moyenne, 3000 commentaires ont été traités chaque semaine et ont permis d’orienter les gestes de l’entreprise : communications, accompagnement des équipes et adaptation en continu des mesures sanitaires ainsi que des mesures de conciliation entre la vie personnelle et professionnelle.

Un cycle rapide de collecte et de traitement des données était nécessaire pour maximiser l’impact de cette initiative sur l’entreprise. Conséquemment, les questions étaient envoyées aux employés le lundi, les données étaient analysées le jeudi, et les résultats transmis le vendredi. Dès le lundi suivant, les dirigeants avaient accès aux faits saillants sur les besoins des employés et à des recommandations sur les communications et les actions à entreprendre.

Grâce au portrait hebdomadaire de la santé organisationnelle, plusieurs décisions ont été prises pour maintenir le bien-être des employés malgré le confinement, et ont mené à des actions concrètes. En voici quelques exemples. Le président et son équipe de direction ont ajusté la fréquence et le contenu de leurs communications, entre autres, lors de l’appel bimensuel aux employés. Également, les commentaires des employés concernant le télétravail ont servi à leur offrir un budget individuel, notamment pour l’achat de matériel ergonomique. Ils ont aussi permis d’orchestrer le retour au travail pour répondre à leurs réels besoins de contact humain, de récupération de matériel, etc.

La stratégie de collecte et d’analyse de données a aussi entraîné la création d’un fil d’actualités destiné aux employés, leur permettant de trouver des réponses à leurs questions 24 heures sur 24,. Par ailleurs, les informations colligées ont permis de cibler les endroits où des mesures d’hygiène devaient être ajustées pour s’assurer de bien protéger les employés et les clients. Enfin, le processus de collecte et de traitement de l’information mis en place a aussi permis de repérer rapidement des équipes où le niveau de bien-être semblait potentiellement compromis. Le gestionnaire de l’équipe a alors été contacté par les intervenants en ressources humaines (RH) afin d’établir la meilleure approche pour soutenir les employés de son groupe.

Respect des employés et des principes éthiques

Un tel processus de collecte de données pour informer les gestionnaires et les aider à prendre des décisions et à mettre en place des actions pour favoriser le bien-être des employés comporte des considérations éthiques importantes au regard de la confidentialité des données. À cet égard, une bonne pratique est d’informer les employés préalablement que leurs renseignements seront anonymisés avant d’être transmis aux gestionnaires de l’entreprise. De plus, advenant des signes de difficulté importante susceptibles de compromettre la santé et l’intégrité d’employés, l’équipe des RH doit intervenir rapidement auprès des employés concernés. Dans le cas présent, l’entreprise n’a heureusement pas eu à faire face à une telle situation.

Conclusion

Comme l’indique la discussion scientifique qui souligne l’importance d’utiliser des données probantes pour guider la prise de décision des gestionnaires en contexte turbulent (Rousseau, 2020), l’approche préconisée par la BNC pour favoriser le bien-être de ses employés et assurer le maintien d’un service à la clientèle de qualité a eu plusieurs impacts positifs. Le bien-être des employés (moral, stress et soutien du gestionnaire) s’est amélioré de 8 % entre mars et septembre malgré le contexte de pandémie mondiale.

Voici d’autres impacts positifs des actions de la BNC : croissance de 7 % de la mobilisation des employés pour atteindre 90 %, augmentation de 13 % de la satisfaction par rapport à l’offre des RH, pour atteindre 82 %, ce qui démontre l’importance de tenir compte en temps réel des besoins des employés pour ajuster en continu le soutien et les services qui leur sont dédiés. De plus, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a reconnu la satisfaction des clients de la BNC en temps de crise, plaçant l’entreprise au premier rang au Canada pour ce qui est de la qualité des services et de l’appui aux clients.

En optant pour une méthode similaire à celle des journaux de bord utilisés en recherche, et ce, bien qu’elle pose certaines limites sur le plan de la mesure des phénomènes suivis, afin d’étudier le bien-être ou les affects des employés (Ohly, Sonnentag, Niessen et Zapf, 2010), l’équipe des RH de la BNC s’est assurée d’avoir un équilibre entre la rigueur dans la démarche et la vélocité nécessaire pour intervenir rapidement. Cette initiative montre la pertinence d’intégrer une logique scientifique-praticienne pour faire évoluer les RH afin qu’elles aient une vision plus analytique en entreprise et interviennent auprès des employés et des gestionnaires sur la base de données probantes. En raison de leur formation scientifique, les psychologues du travail et des organisations peuvent représenter des acteurs privilégiés pour soutenir les organisations dans cette évolution. Les équipes de RH qui prendront pleinement le virage dit de l’« expérience employé » seront celles qui réussiront à créer de la valeur ajoutée au courant des prochaines années.

Références

Findlay, L. C., Arim, R. et Kohen, D. (2020). Understanding the perceived mental health of Canadians during the COVID-19 pandemic. Health Reports, 31(4), 22-27.

Ohly, S., Sonnentag, S., Niessen, C. et Zapf, D. (2010). Diary studies in organizational research: An introduction and some practical recommendations. Journal of Personnel Psychology, 9, 79-93.

Rousseau, D. M. (2020). Making evidence-based organizational decisions in an uncertain world. Organizational Dynamics, 49, 1-12.

Rynes, S. L. et Bartunek, J. M. (2017). Evidence-based management: Foundations, development, controversies and future. Annual Review or Organizational Psychology and Organizational Behaviors, 4, 235-261.