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Pédophilie : enjeux de mesure et de transparence

Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca


Les gens qui consultent des psychologues le font pour diverses raisons. Chaque client a le droit de recevoir les services professionnels adaptés à ses besoins. Il arrive qu’en fonction des circonstances de la vie (arrestation, pression extérieure, dénonciation, menace ou simplement grâce à la bonne marche de la psychothérapie), des clients en viennent à révéler leur attirance envers les enfants. Il faut se rappeler que c’est un bon signe qu’une personne réalise qu’elle a besoin de consulter, qu’elle souffre de sa condition. L’ouverture au changement est présente. Vient alors le temps d’intervenir de la façon la plus appropriée possible… et des questions émergent d’elles-mêmes. En voici quelques-unes qui proviennent autant du public que des psychologues.

En quelles circonstances un psychologue doit-il faire un signalement à la DPJ?

Précisons que la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) n’est pas une loi de dénonciation ou de délation, mais bien une loi de protection. L’art. 39 de la LPJ décrit les différentes situations auxquelles se rattachent le signalement obligatoire et le signalement discrétionnaire dans les cas où la sécurité et le développement d’un enfant identifié ou identifiable sont compromis.

Lorsqu’un client n’ayant jamais eu d’activité pédophile confie, en cours de suivi, qu’il éprouve une attirance sexuelle pour les enfants ou qu’il a des fantasmes pédophiles, le psychologue n’a pas l’obligation de faire un signalement aux autorités.

Le psychologue n’est pas tenu non plus de signaler un client qui lui confierait être déjà passé à l’acte s’il n’y a aucune victime identifiée.

Cependant, le psychologue doit faire un signalement si le client est déjà passé à l’acte et s’il y a actuellement, dans l’entourage du client, un enfant identifié ou un groupe d’enfants identifiables qu’il côtoie et dont la sécurité et le développement seraient en situation de compromission. Par exemple, si le client confie qu’il est en contact avec un enfant, celui d’une nouvelle conjointe ou une nièce qu’il garderait les fins de semaine, le psychologue est tenu de faire le signalement au directeur de la protection de la jeunesse (DPJ).

Finalement, lorsqu’un client, dont on sait qu’il est déjà passé à l’acte, donne en cours de suivi l’identité d’un enfant qu’il a abusé par le passé, alors que cela n’aurait jamais été dévoilé ou révélé, le psychologue est tenu de signaler à la DPJ si l’enfant est toujours mineur. La sécurité et le développement de l’enfant en question sont considérés comme étant compromis du fait qu’il a subi un préjudice et qu’il peut en porter des séquelles.

Y a-t-il des situations, hors LPJ, qui nécessitent de divulguer de l’information confidentielle?

Un psychologue peut suivre un client qui présente un certain danger. Il est alors de son devoir d’évaluer minutieusement la dangerosité. S’il a un motif raisonnable de croire qu’un risque sérieux de mort ou de blessure grave menace une personne ou un groupe de personnes identifiables et que la nature de la menace inspire un sentiment d’urgence, le psychologue peut communiquer, par exemple, avec la police ou avec la personne exposée aux dangers ou avec ses représentants. On entend par « blessures graves » toute blessure physique ou psychologique qui nuit de manière importante à l’intégrité physique, à la santé, au développement ou au bien-être d’une personne ou d’un groupe de personnes identifiables. C’est ce que nous apprend l’art. 60.4 du Code des professions, l’art. 19.0.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) et les art. 18 et 19 du Code de déontologie des psychologues. Le psychologue est alors autorisé à communiquer un renseignement autrement protégé par le secret professionnel en vue de protéger les personnes exposées au danger.

Contrairement à la LPJ, qui prévoit que la DPJ pose un jugement sur la nécessité de protéger un enfant en dénonçant un adulte identifié comme agresseur à la police, les dispositions du Code des professions, de la LSSSS et du Code de déontologie des psychologues exigent que le professionnel exerce son jugement avant de procéder à la divulgation de renseignements confidentiels.

L’importance d’une évaluation minutieuse

Le psychologue doit donc évaluer s’il peut intervenir auprès du client et faire en sorte de prévenir le passage à l’acte dangereux. Il doit à cet effet prendre en considération plusieurs facteurs, dont les capacités et les limites du client (sa maîtrise de soi sur le plan sexuel, etc.) ainsi que la présence chez lui de comportements comme la consommation de pornographie juvénile. L’idéal pour l’atteinte des objectifs en psychothérapie est de maintenir un lien de confiance avec le client qui consulte afin qu’il puisse s’ouvrir entièrement et donner ainsi accès à la source du danger, condition essentielle pour que le traitement ait lieu. Le signalement pourrait compromettre le lien de confiance mutuel et réduire, dans le cas qui nous intéresse ici, les probabilités de modifier les pensées et les comportements déviants.

Mais lorsque le psychologue, après analyse, a un motif raisonnable de croire à un risque sérieux de nuire de manière importante à l’intégrité physique, à la santé, au développement et au bien-être, il transmet les renseignements confidentiels requis pour prévenir le passage à l’acte, soit à la DPJ s’il y a un enfant identifiable, soit aux autorités compétentes si aucun enfant n’est identifiable. Ce faisant, il se conforme également à l’art. 2 de la Charte des droits et libertés du Québec en portant secours à une ou à des personnes « dont la vie est en péril ».

