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Pour une pratique scientifique et réflexive : jamais l’un sans l’autre!

Christine Grou, psychologue | Présidente de l'Ordre des psychologues du Québec 


 

Chers collègues,
En décembre 2015, soit six mois après mon élection, je recevais une lettre ouverte dont copie était acheminée à plusieurs associations, sociétés ou communautés de pratiques psychanalytiques ou dites « relationnelles ». Quelques représentants de ces associations ou sociétés m’ont écrit par la suite pour me signifier leur appui à la lettre ouverte qu’ils avaient reçue en copie conforme. J’ai porté cette lettre ouverte à l’attention du comité exécutif et du conseil d’administration de l’Ordre afin que les instances responsables de ses orientations politiques en soient bien informées.
 

Le contenu de la lettre portait à mon attention une préoccupation concernant notamment le ton qui se dégage de la revue Psychologie Québec, où il est fait mention que les textes doivent être documentés, appuyés sur des connaissances scientifiques et traiter de psychologie. L’idéologie qui sous-tend ici la politique éditoriale se fonde sur le désir de ne pas inclure des opinions ou conclusions basées exclusivement sur une subjectivité non examinée et non réfléchie. Je peux personnellement rassurer les lecteurs sur le fait que l’Ordre appuie et encourage la pensée réflexive, l’analyse et le jugement critique qui sont fondés sur des processus de pensée sains et constructifs.

Dans un deuxième temps, on soulignait que l’éthique n’est pas une affaire de code et que dans un système humain, plus il y a de règles, moins il y a d’éthique. Ici, je souligne ce que j’ai enseigné à de nombreuses reprises, à savoir que c’est sans conteste la réflexion éthique qui constitue la fondation indispensable à l’édification de paramètres et de balises. Dans le système professionnel actuel, qui en est un juridico-politique et qui demeure au Québec un incontournable, ces balises sont en effet codifiées (en code de déontologie par exemple), comme c’est le cas dans toutes les institutions publiques du domaine de la santé qui doivent, de par la loi, se doter de « codes » d’éthique, l’appellation pouvant paraître en soi antinomique. Cette édification de balises qui fait suite à la réflexion permet de ne pas sombrer dans un arbitraire trop large pour chacun, et devient par conséquent un facteur de protection pour nous tous et particulièrement pour le public que nous servons. Comme l’éthique est un processus dynamique, l’application de balises et de paramètres dans la réalité des pratiques (psychologiques en l’occurrence) nous renvoie souvent à la réflexion. À titre d’exemple, dans le domaine médical, le respect sacré de la vie a progressivement fait place à un élargissement de valeurs incluant aussi la qualité de la vie. Parallèlement, les moyens technoscientifiques se sont développés de façon à prolonger la vie. Le tout a appelé à modifier les balises et les règles (énoncées dans une loi) sur le droit de mourir dans la dignité. Par cette démonstration, je souhaite ici faire état de ma compréhension de l’éthique, processus de réflexion dynamique qui ne se résume pas en codification de ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, mais qui est plutôt la réflexion qui précède et qui accompagne l’édification des balises nécessaires à l’encadrement d’une communauté et d’une diversité de pratiques professionnelles.

Dans un troisième temps, on revient sur le souci d’une objectivité scientifique et sur les données probantes. Les données probantes ne sont pas synonymes d’objectivité, de démarche scientifique ni de rigueur intellectuelle. D’abord, les données probantes sont le fruit d’un type de démarche scientifique, généralement quantitative et hypothético-déductive. Elles sont générées par des questions de recherches précises, comportant des hypothèses de départ, dont la démonstration permet leur publication, et qui font l’objet d’une méthodologie qui nécessite un protocole généralisé à un ensemble de sujets chez lesquels on veut mesurer l’évolution de variables précises au départ. Dans la littérature scientifique, on relève plusieurs risques d’inconduite scientifique à ne considérer que les seules données probantes, soit le biais d’allégeance des chercheurs, le biais de sélection des sujets de recherche (les critères d’inclusion étant souvent restrictifs), les méthodologies qui ne permettent pas toujours de tirer les conclusions qui s’en dégagent, les limites de la portée des recherches (rarement longitudinales, par exemple), ou encore le fait que les pratiques basées sur les seules données probantes ne permettraient jamais l’innovation, puisque par définition les pratiques novatrices émergent avant que les données ne soient générées. Par ailleurs, les données probantes permettent aussi de choisir une intervention qui a fait l’objet de la démonstration. Lorsqu’on choisit un traitement chirurgical ou pharmaceutique, on privilégie celui qui a fait ses preuves. On dit souvent que la santé mentale devrait être traitée de la même manière que la santé physique, alors nul ne peut demeurer crédible auprès d’un gouvernement en discréditant ces données qui nous sont précieuses dans la démonstration et qui ne sont nullement restrictives quand on est en mesure de bien en comprendre la portée et de bien en documenter les limites. Ainsi, la réflexion critique qui comprend la science dans son contexte global demeure indispensable à l’ensemble des pratiques psychologiques.

Si les données probantes peuvent faire l’objet d’une analyse critique, elles servent aussi fort bien la cause du public. Elles ont permis notamment en cours d’année, pour ne donner qu’un seul exemple, de démontrer l’efficacité de la psychothérapie et son excellent rapport coût-efficacité dans le premier volet du rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux.

Aussi, le souci d’objectivité, la démarche scientifique et la rigueur intellectuelle peuvent très bien avoir libre cours en dehors d’une démarche issue des seules données probantes. Inversement, une approche issue de telles données n’est pas garante de rigueur et d’objectivité.

Finalement, j’aimerais partager avec vous ma position en regard de ce que je perçois comme un rationnel clivé qui opposerait les approches scientifiques aux approches relationnelles. J’ai peine à concevoir, et j’espère qu’il n’en sera jamais ainsi, une pratique psychologique exempte de l’importance de la relation, du climat, des éléments transférentiels et contre-transférentiels, de l’intersubjectivité, de l’intrapsychique. J’ai peine à croire qu’on pourrait penser que ce qui ne se mesure pas ne saurait être considéré, que ce qui ne se quantifie pas n’importe pas, ou que ce qui est trop complexe se voie nié ou banni. La complexité est l’apanage de la science et du savoir, la considération de ce qui peut échapper à la mesure ou au contrôle est celui de la sagesse. Je terminerai en citant, comme je l’ai fait plusieurs fois dans le réseau, une phrase de l’un des plus grands esprits scientifiques de notre ère : « Tout ce qui compte ne peut être compté, et tout ce qui peut se compter ne compte pas » (Albert Einstein). J’affectionne cette phrase qui nous vient d’un homme ayant passé sa vie à compter, au grand profit de l’humanité. Nous avons tous appris à compter et sommes tous heureux d’avoir pu l’apprendre, parce que nous comptons tous quotidiennement quelque chose. Sur la position non restrictive de l’Ordre au regard de ce qui se compte et de ce qui compte, je pense que vous pouvez compter sur notre réflexion et notre sens critique. Cette réflexion implique pour moi de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, d’éviter de trancher, justement sans la nuance de l’esprit critique et éclairé que nous souhaitons tous, entre le « tout bon » et le « tout mauvais ». Du côté de l’Ordre, nous allons continuer de défendre nos différentes approches pour le plus grand intérêt du public et soutenir qu’en chaque psychologue devraient se conjuguer les savoirs et intérêts du savant, du praticien, du penseur, de l’éthicien.

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