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Introduction - Parlons de douance au Québec

EXPERTE INVITÉE
Dre Marianne Bélanger | Psychologue et neuropsychologue

Fondatrice de la Clinique Douance-Haut-Potentiel, affiliée  à la Clinique TDAH Montérégie, la Dre Marianne Bélanger est psychologue et neuropsychologue spécialisée en douance.  Elle est également vice-présidente de l'Association  québécoise pour la douance (AQD). 


Il me fait plaisir de vous présenter ce dossier thématique de Psychologie Québec sur la douance. Plusieurs auront peut-être lu ou entendu d’autres termes comme haut potentiel, précocité intellectuelle ou surdouance. C’est un sujet que certains d’entre vous connaissent, que d’autres découvrent, mais auquel la majorité se sensibilise de plus en plus. 
 
Au nom du comité de révision, je remercie les auteurs pour leur intérêt et la qualité des articles reçus. Soulignons tout particulièrement la collaboration de notre auteur invité, le Dr Jacques F. Richard, psychologue et professeur titulaire à l’École de psychologie de l’Université de Moncton au Nouveau-Brunswick. Son article « Douance et talents à l’école » montre clairement que les enjeux propres aux besoins particuliers des élèves doués sont d’actualité ailleurs au Canada. Son propos nous permet de mettre en lumière plusieurs questions de société qu’il importe de se poser au Québec, notamment sur les interventions et les adaptations scolaires nécessaires à l’actualisation du potentiel des enfants doués. 
 
Somme toute, la douance constitue un sujet méconnu chez une grande partie des psychologues québécois, bien qu’elle concerne de 2,2 % à 10 % de la population, selon la définition utilisée. 
 
Un brin d’histoire
 
L’issue d’une guerre idéologique et syndicale qui s’est tenue à la fin des années 1970 et au début des années 1980 expliquerait en partie la situation dans le domaine de la douance au Québec. Malgré les efforts remarquables des protagonistes, comme Françoys Gagné, chercheur québécois de notoriété internationale aujourd’hui retraité de l’UQAM, des choix de société ont causé un important retard au Québec dans ce domaine. Les enfants doués, auxquels on ne reconnaissait pas, alors, de besoins particuliers, ont majoritairement été oubliés, et les professionnels n’ont pas été formés pour les évaluer et répondre à leurs besoins. En conséquence, un grand nombre passent actuellement inaperçus ou reçoivent des diagnostics erronés en raison de leurs difficultés d’adaptation (p. ex. TDAH, bipolarité). 
 
Un choc ? 
 
Pour plusieurs psychologues avec lesquels je discute de douance, le choc est grand. Le choc de constater l’étendue de ce domaine de recherche qui, né au début du 20e siècle, compte près d’une dizaine de revues scientifiques spécialisées en Amérique du Nord (p. ex. Gifted Child Quarterly, Roeper Review: A Journal on Gifted Education) et donne près de 16 000 résultats dans PsycINFO. À titre comparatif, les mots-clés personality disorders en donne 24 710. 
 
Le choc, surtout, d’apprendre que plus de la moitié des provinces canadiennes, 48 États américains ainsi que la majorité des pays industrialisés dans le monde ont une définition de la douance souvent inscrite dans leur loi sur l’éducation, qu’ils ont des centres de recherche spécialisés et des écoles adaptées, et ce, depuis plusieurs années déjà. Pour ne donner qu’un exemple, en Ontario, un diagnostic de surdouance donne droit à des ressources et à un enseignement adapté depuis plus de 16 ans. 
 
Ce choc est normal, parce que la douance est taboue au Québec. Dans leur article « “Pourquoi je me sens seul(e)?” : le fréquent sentiment de solitude des enfants à haut potentiel intellectuel », l’équipe de la Dre Anne Brault-Labbé, psychologue et professeure agrégée de l’Université de Sherbrooke, nous offre un article extrêmement touchant sur certains aspects psychoaffectifs associés à la douance et sur les solitudes susceptibles d’en découler. C’est une excursion au cœur de l’expérience subjective de plusieurs enfants doués. 
 
Ouverture actuelle
 
Présentement, il y a une importante vague de réouverture à la douance au Québec. Depuis 2012, nous avons vu naître l’organisme Haut Potentiel Québec, qui soutient les parents d’enfants doués. Plusieurs médias ont récemment couvert le sujet dans la provice, notamment La Presse et Radio-Canada. Un documentaire intitulé « Doués et oubliés : maman, quand est-ce que j'apprends? » et portant sur la douance a notamment été diffusé sur les ondes de Télé-Québec. Dans la dernière année, des humoristes comme André Sauvé et P-A Méthot ont parlé publiquement de douance. Bref, le contexte sociétal a clairement évolué. Le ton des échanges semble majoritairement curieux et positif, quoique beaucoup d’incompréhension et un manque de connaissances transpirent toujours chez les professionnels ainsi que dans le public et les médias.
 
Sondage québécois
 
En avril dernier, nous avons réalisé un sondage via la page Facebook de l’Association québécoise des neuropsychologues. 22 % des 110 parents sondés indiquent qu’un haut potentiel intellectuel est ressorti de l’évaluation de leur enfant. Bien sûr, ce sondage est exploratoire et non représentatif de la population. Il soulève tout de même l’enjeu de la formation continue en douance pour nous permettre de parfaire et de mettre à jour nos connaissances, puisque, clairement, il s’agit d’un domaine dans lequel plusieurs d’entre nous exercent déjà des activités professionnelles. 
 
