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Personnes âgées et proches aidants durant la pandémie: enjeux psychologiques et interventions

Lucille Agarrat, psychologue

Spécialisée en gérontologie aux cliniques de cognition et de douleur de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM). 


 

Dre Laurence Villeneuve, psychologue

Spécialisée en gérontologie à l’IUGM, elle est présidente du Regroupement des psychologues en gérontologie du Québec depuis 2016.


Les restrictions associées au confinement et à la distanciation sociale ont frappé de plein fouet les personnes âgées, qui ont été ciblées comme population à risque. Plusieurs milieux de vie d’aînés ont appliqué des mesures strictes afin de prévenir une éclosion (interdiction des visites des proches, restriction des droits de sortie sans autorisation), entraînant des bouleversements majeurs dans les habitudes de vie des aînés et accentuant un sentiment de solitude préexistant (Tyrrell et Williams, 2020).

Survol du vécu des aînés durant la pandémie

Chez nos patients âgés, la pandémie a contribué à l’apparition ou à l’aggravation de détresse psychologique, de difficultés de sommeil, de symptômes dépressifs ou anxieux. Plus spécifiquement, des symptômes s’apparentant à de l’anxiété généralisée (incertitude, peur de l’inconnu, absence de contrôle sur la situation) et des craintes liées à la contamination (peur pour leur santé et celle de leurs proches, peur de mourir) ont été observés. Les aînés et leurs proches aidants exprimaient aussi leur frustration, leur colère, leur culpabilité et parfois un sentiment d’inutilité. Nous avons également constaté une aggravation de conditions de santé particulières (par exemple des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence [SCPD] et de la douleur chronique) chez certains de nos patients.   

La détresse en CHSLD

Vécu des résidents

Au Québec, les éclosions dans les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) de la région de Montréal ont été foudroyantes et dévastatrices. Les mesures de prévention instaurées (isolement dans les chambres, suspension des services de réadaptation et de loisirs, répartition des résidents dans les différentes zones selon l’évolution du virus) ont indéniablement contribué à la détresse psychologique des résidents. Le lien thérapeutique entre les intervenants et les résidents s’est vu complexifié par le port d’équipement de protection individuelle (uniforme, masque, visière, etc.) en réduisant la facilité d’identification des employés et l’accès aux expressions non verbales. L’anxiété, l’irritabilité, la frustration, le désespoir, la tristesse et les sentiments de solitude, d’ennui et d’insécurité ont été des symptômes fréquemment relevés chez les personnes hébergées en CHSLD. Nous avons également observé que les mesures préventives ont parfois exacerbé des SCPD (agitation, errance, demandes répétées), comme l’a rapporté Suarez-Gonzalez (2020), et que, dans certains cas, elles ont pu précipiter des idées suicidaires (par exemple lors de changements répétés de chambre).

Pour les personnes ayant contracté la COVID-19, la crainte de contaminer les autres et celle de mourir pouvaient causer une grande détresse. Certains ont été témoins de la sévérité des symptômes d’autres résidents sur leur étage et parfois même du décès de leur compagnon de chambre. On peut imaginer à quel point vivre dans cette ambiance a pu être anxiogène et traumatique. A contrario, certains résidents sont parvenus à relativiser la situation et se sont montrés plus compréhensifs face aux mesures de prévention. Par exemple, l’une de nos patientes, atteinte de la COVID-19 (et rétablie depuis), disait avec humour qu’elle avait survécu à la Deuxième Guerre mondiale et n’allait pas se démonter face au coronavirus ! Pour d’autres résidents, la présence de troubles neurocognitifs pouvait être relativement aidante dans ce contexte puisqu’ils ne réalisaient pas l’ampleur de la situation et des risques encourus. 

Vécu des proches aidants

Face à l’interdiction des visites en CHSLD, plusieurs proches aidants ont réagi avec colère et frustration envers le système de santé. Durant les premières semaines, la difficulté à obtenir de l’information sur l’état de santé de leur proche et la médiatisation de situations tragiques dans certains CHSLD ont alimenté les inquiétudes et l’anxiété. Les proches aidants nous verbalisaient leur peur que le résident soit atteint du virus, que son état se détériore sur le plan médical, mental ou cognitif, qu’il n’ait pas accès à tous les soins nécessaires, voire qu’il décède. Plusieurs ressentaient culpabilité et impuissance face à la situation et au discours émotif de leur proche lors des contacts téléphoniques.

