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Noël Champagne, psychologue à la Fondation Mira: changer des vies, un chien à la fois

Hélène de Billy | Rédactrice pigiste


Directeur de la recherche et du développement à la Fondation Mira, M. Noël Champagne a grandement élargi la mission de la célèbre école de chiens-guides. Depuis une quinzaine d’années, grâce à lui, il n’y a pas que les non-voyants et les handicapés physiques qui peuvent bénéficier d’un chien d’assistance. Enfants vivant avec un trouble du spectre de l’autisme, enfants victimes de maltraitance, victimes et témoins de crimes... Aujourd’hui, la majorité des animaux formés chez Mira accompagnent des jeunes avec un trouble d’apprentissage ou vivant une situation difficile.

« C’est fantastique, dit M. Champagne. On voit des petits miracles se produire chaque jour. Des enfants handicapés ou traumatisés qui ont développé une relation quasi symbiotique avec nos chiens et qui brisent ainsi leur isolement. »

Élevé sur une ferme, M. Champagne a conservé la bonhomie du sympathique campagnard. Détenteur d’une maîtrise en psychologie de l’Université de Montréal, il amorce sa carrière dans un centre communautaire et travaille auprès de jeunes victimes d’abus. D’abord responsable des services à l’Institut Nazareth et Louis-Braille, il est par la suite recruté par le fondateur de Mira, Éric St-Pierre, pour développer des programmes d’apprentissage destinés à des enfants aveugles de moins de 15 ans. Déjà, l’école de chiens-guides jouit d’une excellente réputation et son logo rayonne jusqu’en Europe. « Notre force a toujours été notre troupeau », affirme M. Champagne.

Chez Mira, on n’a jamais cessé de chercher à créer de nouveaux créneaux, de nouvelles races de chiens et des relations avec de nouveaux partenaires du milieu des affaires, mais aussi des milieux artistique et scientifique. L’innovation est inscrite dans l’ADN de l’organisme depuis le tout début. « Il faut comprendre que ces gens-là sont des bâtisseurs », observe François Côté, psychologue à Québec et non-voyant de naissance.

Appels de détresse

L’idée de dresser des chiens d’assistance pour les besoins des enfants autistes a germé dans la tête de M. Champagne au tournant du millénaire. « J’avais une pile de demandes sur mon bureau et, vraiment, je ne savais pas quoi faire avec ça. » Les lettres provenaient de parents en détresse dont plusieurs avaient un enfant atteint d’une maladie dégénérative ou d’un trouble envahissant du développement (TED).

À l’époque, Mira dresse ses chiens exclusivement au bénéfice des handicapés visuels et des handicapés physiques. En parcourant toutes ces lettres, Noël Champagne a un pressentiment. Il devine que la quantité de diagnostics de trouble du comportement chez les enfants et les adolescents est sur le point d’augmenter radicalement au Québec et songe que Mira aura un rôle à jouer pour assister ces jeunes et leurs familles.

Noël Champagne lance son premier programme à l’intention des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) en 2003. Pour juger de l’admissibilité des nouveaux candidats, il imagine des diagnostics maison et conçoit ses propres grilles d’évaluation de manière à mesurer l’attirance de l’enfant vis-à-vis le chien. Après avoir distribué ses premiers chiens à des enfants présentant un TSA, Noël Champagne dresse quelques observations sommaires. « Il y a des parents qui n’avaient pas dormi depuis des années. Et tout à coup, en présence du chien, l’enfant se calme et, de leur côté, ils retrouvent le sommeil. »

À partir de 2006, Noël Champagne tisse des liens avec les universités et procède à des recherches plus poussées. Au cours d’une étude menée auprès de 100 familles au sein desquelles se trouve un enfant présentant un TSA dont 50 reçoivent un chien pour accompagner l’enfant et les 50 autres n’en reçoivent pas, il obtient la confirmation que la présence de l’animal a des effets positifs pour l’enfant tant sur le plan physiologique que comportemental.

Noël Champagne ouvre ensuite la Schola, à Sainte-Madeleine, un pavillon qui offre des classes d’attribution à l’intention des parents d’enfants admis au programme. Pendant 7 jours, 24 heures sur 24, 12 participants se plongent dans une panoplie d’exercices pour apprendre à bien interagir avec le chien au moment d’en prendre possession. Ils deviennent alors des maîtres-chiens.

