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Prévention du déclin cognitif et réduction du risque de démence : des nouvelles de la recherche

Aline Moussard | Psychologue

Neuropsychologue et gestionnaire de projet au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, elle étudie différentes approches préventives visant à réduire le déclin cognitif et le risque de démence associés au vieillissement.


La démence, une fatalité?

L’allongement de l’espérance de vie dans les sociétés modernes s’est accompagné d’un nouveau concept qui est aussi un défi : celui du « vieillissement optimal ». Nous savons maintenant comment vivre plus longtemps, mais savons-nous comment vivre plus longtemps en santé? L’âge est, de fait, le facteur de risque principal pour le développement de maladies neurodégénératives, ou démences, dont la maladie d’Alzheimer est la plus courante. Les démences s’accompagnent d’un déclin cognitif qui mène progressivement à une perte d’autonomie; cela représente un fardeau émotionnel et financier considérable pour les personnes atteintes, leurs proches et la société. Les traitements pharmacologiques actuels étant peu concluants, les prévisions pour le futur sont particulièrement alarmantes : à l’échelle mondiale, on prévoit 75 millions de cas de démence en 2030, et 132 millions en 2050; cela équivaut à un nouveau cas toutes les trois secondes, et représentera un coût de 2 000 milliards de dollars américains en 2030 (Organisation mondiale de la santé, 2017).

Pourtant, toutes les personnes âgées ne sont pas atteintes de démence. En fait, on observe des différences interindividuelles considérables dans la manière dont le vieillissement affecte le cerveau et les fonctions cognitives. Aussi, parmi les personnes qui développent une démence, non seulement l’âge à l’apparition des lésions cérébrales est très variable, mais les recherches ont également permis d’observer qu’à degré de sévérité de lésions égal, certaines personnes restent beaucoup plus fonctionnelles que d’autres sur le plan comportemental. Ainsi, certaines démences peuvent même rester « muettes », ou asymptomatiques : leur diagnostic n’est effectué qu’après le décès, sur la base de biomarqueurs (dépôts amyloïdes ou protéine tau), sans que la personne atteinte ait été significativement affectée dans son fonctionnement de tous les jours. Il semble donc que certains facteurs modèrent le risque de démence ou permettent d’en retarder l’apparition ou l’expression.

Les concepts de réserve cérébrale et de réserve cognitive

Cette forme de résistance (ou de résilience) a été conceptualisée sous le terme général de réserve au début des années 2000 et est aujourd’hui considérée comme agissant sur deux plans (Stern et al., 2018; Cabeza et al., 2018) :

  1. sur le plan structurel, en garantissant un bon « capital neurobiologique » (le nombre de neurones, de synapses, et d’autres caractéristiques structurelles d’un cerveau en santé), et ce, soit en offrant un plus gros capital au départ (c’est-à-dire qu’on peut en perdre plus avant d’atteindre un seuil où le fonctionnement est affecté; il s’agit de la réserve cérébrale, ou brain reserve), soit en contribuant à une meilleure préservation de ce capital (c’est-à-dire qu’on en perd peu, ou, en tout cas, moins que la moyenne; il s’agit alors de la préservation cérébrale, ou brain maintenance);
  2. sur le plan fonctionnel, en permettant une forme d’adaptabilité ou de flexibilité pour une utilisation optimale des réseaux neuronaux disponibles, qui vont pouvoir s’ajuster spontanément pour continuer à effectuer des tâches cognitives même malgré une diminution ou une altération du capital structurel (appelé réserve cognitive, ou cognitive reserve; voir aussi le concept de compensation).

Quel contrôle a-t-on sur cette réserve?

Parmi les facteurs qui modulent ainsi les dommages cérébraux liés au vieillissement, ou la relation entre ces dommages et le fonctionnement cognitif (leur expression clinique), certains sont innés et ne peuvent être modifiés. C’est le cas de certains aspects structuraux (comme le volume cérébral), ou du bagage génétique, tel que le génotype apolipoprotéine E ε4 (APOE4), qui augmenterait les chances de développer la maladie d’Alzheimer (Michaelson, 2014).

Toutefois, il existe de nombreux facteurs influençant la réserve qui semblent se rapporter à notre mode de vie et sur lesquels nous avons donc un certain contrôle (Barnes et Yaffe, 2011; Beydoun et al., 2014; Livingston et al., 2017). On estime que de 21 à 35 % des cas d’Alzheimer sont attribuables à des facteurs environnementaux, ce qui veut dire qu’environ un cas sur trois pourrait être évité si on agissait sur ces facteurs. De plus, les bénéfices issus du contrôle de certains de ces facteurs sont parfois plus marqués chez les porteurs du génotype APOE4, ce qui suggère qu’un style de vie adapté pourrait contribuer à compenser ou à neutraliser un facteur de risque génétique (voir, par exemple, Krell-Roesch et al., 2017). Il est également important de considérer que, étant donné que l’âge est le facteur le plus corrélé au développement de la démence, tout ce qui permet de retarder l’apparition de la maladie contribue à en diminuer la prévalence. Ainsi, repousser le début de la maladie de cinq ans correspondrait à en réduire la prévalence globale d’environ 40 % en 2050 (Zissimopoulos, Crimmins et St. Clair, 2015). Globalement, ces observations portent donc les stratégies de prévention à un rang privilégié dans la lutte contre ce fléau.