Certains proches aidants ont vu leur pire cauchemar se réaliser avec l’annonce du décès de leur proche. La maladie ayant parfois eu une évolution rapide, le décès pouvait être assez brutal et imprévisible. Dans ce contexte, et compte tenu des mesures de prévention, il n’était pas possible de se recueillir et de dire au revoir au défunt, ou alors, cela a dû être fait dans des conditions déchirantes (entrée en zone contaminée avec port d’équipement de protection individuelle, visites de 10 minutes par personne). Ces conditions ont été propices au développement d’un deuil traumatique. Par la suite, la modification ou l’absence de rituels funéraires (par exemple l’incinération obligatoire) ont occasionné un stress supplémentaire en privant les familles d’étapes essentielles au processus de deuil. Parfois, les mesures gouvernementales sont allées à l’encontre des souhaits du défunt, mettant le proche aidant face à un conflit de valeurs. Beaucoup de proches aidants endeuillés ont exprimé de la colère face à la situation, un sentiment de culpabilité, d’impuissance et de perte de contrôle. La rapidité de l’évolution de la maladie, l’annonce subite du décès, la difficulté à avoir des informations, le fait de ne pas avoir pu voir le corps de leur proche ont aussi parfois alimenté le caractère irréel de la situation.

L’intervention en gérontopsychologie durant la pandémie

Les répercussions psychologiques de la pandémie sur les personnes âgées et les proches aidants se sont fait rapidement sentir dans les milieux de soins, et des services de soutien psychologique se sont progressivement organisés. À l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), l’offre de services s’est orientée en deux grands axes : soutien aux patients et soutien aux proches aidants. Des intervenants psychosociaux (psychologues, neuropsychologues, travailleurs sociaux) ont été mobilisés pour offrir du soutien psychologique par rapport à la pandémie aux patients et plus spécifiquement à ceux qui étaient atteints de la COVID-19. Pour les aînés connus des services ambulatoires et des cliniques externes, l’utilisation de moyens technologiques disponibles (téléphone, Zoom) a permis de maintenir l’accès à des services psychologiques. Une ligne de soutien téléphonique pour les proches aidants a également été mise en place.

L’expérience de l’IUGM nous a confirmé l’importance de maintenir les suivis en cours, même si les objectifs initiaux de la thérapie passaient parfois au second plan pour tenir compte de la résurgence d’inquiétudes sur la santé et de symptômes anxio-dépressifs ou pour offrir du soutien en cas de deuil. Pour soutenir les personnes atteintes de trouble neurocognitif et vivant à domicile avec leur proche, il a parfois été nécessaire de faire le lien avec l’équipe multidisciplinaire lorsque la situation se détériorait. Auprès des résidents atteints de la COVID-19, nos interventions se sont surtout inspirées de l’approche de premiers soins psychologiques (Bergeron, 2020), que nous avons ajustée relativement aux spécificités de notre clientèle. Pour les proches aidants, être épaulés par des intervenants comprenant la maladie de leur proche et vivant de près la pandémie a pu être soutenant. Pour les suivis de deuil, nos interventions se sont inspirées des travaux de Pascale Brillon sur le deuil traumatique et des travaux de la chaire Jean-Monbourquette de l’Université de Montréal (Viens, 2020). Pour l’ensemble de notre clientèle, encourager le maintien du contact avec les proches à distance et susciter l’espoir et l’émergence des facteurs de résilience (Brooks et al., 2020) ont constitué une part importante de nos interventions.

En conclusion, cette expérience chargée renforce notre conviction de la nécessité de mieux reconnaître et de prendre en charge la santé mentale des aînés. Face à la perspective d’une deuxième vague de COVID-19, nous souhaitons que des services de soutien psychologique soient rapidement offerts aux personnes âgées et aux proches aidants résidant dans différents milieux de vie (CHSLD, résidence privée pour aînés [RPA], à domicile). Plus globalement, nous espérons que cette épreuve puisse sensibiliser davantage les instances gouvernementales afin de faciliter l’accès à des psychologues spécialisés en gérontologie dans les années à venir.

 

Références

Bergeron, N. (2020). Accompagner et évaluer la détresse psychologique en temps de pandémie. Conférence du 27 mars 2020 de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

Brooks, S. K., Webster, R. K., Smith, L. E., Woodland, L., Wessely, S., Greenberg, N. et Rubin, G. J. (2020). The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence. The Lancet, 395(10227), 912-920.

Suarez-Gonzalez, A. (2020, 23 juin). Detrimental effects of confinement and isolation in the cognitive and psychological health of people living with dementia during COVID-19: Emerging evidence. LTC responses to COVID-19, International Long-Term Care Policy Network.

Tyrrell, C. J. et Williams, K. N. (2020). The paradox of social distancing: Implications for older adults in the context of COVID-19. Psychological Trauma: Theory, Research, Practice, and Policy, 12(S1), S214-S216.

Viens, N. (2020, avril). Guide pour les personnes endeuillées en période de pandémie. Praxis, Centre de développement professionnel, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal, 16 pages.