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Placement en famille d’accueil jusqu’à la majorité ou adoption : quelques notions de la théorie d’attachement pour soutenir la réflexion


Dre Julie Dubé, psychologue
Exerçant au CISSS-CA (Programme jeunesse) et en pratique privée, elle détient un doctorat en psychologie du développement de l’enfant.


 


Dre Claire Baudry, psychologue 
Professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, elle détient un doctorat en psychologie du développement de l’enfant. 


 


Dre Julie Bédard, psychologue 
Exerçant au CISSS-CA (Programme jeunesse), elle détient un doctorat en psychologie du développement de l’enfant.


Chaque année, de nombreux enfants sont placés en famille d’accueil, sous la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Selon le dernier bilan des directeurs de la protection de la jeunesse (DPJ) (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2020), 37,9 % des enfants suivis sous la LPJ étaient placés dans une ressource de type familial (RTF) ou dans une famille d’accueil de proximité (FAP) . Lorsque la réunification avec le milieu d’origine est possible, soit pour 80 % des enfants (Esposito et al., 2014), les placements s’avèrent temporaires. Parfois, un projet de vie alternatif doit être envisagé afin d’offrir une stabilité à l’enfant. Cette réflexion s’accompagne de nombreux questionnements entourant l’intérêt de l’enfant. Entre autres, le placement en RTF peut être prolongé jusqu’à la majorité de l’enfant afin de lui assurer une stabilité de milieu de vie et des liens d’attachement établis. Un nouveau placement peut aussi être proposé afin d’orienter l’enfant vers une adoption lorsqu’on vise un investissement et un engagement allant au-delà de la majorité. Comment la théorie de l’attachement offre-t-elle des pistes de réflexion pour soutenir et orienter nos décisions? 

Contexte de la protection de la jeunesse
La LPJ établit les droits des enfants et des parents ainsi que les principes directeurs des interventions sociales et judiciaires en matière de protection de la jeunesse au Québec. Cette loi intervient lorsque la sécurité ou le développement de mineurs sont jugés compromis (abandon, négligence, abus sexuels ou physiques, mauvais traitements psychologiques ou troubles de comportement sérieux). Lorsque le milieu familial ne peut assurer la sécurité de l’enfant ou que son développement est jugé compromis, l’enfant peut être placé dans une RTF. Il importe de préciser que conformément à la LPJ, le placement dans une FAP1 est favorisé pour assurer un maintien des liens déjà existants. 
 
En plus de l’orientation vers une RTF ou en FAP, un projet d’adoption peut également être envisagé. Au Québec, les adoptions locales sont encadrées par les services de protection de l’enfance et se concrétisent par l’entremise d’un programme de familles d’accueil appelé « banque mixte ». Le projet d’adoption se présente rarement d’emblée lors de l’intervention du DPJ dans la vie d’un enfant. C’est majoritairement lors de la clarification du projet de vie de l’enfant que cette avenue peut être considérée. Pour la proposer, les DPJ doivent toutefois s’assurer que toutes les considérations juridiques et familiales sont respectées et que l’adoption servira l’intérêt supérieur de l’enfant. Finalement, c’est la Cour du Québec – Chambre de la jeunesse qui rend un jugement sur l’adoption d’un enfant. Ainsi, en 2019, 223 enfants québécois ont été adoptés (MSSS, 2019). 

La théorie d’attachement comme cadre de référence
L’attachement se définit comme l’établissement d’une relation affective entre l’enfant et la principale figure responsable de son bien-être (Bowlby, 1969). La relation d’attachement résulte de l’interaction répétée de comportements manifestés par l’enfant et le parent. Les patrons d’attachement que l’enfant développe résultent de l’interaction entre les comportements de l’enfant lorsque celui-ci est en détresse et des soins prodigués par sa figure significative pour le sécuriser. La figure d’attachement est le déterminant de la qualité relationnelle que l’enfant parviendra à développer (sécurisante ou insécurisante). C’est autour et en fonction des comportements de celle-ci qu’un enfant va organiser et structurer ses schèmes relationnels d’attachement. Nous parlerons de désorganisation de la relation d’attachement lorsque l’enfant ne sera pas parvenu à développer un patron relationnel bien organisé, efficient et fonctionnel. 

Un enfant placé en famille d’accueil a généralement été exposé à des facteurs de stress en début de vie (stress prénatal, négligence, maltraitance, etc.) qui le rendent plus vulnérable à développer un attachement insécurisant. Malgré ces facteurs de risque, il a été observé que les enfants peuvent parvenir à développer une relation d’attachement sécurisante avec leurs nouveaux donneurs de soins (Raby et al., 2017). Un enfant placé en vient à intégrer des parties de sa famille d’accueil (routine et rituels, mode de pensée, langage, etc.) et à développer un sentiment d’appartenance. Il y a cependant un risque à déplacer un enfant qui a su se développer et évoluer de manière positive dans une famille. Le changement pourrait fragiliser l’enfant et compromettre son adaptation ultérieure.

