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Pour que l’aide aux couples et la déontologie fassent bon ménage

Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca


Les psychologues exercent une profession privilégiée : ils ont accès à l’intimité psychologique de leurs clients. Les cliniciens oeuvrant auprès de couples ont également accès à la dynamique unique, et parfois troublée, qui caractérise l’union entre deux personnes. Or, ce domaine d’activité expose les psychologues à des dilemmes déontologiques particuliers, dont certains sont présentés ci-dessous.

Situation 1 : Partenaires en psychothérapie comme en affaires

Deux conjoints, partenaires en affaires comme en amour, sont ravis de leur psychothérapie de couple. Ils considèrent que leur psychologue a sauvé non seulement leur couple, mais aussi leur entreprise de communication internet. De plus, ils ont été impressionnés par la justesse de la réflexion de ce psychologue. Ils croient fermement que ce type de réflexion doit être diffusé. Ils proposent à leur psychologue de devenir auteur d’un blogue payant sur une de leurs plateformes. Que peut répondre le psychologue ?

Il se sentira probablement très flatté par cette offre. Or, le psychologue ne peut accepter l'invitation du client à participer à sa vie professionnelle ou personnelle. De plus, qu’il se fasse offrir une rémunération ou non, un psychologue ne se sert pas de sa relation professionnelle établie avec un client à des fins personnelles ou à des fins commerciales. Donc, le psychologue devra décliner l’offre, aussi intéressante soit-elle.

Les art. 25 et 30 du Code de déontologie sont au coeur de ce questionnement.

Situation 2 : Du suivi de couple au suivi individuel

La progression en psychothérapie de couple se retrouve dans une impasse parce qu’un des deux conjoints a besoin d’un processus en psychothérapie individuelle pour traiter une situation du passé qui bloque l’avancement de la psychothérapie de couple. Le conjoint en question demande à la psychologue du couple de le suivre seul parce qu’il se sent à l’aise avec elle. Il la trouve également très compétente. Quelle sera la réponse de la psychologue?

Puisque le processus en psychothérapie de couple n’est pas terminé, la psychologue doit privilégier l’intérêt supérieur de son premier client, le couple. Elle doit donc s’assurer qu’aucune intervention ne risque d’affecter la qualité des services professionnels que le couple reçoit. Par conséquent, elle devra diriger le conjoint vers une ressource appropriée en psychothérapie individuelle. Ce faisant, elle s’assurera également de la sauvegarde de son indépendance professionnelle en évitant toute situation de conflit de rôles, voire de conflit d’intérêts. Cela lui permettra de statuer sur la reprise de la psychothérapie de couple.

De plus, elle communiquera aux membres du couple son obligation d’impartialité et la nécessité pour elle de maintenir avec eux une relation de confiance malgré l’intermède en psychothérapie individuelle du conjoint.

En effet, si la psychologue acceptait la demande de suivi individuel du conjoint, elle serait à risque de se retrouver dans une position telle qu’elle pourrait donner l’impression de préférer les intérêts de ce client au détriment de ceux du couple ou de ceux de l’autre conjoint. Cela aurait pu affecter, pour un conjoint ou l’autre, la perception de son intégrité et de sa loyauté envers eux, et briser du même coup le lien de confiance. En conséquence, la psychologue se serait possiblement retrouvée dans l’obligation de mettre fin à la psychothérapie de couple, allant ainsi à l’encontre des intérêts supérieurs du client.

Si la demande de suivi individuel est faite alors que le couple est désormais séparé, quelle sera alors la réponse de la psychologue?
La psychologue qui fait face à une telle situation doit prendre en considération les facteurs suivants : le changement de mandat, la vulnérabilité des clients, le contexte de la rupture, la probabilité de rendre de nouveau des services au couple et la position d’impartialité.

Le client initial est le couple : les deux membres du couple doivent impérativement être consultés pour modifier le mandat de la psychologue. Passer de la psychothérapie de couple à la consultation individuelle implique que le couple client ne pourra plus consulter cette psychologue par la suite.

Ainsi, la psychologue devra évaluer si un client ou les deux clients ont encore l’espoir de la « réunion du couple », surtout si le membre du couple qui veut entreprendre une thérapie individuelle entretient l’espoir de rétablir, par sa démarche, sa relation avec son ex-partenaire. La vulnérabilité des clients et l’intensité du conflit aideront la psychologue à déterminer s’il est dans l’intérêt des clients que le suivi individuel soit assuré par un autre psychologue ou par elle.

La psychologue aura pris soin de lire les art. 5, 7, 13, 23, 28, 31, 32, 33, 35, 36, 40 et 41 du Code de déontologie avant de donner sa réponse.

Situation 3 : Accès ou transmission litigieuse

Une psychologue reçoit un courriel d’une ancienne cliente ayant consulté en psychothérapie de couple. Cette cliente demande l’accès à une copie du dossier du couple, incluant les données brutes, pour en faire une analyse détaillée et pour le transmettre à son avocate. Comment devra agir la psychologue dans une telle situation?

La psychologue doit tenir compte des trois principes suivants lorsqu’elle reçoit une telle demande :

  1. le droit d’accès au dossier du couple;
  2. le droit au secret professionnel pour chaque membre du couple;
  3. la transmission des données brutes.

1) Le droit d’accès au dossier du couple
Dans les 30 jours suivant la réception d’une demande écrite d’obtenir un dossier, la psychologue doit donner accès à une copie du dossier du couple à la cliente qui en a fait la demande. La cliente a droit aux notes, aux communications dont elle a été témoin, actrice ou signataire. Cela inclut les notes des rencontres où les deux membres du couple étaient présents. La psychologue aura pris soin, avant de faire la copie des documents, de retirer tout renseignement qui pourrait nuire à la santé physique ou mentale de la cliente ou du client si cela est nécessaire.

Évidemment, la psychologue peut exiger de la cliente des frais raisonnables, n’excédant pas le coût de la reproduction ou de la transcription de ces documents et le coût de la transmission d’une copie de ceux-ci. Elle informe la cliente du montant approximatif de ces frais, le cas échéant. Elle ne peut pas facturer d’honoraires à cette fin.

2) Le droit au secret professionnel pour chaque membre du couple
Par contre, la psychologue veillera à retirer de ce dossier tout document produit par le conjoint et toute note ou toute communication qui aurait été faite à l’insu de la cliente-demanderesse. La cliente pourrait avoir le droit de consulter ces documents, mais seulement si le conjoint consent à la transmission de ces documents.

3) La transmission des données brutes
Finalement, la psychologue ne remet ni à la cliente ni à l’avocate les données brutes et non interprétées ayant trait à une évaluation ou inhérentes à une consultation psychologique. Rappelons que les données brutes ne doivent être transmises qu’entre psychologues, avec l’autorisation du client. L’objectif de cette mesure est de ne pas compromettre la valeur méthodologique et métrologique du matériel psychologique.

Les art. 11, 15, 16, 20, 23, 49 et 50 du Code de déontologie doivent impérativement être consultés pour répondre à cette question.

En conclusion

Les services offerts à des couples comportent des enjeux délicats sur les aspects de l’accès au dossier, du consentement, de l’impartialité, du changement de rôle et de la confidentialité. Les psychologues offrant ce type de services ont tout intérêt à consulter le Code de déontologie et à bien cerner les enjeux avant de donner une réponse à une requête provenant de l’un ou l’autre des membres du couple, ou de leur représentant.

Bibliographie

  • Gouvernement du Québec. Code de déontologie des psychologues. L.R.Q., chapitre C-26, r-212.