Monique Brillon : rayonner jusqu’à l’Empire du Milieu
Hélène de Billy, journaliste et écrivaine
Photo : Louis-Étienne Doré
Titulaire d’un doctorat en psychologie, Monique Brillon a connu une brillante carrière, notamment en pratiquant la psychothérapie d’orientation psychanalytique pendant près de 40 ans auprès d’enfants et d’adultes. Formidable vulgarisatrice, elle est reconnue pour ses formations lumineuses sur les questions touchant le psychosomatique et les questions d’identité. Rédigés dans un langage accessible et parsemés d’exemples de la vie courante, les six livres de psychologie qu’elle a signés ont reçu un accueil enthousiaste ici et ailleurs. Ses champs d’intérêt les plus récents portent sur l’alliance thérapeutique et le virage intersubjectif en psychanalyse.
Peu de temps avant Noël, Monique Brillon a reçu chez elle, à Cap-Rouge, quelques exemplaires de son dernier ouvrage traduit en chinois. Publié en 2018 par les Éditions de l’Homme, Changer avec la psychothérapie est maintenant disponible dans l’Empire du Milieu. Si la nouvelle l’a réjouie, c’est surtout parce que ce « livre-testament » contient tout ce en quoi elle croit. On y trouve, dit-elle, tout ce qu’elle a appris en carrière. Aussi considère-t-elle cet essai sur la responsabilité du thérapeute comme son héritage, « le legs que je tends à mes collègues », suggère-t-elle.
« Pour le patient, c’est notre personne qui compte le plus »
S’appuyant sur sa longue expérience clinique et sur les plus récents résultats de recherches tant en neurosciences qu’en psychologie, Monique Brillon a fait du virage intersubjectif en psychanalyse son dernier cheval de bataille. Elle est en effet plus que jamais convaincue que le changement chez le client se produit dans et par la relation avec le psychothérapeute, et que celui-ci y joue un rôle déterminant, souvent à son insu.
À l’heure des bilans, Monique Brillon aime rappeler pourquoi elle en est venue à privilégier l’intersubjectivité en psychothérapie. Dans une conférence prononcée en juin 2018 à Québec, elle a répété à quel point elle est convaincue que c’est la personne du thérapeute qui compte, davantage que son approche professionnelle. Elle a précisé : « Si les théories et techniques conservent leur importance pour nous, pour le client, c’est notre personne qui compte le plus. » Ce besoin de rencontrer « une vraie personne », sensible à son vécu, fait partie des exigences que le patient devrait avoir. Quant au psy, il doit trouver la bonne distance. « La relation thérapeutique est une relation professionnelle, pas amicale. Pourtant aucune autre relation n’invite à une aussi grande intimité. Trouver la bonne distance demeure un défi. »
Aux psychologues en début de carrière, elle adresse la mise en garde suivante : « Ne vous fiez pas à vos années d’études universitaires pour vous imaginer que vous avez tout compris. Approfondissez vos connaissances. Il faut faire un travail sur soi et lire, lire, lire! Et pas uniquement les textes obligatoires dans vos formations! Quand on ne lit pas, il n’y a aucune réflexion possible. »
Trouver sa voie
Née à La Prairie dans une famille de 10 enfants, Monique Brillon a passé presque toute sa vie professionnelle à Québec. Elle a 16 ans lorsqu’un professeur, au secondaire, lui recommande, ainsi qu’à ses camarades, la lecture d’un ouvrage intitulé Les prodigieuses victoires de la psychologie moderne, publié chez Marabout. Signé par le psychothérapeute belge Pierre Daco, l’ouvrage étudie le rôle du cerveau sur nos comportements, un concept révolutionnaire alors. Mme Brillon absorbe son contenu en quelques jours et elle est conquise : « J’avais trouvé ma voie et, à partir de là, je n’ai jamais dévié. » Après avoir obtenu une maîtrise en psychologie à l’Université Laval, elle est engagée comme thérapeute pour enfants à la Cour du bien-être social (l’ancêtre de la DPJ), tribunal chargé d’entendre les causes impliquant des personnes mineures. Comme Donald Winnicot, l’un de ses maîtres à penser, elle ne rechigne pas à s’asseoir par terre avec ses petits patients. « Je sentais que j’avais une facilité avec les enfants… »
On est en 1974. Par voie de concours, elle obtient alors d’entreprendre un stage au Centre Alfred-Binet, la seule clinique de consultation et de traitements psychanalytiques pour enfants et adolescents en France. À Paris, elle renoue avec son ancien professeur à l’Université Laval, André Renaud, qui se trouve en congé sabbatique dans la Ville Lumière. Les deux complices chemineront côte à côte de façon presque continue pendant 50 ans. Psychologue et psychanalyste réputé, M. Renaud témoigne : « Travailler avec Monique était toujours un plaisir, même si parfois nous avions aussi des discussions animées et fermes sur des dimensions théoriques ou cliniques. Ce qui nous faisait avancer tous les deux. »
De réflexions en remises en question