En effet, il est possible d’observer des perturbations comportementales et physiologiques risquant de nuire à l’adaptation de l’enfant à son nouveau milieu (Dozier, Stovall, Albus et Bates, 2001). D’ailleurs, lorsqu’un enfant est placé après sa deuxième année de vie, les probabilités qu’il développe un attachement sécurisant tendent à diminuer. Plus un enfant est placé en bas âge, meilleures sont ses chances de développer un attachement sécurisant (Bos et al., 2011). Ceci souligne que la notion de temps est cruciale dans le développement d’un lien d’attachement pour l’enfant et que celle-ci joue parfois en notre défaveur lors de la clarification d’un projet de vie.

La sensibilité des parents d’accueil ou adoptants et l’état d’esprit en regard de l’attachement 
Bien qu’ils aient vécu des mauvais traitements dans leur famille biologique, les enfants placés vont développer un lien d’attachement avec leur parent d’accueil (Lionetti et al., 2015). Ils sont toutefois plus susceptibles de reproduire les patrons relationnels dysfonctionnels vécus au sein de leur famille d’origine en développant un attachement insécurisant, et même désorganisé, face aux parents d’accueil (Dozier et al., 2001). La qualité de sensibilité d’un parent d’accueil peut cependant prévenir le développement d’un attachement insécurisant (Dozier et al., 2001) et même prédire le développement d’un attachement sécurisant (Ponciano, 2010).

La sensibilité parentale se définit comme l’aptitude du parent à percevoir les besoins de son enfant, à les interpréter correctement et à y répondre de façon adéquate dans un délai approprié (Nicholls et Kirkland, 2006). Cette sensibilité est tributaire, en partie, de l’état d’esprit du parent (Atkinson et al., 2005). L’état d’esprit réfère aux représentations internes qu’ont intégrées les adultes de leurs relations d’attachement passées (sentiments et cognitions). Celui-ci joue un rôle important dans la façon dont ils perçoivent, définissent et interprètent les besoins de leurs enfants lorsqu’ils deviennent parents et dans leur manière d’y répondre (Pallanca, Moss, Béliveau et Vandal, 2011). Ces représentations internes guident les comportements des parents dans leurs interactions avec l’enfant et vont fortement influencer leur niveau de sensibilité à son égard. D’ailleurs, un impact est observé sur la qualité de la relation d’attachement que l’enfant va développer (Verhage et al., 2016). Le type d’attachement de l’enfant envers son parent d’accueil est ainsi relié à l’état d’esprit du parent d’accueil. Il devient donc pertinent de demeurer sensible au passé relationnel des parents d’accueil ou adoptants. 

La notion d’engagement et d’investissement
Le concept d’engagement parental fait référence au niveau de motivation du parent substitut à s’investir dans une relation durable avec l’enfant dont il a la garde. Un haut niveau d’engagement est attendu afin de favoriser le développement d’un lien d’attachement sécurisant ainsi que l’adaptation ultérieure de l’enfant. Il a été observé que des parents qui ont un niveau d’engagement moins élevé envers l’enfant placé auraient davantage d’interactions problématiques avec celui-ci (Dubois-Comtois et al., 2015). Un niveau d’engagement sera jugé élevé si les parents substituts tendent à s’investir de façon durable auprès de l’enfant, par l’intégration de celui-ci dans leur cellule familiale, et à investir dans l’enfant sur différents plans (affectif, social, cognitif, physique, etc.) (Dozier et Lindhiem, 2006). 

Dans le même ordre d’idées, Boyer et Noël (2018) ont observé que la façon dont les parents d’accueil ou adoptants perçoivent leur rôle (accueillir un enfant ou devenir parent) aura un impact sur leur degré d’engagement et d’investissement à l’égard de l’enfant. Certaines caractéristiques, en dehors du statut de placement, vont aussi influencer leur niveau d’engagement; pensons notamment à leur âge, au nombre d’enfants au sein du foyer ou aux expériences de placement précédentes (Garcia Quiroga et Hamilton-Giachritsis, 2016). 

Par ailleurs, le maintien des contacts avec les parents ne semble pas faire consensus dans la littérature (Poitras et Tarabulsy, 2017). Il est reconnu que ces contacts assurent les chances de réunification avec la famille d’origine. Toutefois, dans l’éventualité où un retour dans la famille d’origine ne peut être envisagé, le maintien de contacts peut être une source de tensions pour les parents d’accueil. Leur degré d’engagement envers l’enfant placé peut en être affecté (Poitras, Tarabulsy, Hébert-Soucy, De Serres-Lafontaine et St-Pierre, 2016). Cet aspect rend compte de toute l’importance de l’accompagnement qui doit être offert aux parents d’accueil pour ne pas compromettre le placement de l’enfant. 