Le génie de Noël Champagne est d’abord d’avoir utilisé le savoir-faire développé par Mira pendant 30 ans pour diversifier le potentiel de son cheptel de manière à créer un troupeau de toutous antistress hyper performants, adaptés, entre autres, aux besoins des enfants présentant un TSA. « À la base, dit-il, l’idée reste la même : on veut favoriser l’autonomie de personnes victimes d’un handicap, d’une agression ou d’un choc post-traumatique. »

La présence rassurante du « meilleur ami de l’homme »

Il en coûte 30 000 dollars à Mira pour dresser un chien, de la pouponnière jusqu’à son placement. Chaque année, plus de 200 chiens, des Labernois en majorité, sont remis gratuitement à de nouveaux bénéficiaires. La moitié vont à des jeunes présentant des difficultés sur les plans de la socialisation, des chocs émotifs ou des traumatismes.

Sensibles et habitués à réagir à la moindre inquiétude manifestée par le jeune, les chiens constituent des alliés de taille. « Le chien aide à dédramatiser, dit M. Champagne. Il incite parfois les jeunes victimes d’actes criminels à parler. » Enseignants, juges, pédopsychiatres, organismes communautaires, policiers : au Québec, plusieurs intervenants sociaux rêvent désormais de se doter d’un chien Mira.

La Fondation Mira a maintenant un chien attaché à la Maison du Père, qui œuvre auprès des sans-abris, un autre qui se rend régulièrement dans les bureaux du Centre jeunesse de la Montérégie, un troisième qui accompagne les jeunes contrevenants devant le juge, un quatrième qui les suit en classe de réadaptation. Et la liste s’allonge. « Jusqu’ici, mes chiens évoluaient presque systématiquement dans un milieu familial, dit M. Champagne. Mais je dispose à présent des données probantes nécessaires pour les lancer dans de nouveaux environnements. »

Les performances de ces super chiens font régulièrement la manchette et les médias n’hésitent pas à recevoir un toutou en studio (avec son maître). Nana, Kwanza, Tolkien, Argon : ces chiens deviennent des stars du moment qu’un projecteur se braque sur eux. Étant donné que Mira ne dispose d’aucune subvention publique, les chiens sont également utilisés lors des nombreuses campagnes de financement de l’organisme. En novembre dernier, avec le comédien Stéphane Rousseau comme porte-parole, la « Journée qui a du chien » a recueilli 483 000 dollars.

Les nombreux bienfaits encore inexplorés de l’espèce canine

Fin 2018, Noël Champagne déborde de projets et d’idées. Il a bien eu l’intention de prendre sa retraite à un moment donné, mais les dernières années à la Fondation ont été tellement emballantes qu’il n’y songe plus. « Je dispose de chiens exceptionnels, j’obtiens de bons résultats et je profite de contacts avec de très bons chercheurs. Je ne peux pas demander mieux. »

Si l’apport du chien a toujours été reconnu pour soulager la solitude et la misère humaines, on commence seulement à cibler les bienfaits du « meilleur ami de l’homme ». « Au printemps prochain, prédit le psychologue, je serai en mesure d’établir quel chien parmi mon troupeau s’avère le plus efficace pour répondre à tel ou tel trouble du spectre de l’autisme. »

Féru de recherche, M. Champagne est à l’affût de scientifiques chevronnés qui l’aideront à valider les nouvelles applications thérapeutiques auxquelles il songe. À l’automne 2018, il a obtenu du directeur du Programme de recherche sur le vieillissement de l’Institut Douglas qu’il s’associe avec Mira pour une étude importante. En janvier 2019, la Fondation Mira livrera donc sept chiens au Dr Judes Poirier, professeur titulaire au Département de psychiatrie et de médecine à l’Université McGill et pionnier de la recherche biomédicale sur les causes et les traitements de la maladie d’Alzheimer. Il étudiera l’effet de la présence canine sur l’autonomie de personnes touchées par cette condition. « Il sera passionnant d’analyser le pouvoir de nos chiens sur le bien-être des gens touchés par cette maladie. Tout ça promet d’être fascinant », conclut avec enthousiasme M. Champagne.



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Hélène de Billy | Rédactrice pigiste