Et quand des études (p. ex. Lancon et coll., 2015 ; Vaivre-Douret, 2011) montrent que : 
de 25 à 50 % d’entre eux reçoivent un diagnostic erroné de TDAH dans leur vie;
près de 50 % présentent un trouble de l’écriture;
57 % ont un trouble d’anxiété généralisée à l’âge adulte;
8 à 10 % tiennent des propos suicidaires sérieux avant l’âge de 12 ans;
75 % ont vécu au moins un épisode dépressif dans leur vie;
 
je me permets de penser qu’un grand nombre d’entre nous exercent peut-être avec des individus doués sans toujours le savoir. 
 
 
Comprendre
 
Premier arrêt : la courbe normale (figure 1). On a longtemps associé la douance à un quotient intellectuel (QI) homogène supérieur à 130. Pourtant, bien que les échelles d’intelligence fassent partie de l’évaluation de base, douance n’est pas synonyme d’intelligence ni de QI. 
 
Vous constaterez notamment dans l’article de la neuropsychologue Élodie Authier, M. Ps., intitulé « Regard sur les modèles théoriques de la douance », que les définitions de la douance n’incluent pas le QI. Sans nier son utilité dans l’évaluation, vous découvrirez que les théoriciens tentent plutôt d’élargir la conception de la douance aux traits distinctifs des individus doués qui incluent une intelligence extrêmement élevée, mais aussi une créativité, un engagement et une capacité d’adaptation supérieurs à la moyenne. 
 
Vous pourrez également découvrir les principales théories explicatives des mécanismes biologiques en jeu dans les différences structurelles et fonctionnelles qui caractérisent le cerveau des individus doués dans l’article « Que se passe-t-il à l’intérieur du cerveau intelligent? », de la Dre Sarah Lippé, psychologue, neuropsychologue et chercheuse au CHU Sainte-Justine, et de Mme Audrey-Rose Charlebois, étudiante à la maîtrise en psychologie. 
 
Évaluer et intervenir
 
En fait, la douance est d’abord une question de développement différent et précoce, qui a été décrit dans quelques études (p. ex. Guénolé et coll., 2013; Liratnia et Pry, 2012; Vaivre-Douret, 2011 ; Revol, Louis et Fourneret, 2004) et qu’une anamnèse exhaustive permettra de mettre en lumière. En exclusivité sur le Web, le psychologue Dr Jean-François Benoit et l’orthopédagogue Camille Marchand nous offrent un article intitulé « Soutenir la réussite éducative des élèves doués intellectuellement ». Les auteurs y partagent leurs observations, leurs réflexions et leurs constats en abordant les questions de l’évaluation et de l’intervention en contexte scolaire.
 
Finalement, il y a aussi les doués doublement exceptionnels en raison de leur douance associée à un trouble d’apprentissage, un TDAH ou un trouble autistique. À ce jour, il ressort des études que ces enfants ont un profil unique qui ne correspond pas au profil des doués ou de ceux qui présentent seulement le trouble associé (p. ex. Mullet et Rinn, 2015; Van Viersen, Kroesbergen, Slot et De Bree, 2015; Reis, Baum et Burke, 2014). Ils obtiennent des résultats hétérogènes aux échelles de Wechsler, souvent entre le 93e et le 97e rang centile (p. ex. Assouline, Foley Nicpon, Colangelo et O’Brien, 2008). Ils passent donc inaperçus ou reçoivent, au mieux, un des deux diagnostics et, dans le pire des cas, un diagnostic erroné (consultez les moteurs de recherche ou belinblank.org pour plus d’information). 
 
Conclusion
 
Nous sommes des acteurs clés dans le dépistage, l’évaluation, l’intervention et la sensibilisation à la douance. Je vous transmets un profond merci pour votre intérêt envers ce dossier thématique, et bonne lecture. 
 
 
Bibliographie
Assouline, S., Foley Nicpon, M., Colangelo, N., et O’Brien, M. (2008). The Paradox of Twice-Exceptionality Packet of Information for Professionals – 2nd Edition (PIP-2). Belin and Blank International Center for Gifted Education and Talent Development. 
Guénolé, F., Louis, J., Creveuil, C., Baleyte, J-M., Montlahuc, C., Fourneret, P., et Revol, O. (2013). Behavioral Profiles of Clinically Referred Children with Intellectual Giftedness. Bio Med Research International. http://dx.doi.org/10.1155/2013/540153
Lancon, C, Martinelli, M., Michel, P., Debals, M., Auquier, P., Guedj, E., et coll. (2015). Comorbidités psychiatriques et qualité de vie chez les sujets adultes à haut potentiel intellectuel : relations avec l’estime de soi. Presse Med. 44, e177-e184.
Liratnia, M., et Pry, R. (2012). Profil psychométrique de 60 enfants à haut potentiel. Pratiques psychologiques, 18, 63-74.
Mullet, D. R., et Rinn, A. (2015) Giftedness and ADHD: identification, misdiagnosis, and dual diagnosis, Roeper Review, 37:4
Reis, S. M., Baum, S. M., et Burke, E. (2014). An operational definition of twice-exceptional learners: implications and applications. Gifted Child Quarterly, 58, 217-230.
Revol, O., Louis, J, et Fourneret, P. (2004). L’enfant précoce : signes particuliers. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 52, 148-153. 
Vaivre-Douret, L. (2011). Developmental and cognitive characteristics of “high-level potentialities” (highly gifted) children. International Journal of Pediatrics, doi:10.1155/2011/420297
Van Viersen, S., Kroesbergen, E. H., Slot, E. M., de Bree, E. H. (2016). High reading skills mask dyslexia in gifted children. Journal of Learning Disabilities, 49, 189-199.