Conclusion
Il serait hasardeux d’avoir une position franche et sans équivoque quant au choix à faire entre un placement jusqu’à la majorité et une adoption. Chaque famille, chaque enfant et chaque projet de vie sont uniques. Il demeure donc primordial que l’ensemble des intervenants, tant du milieu social que juridique, soient conscients des variables à considérer dans la prise de décision et des répercussions possibles de toute décision sur le développement de l’enfant. La théorie d’attachement, par l’intermédiaire de ses concepts (la sensibilité parentale, les états d’esprit, les notions d’engagement et d’investissement), nous offre un cadre de référence pour soutenir ces décisions et permet une analyse personnalisée de chaque situation. C’est pourquoi ces variables devraient se retrouver dans la réflexion de chaque projet de vie d’un enfant confié. 

 

Note

Il s’agit d’un tiers désigné.


Bibliographie

Atkinson, L. R., Goldberg, S., Raval, V. V., Pederson, D., Benoit, D., Moran, G., Poulton, L., Myhal, N., Zwiers, M., Gleason, K., Leung, E. (2005, février). On the relation between maternal state of mind and sensitivity on the prediction of infant attachment security. Developmental Psychology, 41(1), 42-53. 
Bos, K., Zeanah, C., Fox, N., Drury, S., McLaughlin. K. et Nelson, C. (2011). Psychiatric outcomes in young children with a history of institutionalization. Harvard Review Psychiatry, 19(1), 15-24.
Bowlby, J. (1969). Attachment and loss : vol. 1. Attachment. New York (NY) : Basic Books.
Boyer, A. et Noël, R. (2018). Les parents funambules : entre désir d’enfant et désir d’accueil, un équilibre à négocier dans la famille d’accueil régulière au Québec. Enfances, familles, générations, (30). Repéré à : https://doi.org/10.7202/1058691ar
Dozier, M., Stovall, K., Albus, K. et Bates, B. (2001). Attachment for infants in foster care: The role of caregiver state of mind. Child Development, 72(5), 1467-1477. 
Dozier, M. et Lindhiem, O. (2006). This is my child: Differences among foster parents in commitment to their young children. Child Maltreatment, 11(4), 338-345. 
Dubois-Comtois, K., Bernier, A., Tarabulsy, G. M., Cyr, C., St-Laurent, D., Lanctôt, A.-S., St-Onge, J., Moss, E. et Béliveau, M.-J. (2015). Behavior problems of children in foster care: Associations with foster mothers’ representations, commitment, and the quality of mother-child interaction. Child Abuse and Neglect, 48, 119-130.
Esposito, T., Trocmé, N., Chabot, M., Collin-Vézina, D., Shlonsky, A. et Sinha, V. (2014). Family reunification for placed children in Québec: A longitudinal study. Children and Youth Services Review, 44(2), 278-287.
Garcia Quiroga, M. et Hamilton-Giachritsis, C. (2016). Attachment styles in children living in alternative care: A systematic review of the literature. Child & Youth Care Forum, 45(4), 625-653.
Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). (2020). Plus forts ensemble! Bilan des directeurs de la protection de la jeunesse / Directeurs provinciaux 2020.
Nicholls, A. et Kirkland, J. (2006). Maternal sensitivity: A review of attachment literature definitions. Early Child Development and Care, 120(1), 55-65.
Pallanca, D., Moss, E., Béliveau, M.-J. et Vandal, C. (2011). Les représentations d’attachement de mères d’accueil. Revue québécoise de psychologie, 33(2), 149-169.
Poitras, K., Tarabulsy, G. M., Hébert-Soucy, S.-A., De Serres-Lafontaine, A. et St-Pierre, A. (2016, juillet). Foster parent’s commitment: Association with family reunification perspectives and children’s contact with their birth parents. Communication présentée au 24th Biennial Meeting of the International Society for the Study of Behavioural Development (ISSBD, 2016), Vilnius, Lituanie.
Poitras, K. et Tarabulsy, G. M. (2017). Les contacts parent-enfant suite au placement en famille substitut : liens avec la stabilité du placement. Enfances, familles, générations. Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine. Repéré à : https://doi.org/va10.7202/1045033ar
Ponciano, L. (2010). Attachment in foster care: The role of maternal sensitivity, adoption, and foster mother experience. Child and Adolescent Social Work Journal, 27(2), 97-114.
Raby, K. L., Yarger, H. A., Lind, T., Fraley, R. C., Leerkes, E. et Dozier, M. (2017). Attachment states of mind among internationally adoptive and foster parents. Development and Psychopathology, 29(2), 365-378.
Verhage, M. L., Schuengel, C., Madigan, S., Pasco Fearon, R. M., Oosterman, M., Cassibba, R., Bakermans-Kranenburg, M. J. et Van IJzendoorn, M. H. (2016). Narrowing the transmission gap: A synthesis of three decades of research on intergenerational transmission of attachment. Psychological Bulletin, 142 (4), 337-366.