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Prévenir le suicide : la vocation de Brian Mishara

Hélène de Billy | Rédactrice pigiste


À la fin des années 1990, études à l’appui, Brian Mishara, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) est parvenu à convaincre les gouvernements de l’efficacité des lignes téléphoniques dans la prévention du suicide. Vingt ans plus tard, le fondateur de Suicide Action Montréal souligne l’urgence de se doter d’une stratégie numérique pour mieux repérer les signes de détresse sur le Web.

Grand timonier de la prévention du suicide au Québec, le professeur Brian Mishara attribue sa vocation au hasard.

Cela se passait quelque temps après son arrivée au Québec en 1979. Titulaire d’un doctorat de l’université Wayne, au Michigan, le jeune Américain enseignait la psychologie du vieillissement et de la mort à l’UQAM lorsque l’un de ses étudiants l’a invité à une rencontre en vue de créer un centre de prévention du suicide à Montréal.

À l’époque, les tabous sont tenaces et le ministère de la Santé refuse d’envisager quelque solution en dehors d’une approche strictement médicale du problème. Mishara prend la tête de Suicide Action Montréal. Il procède à des évaluations de programmes, il propose des modèles théoriques d’intervention basés sur une approche communautaire et il parvient finalement à convaincre le gouvernement d’investir dans la prévention.

Très vite, les statistiques lui donnent raison. Quand il fonde le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE) à l’UQAM en 1996, sa réputation n’est plus à faire dans les milieux concernés.

« Je ne cherche pas à comprendre pourquoi quelqu’un s’est suicidé, articule avec lenteur l’expert mondial. Ce qui m’intéresse, ce sont les stratégies des personnes à risque qui passent à travers les crises, se déclarent heureuses et sont bien dans leur peau. »

Au département de psychologie de l’UQAM, son collègue Réal Labelle ne cache pas son admiration pour son mentor. « Brian, c’est le genre de chercheur qui, tout en rayonnant à l’étranger, agit localement. À l’Organisation mondiale de la santé, où il a siégé quelques années, il est considéré comme une sommité. Ici, on ne peut se passer de lui. »

Prévention du suicide en ligne

Parmi les nombreuses priorités à son agenda en 2017, on trouve la prévention du suicide sur le Web, un domaine où le Québec accuse du retard.

L’Association québécoise de prévention du suicide (dont il est l’un des fondateurs) lui a demandé de participer à un comité. « Nous allons développer une politique, car il est urgent de développer une stratégie numérique pour intervenir là où se trouvent les personnes vulnérables. »

Contrairement à ce qu’on croyait, a constaté le chercheur, les jeunes se confient davantage par texte que par téléphone. Sur le Web ou par messagerie, dit encore Brian Mishara « ça peut se résumer par un message du genre “je ne file pas” ou se décliner avec ces mots : “Je suis sur le pont. Je vais sauter.” »

Les jeunes parlent de moins en moins au téléphone et leurs habitudes ne sont plus ce qu’elles étaient. « Il faut donc être présent sur les réseaux sociaux, dans les forums de discussion, au moyen d’applications pour investir la planète numérique. »

Et que pense-t-il de la série 13 Reasons Why – 13 raisons en français – diffusée sur Netflix, à propos du suicide d’une adolescente qui laisse derrière elle des cassettes audio pour expliquer son geste. « Épouvantable », coupe-t-il. Il déplore entre autres le « mauvais message » que la série envoie et se désole que le seul adulte vers qui la victime se tourne se plante royalement dans son intervention.

Du pont Jacques-Cartier à la salle de classe

Études, évaluations, surveillance, participations à des comités : avec une constance remarquable depuis le début de sa carrière, Brian Mishara a changé la donne en matière de suicide dans ce pays.

Plus de 10 ans après l’installation de barrières antisuicides sur le pont Jacques-Cartier, les résultats de ses travaux demeurent tangibles. « On a sauvé de 15 à 17 vies par année », calcule-t-il.

L’étude qu’il a pilotée sur les comportements suicidaires dans métro entre 2010 et 2013 a provoqué le même genre de progrès : le nombre de tentatives de suicide a diminué. Chez les policiers de la Ville de Montréal, le type d’action proposé par Mishara et son équipe a entraîné une diminution de 78 % des pertes de vie par suicide.

Brian Mishara est particulièrement fier des études menées par le CRISE sur l’impact des interventions téléphoniques dans les centres de crise à travers les États-Unis. « Le gouvernement américain nous a confié la tâche d’évaluer les réactions des intervenants et des appelants. Nos chercheurs ont écouté 2604 appels en direct. »

À partir de cette étude, le CRISE a établi que l’écoute active s’avère inefficace dans une situation de crise. « Il faut privilégier une approche collaborative centrée sur la solution des problèmes », confirme le professeur Mishara.

Il aimerait également parler des formations de bénévoles qu’il a dirigées en Afrique et au Moyen-Orient. Et aussi des subventions qu’il a obtenues du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) pour implanter des programmes de promotion de la santé mentale auprès des jeunes en milieu scolaire au Québec. Il a commencé à évaluer l’impact de ces programmes ludiques et à voir les bienfaits que ceux-ci ont entraînés sur le bien-être émotionnel des enfants (à partir de 4 ans) et sur leur santé mentale.

Le professeur insiste : il n’est pas le seul responsable de ces initiatives novatrices, dont il tient à partager le mérite avec les équipes de chercheurs qui gravitent autour de lui. « Je fais trop de choses », concède-t-il.

Changement de cap

En matière de prévention du suicide, Brian Mishara s’intéresse également aux problèmes de récidive et à l’accueil fait aux gens en détresse dans le réseau de santé public .

Comment traite-t-on une adolescente qui aboutit dans une salle d’urgence après une tentative de suicide? Dans quelle mesure a-t-elle droit à un suivi psychologique? Et dans quels délais pourra-t-elle compter sur des services adéquats? « Il est évident qu’on peut faire plus pour prévenir la récidive », déclare le chercheur.

Pour étayer ses conclusions, il cite une enquête toute récente menée par le CRISE dans une quinzaine d’hôpitaux montréalais auprès de 502 personnes qui venaient d’être admises à l’urgence à la suite d’une tentative de suicide. « Les gens étaient mécontents de l’aide professionnelle reçue. Ils n’ont pas l’impression d’avoir le soutien de leur entourage ou l’accès à l’aide adéquate. »

En prévention du suicide, rappelle-t-il, ce sont les bénévoles qui obtiennent les meilleurs résultats. Un facteur dont plusieurs pays tiennent compte, mais pas le Québec. « Dans certaines régions (et non à Montréal), on a tendance à remettre les services téléphoniques dans les mains des professionnels, ce qui est déplorable. »

Rappelons que chaque jour trois personnes s’enlèvent la vie au Québec.



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Hélène de Billy | Rédactrice pigiste