Passionnée de clinique, Monique Brillon n’a jamais hésité à se remettre en question. À l’époque où elle donnait une formation sur les correspondances entre corps et esprit à la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal, elle avait soutenu que la direction de la Faculté faisait fausse route en baptisant son cours « Maladies psychosomatiques ». « Je ne crois pas aux maladies psychosomatiques, dit-elle, car cela suppose qu’il y a des maladies psychosomatiques et d’autres qui n’en sont pas. À mon avis, c’est l’être humain qui est psychosomatique. Les pensées influent sur notre physique sans arrêt, et cela se répercute dans notre corps. »
Pour approfondir ses connaissances, elle s’est toujours tournée vers les autres (et elle inclut dans ces « autres » ses patients). Parmi les penseurs qui l’ont influencée particulièrement, elle cite le pédopsychologue Daniel Stern, dont le dernier ouvrage, Psychothérapie et neurosciences : une nouvelle alliance (Fabert, 2011), ouvre la porte sur l’avenir. « Les observations de Stern m’ont aidée à revisiter les souvenirs que je garde de mes propres démarches en tant que patiente (en analyse) et à porter sur elles un autre regard. Qu’est-ce qui, dans ces démarches, a contribué à me changer? Qu’est-ce qui a pu retarder ou nuire à mon changement? Pourquoi ai-je parfois eu le sentiment persistant qu’il ne se passait rien dans ma psychothérapie? »
L’écriture comme prolongement de la quête intérieure
Reconnue pour la qualité de ses formations, son écoute, son emprise sur la vie réelle, Mme Brillon s’est affirmée comme une enseignante exceptionnelle. Que ce soit en atelier ponctuel, dans les séminaires thématiques reconduits avec le même groupe d’année en année, en conférence, lors de supervisions ou encore au congrès de l’Ordre, elle s’est toujours donnée à 100 % à sa tâche. Toutes ses salles sont pleines. « Les 300 places s’envolaient instantanément », se souvient-on.
Un jour, comme Mme Brillon exprimait sa difficulté à trouver un manuel sur la psychanalyse adapté au niveau d’une de ses classes, ses étudiants l’ont mise au défi : « Alors, écrivez-le! » Quelque temps plus tard, la psychologue Rose-Marie Charest lui a adressé à peu près le même conseil. Ce jour-là, Mme Charest revenait d’un lunch avec son éditeur et celui-ci lui avait demandé si elle connaissait quelqu’un qui pourrait écrire un essai sur la relation père-fille. « Il attend ton appel », lui aurait lancé celle qui fut présidente de l’Ordre de 1998 à 2015. « J’étais un peu saisie », reconnaît aujourd’hui Mme Brillon. Au bout d’un moment, elle parvient à surmonter ses doutes, signe son contrat et rédige assez rapidement Ces pères qui ne savent pas aimer. Ce premier ouvrage publié aux Éditions de l’Homme remporte un franc succès. Sa publication suscite beaucoup de demandes de formation, orientant de ce côté la carrière de Monique Brillon. « Un tournant », confirme-t-elle.
Elle suit des cours de création littéraire pendant six ans, et l’écriture devient un prolongement de sa quête intérieure. Son roman La fracture de l’oeil a été publié aux éditions Les Herbes rouges à l’hiver 2006. Elle a aussi publié un carnet d’écrivain. Son troisième essai en psychologie, La pensée qui soigne, a remporté le Prix des abonnés du réseau des bibliothèques de la Ville de Québec. Et son cinquième ouvrage de vulgarisation, Les émotions au coeur de la santé, publié en 2009, a été traduit en roumain et serait en voie d’être, lui aussi, traduit en chinois.
Mme Brillon a pris progressivement sa retraite pendant six ans pour cesser complètement ses activités professionnelles en décembre 2020. Elle a désormais plus de temps pour lire. Antonino Ferro et Wilfred Bion trônent sur sa table de chevet. « Les auteurs qui m’ont le plus accrochée en fin de carrière se situent dans ce registre de l’intersubjectivité. » Enfin, il y a la musique. Si elle a dû laisser tomber la guitare dernièrement à cause de problèmes d’arthrite, Monique Brillon continue de s’exercer au piano. Elle prend aussi le temps d’aller au concert (quand les salles ne sont pas fermées) et de pratiquer le yoga. Dans ses moments d’introspection, elle se dit que si elle pouvait recommencer, il y a certaines choses qu’elle ferait autrement. « On prend notre retraite quand on commence à être bon », affirme-t-elle avec un petit rire.
Lettre à la Monique d’hier
« Aujourd’hui, avec mon expérience, précise-t-elle, si j’avais un conseil à donner à la jeune Monique que je fus, je lui recommanderais d’écouter le client attentivement lorsqu’il se plaint que la thérapie ne fonctionne pas. Pourquoi? Parce que le ressenti d’une personne ne peut mentir. Même lorsque ce ressenti ne nous fait pas plaisir, cette émotion existe chez le client, et le thérapeute doit s’efforcer de ne pas la démentir. Bien souvent, notre patient a été désavoué par ses proches, et ceux-ci lui ont affirmé que ce qu’il disait ressentir était faux. Or, si nous cherchons à notre tour à lui imposer quelque chose qu’il ne ressent pas, nous répétons le traumatisme. Voilà, essentiellement, ce que dirait la Monique d’aujourd’hui à la Monique d'hier.