Agrégateur de contenus

Premières Nations : respect, confiance et rigueur déontologique

Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca


L’intervention d’un psychologue ne fait pas nécessairement partie de la tradition des soins et des services des communautés formées de citoyens des Premières Nations. À ce premier défi s’ajoute le fait que, dans les communautés plus petites, la plupart des membres – et donc de possibles clients – se connaissent entre eux à différents degrés et que le professionnel peut être appelé à résider aussi au sein du groupe. Ces éléments soulèvent des considérations déontologiques, lesquelles seront brièvement développées dans le présent texte.

L’établissement de la relation de confiance

Le psychologue, qu’il réside ou non dans la communauté, doit s’assurer d’être accueillant tout en refusant de s’immiscer dans la vie privée de tous ses clients (art. 25, Code de déontologie des psychologues). Ainsi, il doit établir, dès le moment du consentement libre et éclairé, la distance professionnelle nécessaire au maintien d’une intervention de qualité et l’assurance du secret professionnel le plus strict possible (en excluant les situations d’imminence de danger pour soi ou pour autrui, évidemment). En général, cette rigueur déontologique est appréciée des clients et facilite le lien de confiance.

Cependant, l’établissement de la relation de confiance auprès de ces communautés est un défi des plus complexes, car, pour accorder leur confiance, certains membres d’une communauté ont besoin de mieux connaître le professionnel, de s’assurer que la personne est digne de cette confiance. Dans certains cas, un dosage de dévoilement de soi pourrait être opportun afin de rendre possible la relation de confiance mutuelle nécessaire à l’établissement de l’alliance de travail (art. 41 du Code de déontologie). Il faut comprendre le cadre historique et culturel de ces communautés pour comprendre certaines réticences à s’ouvrir réellement à un étranger sur des thèmes qui sont intimes.

Tenir compte du contexte du client

Pour offrir un service de qualité qui correspond réellement aux besoins du client issu des communautés des Premières Nations, le psychologue doit nécessairement tenir compte du contexte culturel lorsqu’il offre ses services professionnels. L’évaluation d’un enfant issu des Premières Nations pourrait ne pas être tout à fait conforme aux standards de population régulièrement utilisés pour la validation des tests. Le psychologue doit en tenir compte (art. 48 du Code de déontologie). Dans ces circonstances, le psychologue pourrait s’appuyer davantage sur les données recueillies en entrevue clinique (observations, autodescription, jeux adaptés au contexte traditionnel ou culturel, etc.) et mettre en perspective les résultats obtenus dans les tests en fonction de l’ensemble des données cliniques.

L’indépendance professionnelle

Il arrive qu’il n’y ait qu’un psychologue pour l’ensemble de la communauté. Il se peut que le psychologue ait à traiter avec des membres de la fratrie, de la parenté, des voisins et même avec des membres du conseil de bande qui l’emploient. Dans ces circonstances, le psychologue veillera dès le début de son mandat à définir des balises claires afin de s’offrir la latitude nécessaire pour intervenir avec toute l’indépendance professionnelle possible. Il veillera à informer les clients de ses obligations professionnelles et des mesures qu’il prend pour assurer cette indépendance pour tous ses clients. Lorsque le psychologue constate qu’il se trouve – ou risque de se trouver – en situation de conflit d’intérêts, il définit la nature et le sens de ses obligations et de ses responsabilités, il en informe son client et il convient avec celui-ci, le cas échéant, des mesures appropriées (art. 32 du Code de déontologie).

Voici un exemple de situation de conflit d’intérêts potentiel nécessitant l’établissement de mesures particulières : une jeune fille de plus de 14 ans demande des consultations psychologiques. Le psychologue prend le temps de vérifier si, à sa connaissance, la jeune fille pense que quelqu’un de sa famille ou de ses proches le consulte. Elle affirme que sa mère le consulte. À ce moment, le psychologue pourrait la questionner sur la présence, ou non, d’objections à recevoir le service. Le psychologue pourrait également établir un cadre clair pour que son travail puisse se faire en toute indépendance. Par exemple, il pourrait clarifier qu’il ne commentera jamais le comportement que sa jeune cliente rapporte de sa mère et, donc, centrer l’intervention sur sa seule contribution.

L’intérêt supérieur du client

23. Le psychologue subordonne son intérêt personnel ou, le cas échéant, celui de son employeur ou de ses collègues de travail à l’intérêt de ses clients. (Code de déontologie des psychologues)

Cet article peut être lu de deux façons : en zone urbaine, dans une région où il y a une offre considérable de services de psychologues, deux membres d’une même famille peuvent aisément rencontrer deux psychologues différents. Ces clients recevront des services avec toute l’indépendance professionnelle requise et avec l’assurance du secret professionnel.

S’il n’y a qu’un psychologue pour desservir la communauté, l’intérêt supérieur du client est de recevoir un service professionnel. Puisqu’il est impossible d’offrir le meilleur service possible (des psychologues différents pour les différents membres de la famille), le psychologue pourrait appliquer le principe du moindre mal. Ainsi, entre n’offrir aucun service, ce qui pourrait nuire au client, et offrir un service malgré la situation de conflit d’intérêts, il cherchera à aménager un service qui sera acceptable malgré une situation imparfaite.

Par contre, s’il est impossible d’offrir un service de qualité, le psychologue veillera à ce que le service puisse être modifié, adapté et offert par un autre professionnel qui interviendra en respectant son champ de compétence… s’il en existe sur le territoire. Dans le pire des cas, le psychologue pourrait recommander de consulter à l’extérieur du territoire si les ressources le permettent.

Le défi du psychologue résidant au sein de la communauté

Le psychologue qui réside au sein de la communauté fait face à un défi de taille : garder sa posture professionnelle tout en manifestant de l’intérêt pour la communauté d’accueil. Un des pièges à éviter est de devenir l’ami de son client. Cette frontière ne devrait jamais être franchie. Il peut établir avec le client que celui-ci pourrait le saluer, avoir des rapports cordiaux, mais jamais de l’ordre de l’amitié (art. 26 du Code de déontologie). Le psychologue pourrait refuser tout cadeau ayant un aspect personnel (produit de la chasse, de la pêche) afin de ne pas se sentir lié personnellement à ses clients (art. 34 du Code de déontologie).

Il évitera de participer à des parties de chasse et de pêche avec ses clients (art. 25, 30 et 34 du Code de déontologie). Cela n’empêche pas le psychologue de participer à des parties de chasse ou de pêche. Il pourrait accepter d’y être initié par d’autres personnes que ses propres clients. Bref, le psychologue utilisera son jugement professionnel à l’égard de toute invitation à prendre part à un événement communautaire afin que sa participation soit perçue comme un geste de respect envers la communauté et non comme un geste invasif dans la vie privée des membres qui le consultent.

En conclusion

Le dialogue entre le psychologue et la communauté permet d’élaborer un cadre d’intervention qui respecte les traditions et la rigueur déontologique à la fois. Cela nécessite une réflexion pour trouver les bons accommodements. La relation de confiance qui s’établira entre le psychologue et la communauté permettra à cette dernière d’avoir accès à des services de qualité, à des professionnels qui ont à cœur d’offrir le meilleur service possible en vertu des circonstances.

Bibliographie

Gouvernement du Québec. Code de déontologie des psychologues (C-26, r. 212).