Par exemple, un client fait part au psychologue de son attirance sexuelle pour les enfants sans toutefois être passé à l’acte. Le client confie se tenir dans les parages d’une école ou aux alentours d’un parc d’enfants. Un viol, un enlèvement, une agression sexuelle (que la victime soit mineure ou adulte) portent certainement atteinte à l’intégrité physique, à la santé ou au bien-être de celle-ci. Le psychologue évalue donc la dangerosité de son client, pose un jugement professionnel sur la possibilité d’agir auprès de celui-ci dans le cadre de son suivi pour empêcher un éventuel passage à l’acte. S’il conclut à un danger pour une personne ou un groupe de personnes identifiable et à son incapacité de prévenir ce danger, il divulgue l’information nécessaire.

Comment un psychologue doit-il tenir son dossier dans de telles circonstances?

Un dossier de client n’est pas un recueil d’aveux, mais bien un document témoignant des activités professionnelles du psychologue et du plan d’intervention. Il doit entre autres contenir :

  • le motif de consultation;
  • le processus d’évaluation;
  • les objectifs;
  • les moyens pour atteindre les objectifs;
  • les thèmes concernant les objectifs;
  • l’évolution et le progrès concernant les objectifs et les moyens pour y arriver;
  • les conclusions et les recommandations après le processus d’évaluation, après les différentes étapes du suivi et à la fin du suivi.

Ainsi, le dossier est orienté à propos d’un mandat de service et non à propos d’un possible témoignage en cour.

Cependant, lorsque le psychologue communique un renseignement confidentiel en vue de prévenir un acte de violence, il doit consigner au dossier les motifs au soutien de sa décision de communiquer le renseignement, les renseignements communiqués ainsi que l’identité de la ou des personnes à qui la communication a été faite, et ce, en vertu de l’art. 19 du Code de déontologie des psychologues.

Est-il possible pour le psychologue de consulter un registre des délinquants pédophiles?

Le Registre national des délinquants sexuels est issu de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. C’est un répertoire national des délinquants reconnus coupables d’une infraction sexuelle et qui font l’objet d’une ordonnance du tribunal les obligeant à se présenter chaque année aux autorités policières.

L’objectif de ce registre est de fournir aux services de police canadiens des renseignements importants qui améliorent leur capacité à prévenir les crimes de nature sexuelle et à mener des enquêtes en la matière.

Les psychologues n’ont pas accès à ce registre.

Un psychologue peut-il refuser d’offrir des services à une personne attirée sexuellement par les enfants?

Reconnaissons d’abord que tous les psychologues ne sont pas à même de traiter tout type de clients ou de problématiques. Il est judicieux de discriminer ceux qu’on peut aider des autres avant d’offrir ses services. Les psychologues peuvent donc refuser de donner des services à une personne qui éprouve une attirance sexuelle envers les mineurs comme à toute autre personne présentant une quelconque problématique, par ailleurs. Cependant, le Code de déontologie des psychologues nous rappelle que toute personne a une valeur innée en tant qu’être humain, peu importe ses caractéristiques personnelles, sa condition ou son statut (art. 3). De plus, les psychologues doivent avoir une conduite irréprochable envers toutes les personnes avec lesquelles ils entrent en relation dans le cadre de leur pratique professionnelle (art. 4). Les psychologues peuvent refuser de recevoir certaines personnes étant donné qu’ils doivent s’acquitter de leurs obligations professionnelles avec compétence, intégrité, objectivité et modération (art. 7). Or, travailler avec des personnes qui ont une attirance sexuelle pour les enfants nécessite non seulement des compétences spécifiques, mais aussi des capacités particulières de se distancier de soi afin de contenir le mouvement spontané de réprobation ou de répulsion que peuvent provoquer ces personnes (art. 23 et 31). L’impossibilité de se distancier de ce mouvement pourrait justifier de ne pas accepter de tels clients. Outre ces limites sur le plan personnel et sur celui des compétences, les psychologues doivent également prendre en considération les limites des moyens dont ils disposent, cela incluant de tenir compte du contexte et du milieu de travail dans lequel ils œuvrent (art. 10). Il va de soi qu’ils verront à orienter les personnes ayant demandé un service vers un collègue ou une ressource spécialisée s’ils ne sont pas en mesure de répondre à leur demande (art. 40).

Le psychologue qui traite un client qui le consulte pour d’autres motifs et qui apprendrait en cours de traitement que ce dernier est attiré sexuellement par des enfants devrait déterminer s’il est toujours en mesure de le traiter adéquatement, et ce, en se référant aux quelques paramètres énoncés précédemment. Le cas échéant, il pourrait envisager de cesser le traitement tout en faisant le nécessaire pour que son client soit pris en charge par un autre psychologue ou professionnel (art. 35 et 36).

Bibliographie

  • Gouvernement du Canada (2004). Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. L.C., chapitre 10.
  • Gouvernement du Canada. Registre national des délinquants sexuels. Portail de la Gendarmerie royale du Canada.
  • Gouvernement du Québec. Charte des droits et libertés du Québec. L.R.Q., chapitre C-12.
  • Gouvernement du Québec. Code de déontologie des psychologues. L.R.Q., chapitre C-26, r.212.
  • Gouvernement du Québec. Code des professions. L.R.Q., chapitre C-26.
  • Gouvernement du Québec. Loi sur la protection de la jeunesse. L.R.Q., chapitre P-34.1.
  • Gouvernement du Québec. Loi sur les services de santé et les services sociaux. L.R.Q., chapitre S-4.2.
  • Gouvernement du Québec. Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des psychologues. L.R.Q., chapitre C-26, r.221.
  • Ordre des psychologues du Québec (2008). Guide explicatif concernant la tenue de dossier.