Quels sont les facteurs environnementaux qui augmentent ou diminuent le risque de démence?

De nombreux facteurs de risque ou de protection ont été proposés. Tous n’ont pas reçu le même soutien empirique, mais un certain nombre fait maintenant consensus dans la communauté scientifique (Barnes et Yaffe, 2011; Beydoun et al., 2014). Parmi les facteurs reconnus aujourd’hui comme diminuant le risque de démence figurent : un niveau d’activité cognitive ou intellectuelle riche durant la vie, incluant principalement le niveau de scolarité, les métiers exercés et les activités de loisirs ; la pratique régulière d’une activité physique ; une alimentation saine et équilibrée (souvent apparentée au régime méditerranéen1) ; et, dans une moindre mesure, un réseau social suffisamment riche. À l’inverse, les facteurs reconnus comme augmentant le risque de démence sont : une mauvaise santé cardio-vasculaire, en particulier l’hypertension et l’obésité à l’âge adulte, la consommation de cigarette, le diabète et un haut taux de cholestérol; les traumatismes crâniens et les accidents vasculaires répétés; les pertes sensorielles, en particulier la perte auditive; et, dans une moindre mesure (parce que ces signes ont été moins étudiés ou moins fortement associés), la dépression chronique durant la vie et les problèmes de sommeil.

Nombre de ces facteurs interagissent, et leur contribution sur la réserve cognitive et la réserve ou la préservation cérébrale est multiple. Par exemple, l’exercice physique et l’alimentation influencent tous les deux la santé cardio-vasculaire, mais ont aussi des effets spécifiques sur le fonctionnement du cerveau (par exemple grâce à l’apport en nutriments pour l’alimentation, ou aux modifications hormonales pour l’activité physique; voir Bherer, Erickson et Liu-Ambrose, 2013; Lourida et al., 2013). De même, l’activité cognitive peut augmenter à la fois le capital cérébral structurel (on sait par exemple qu’un niveau de scolarité élevé est associé à une augmentation des connexions synaptiques), mais aussi la flexibilité du fonctionnement cognitif, ce qui favorisera les mécanismes de compensation en cas d’atteinte cérébrale.
 

À propos de l’activité cognitive

Être engagé régulièrement dans des activités cognitivement stimulantes réduirait de 47 % le déclin cognitif lié à l’âge et de 33 % le risque de démence (Wilson et al., 2002). La stimulation cognitive ne se limite pas qu’à l’éducation scolaire; elle est présente dans la pratique de toute activité complexe, réalisée dans le cadre de sa pratique professionnelle ou de loisirs dits « intelligents » (lecture, bénévolat, jeux de stratégie, activités artistiques, etc.; Verghese et al., 2003). Plusieurs études ont aussi examiné plus spécifiquement les effets de la pratique de la musique et ont montré que les musiciens âgés semblaient présenter un déclin cognitif moins important que les non-musiciens (Amer, Kalender, Hasher, Trehub et Wong, 2013). D’autres études se sont intéressées au multilinguisme et ont mis en évidence que les personnes qui parlent plusieurs langues (deux ou plus de deux, selon les études) déclareraient les premiers symptômes de démence en moyenne quatre à cinq ans plus tard que les monolingues (Freedman et al., 2014).

 

Jamais trop tard pour commencer?

Une grande question qui découle de cette littérature scientifique concerne la « dose » requise pour obtenir ces effets. En d’autres termes, ces facteurs protecteurs jouent-ils seulement un rôle lorsqu’ils sont cultivés durant toute la vie, ou est-il possible de développer sa réserve en commençant à adapter son mode de vie plus tardivement? Les résultats des recherches dans ce domaine sont plutôt encourageants. Par exemple, des programmes d’intervention visant l’alimentation ou la mise en place de routines d’exercices physiques chez des personnes de plus de 60 ans ont parfois montré des effets sur la cognition après seulement quelques semaines ou quelques mois d’entraînement (Angevaren, Aufdemkampe, Verhaar, Aleman et Vanhees, 2008; Valls-Pedret et al., 2015).

D’autres études ont montré que des programmes d’entraînement cognitif, notamment ceux qui sont basés sur l’apprentissage de stratégies pour mieux mémoriser ou mieux contrôler son attention, ont permis d’améliorer le fonctionnement cognitif et la réalisation de tâches complexes dans la vie de tous les jours (Boujut et Belleville, sous presse). Ceci a aussi été observé chez des personnes présentant des troubles cognitifs légers (Boller et Belleville, sous presse). Ces études mettent aussi en évidence des changements cérébraux fonctionnels survenant à la suite d’une période d’entraînement, ce qui confirme que le cerveau reste plastique même à un âge avancé (ou malgré une pathologie potentiellement naissante) et qu’il est capable d’activer de nouvelles routes neuronales pour effectuer une tâche donnée. Il a aussi été démontré que certains effets bénéfiques pouvaient perdurer même 10 ans plus tard, ce qui pourrait donc contribuer à diminuer la perte d’autonomie à long terme (Rebok et al., 2014).

Enfin, des effets positifs sur la cognition ont été observés suite à des programmes d’intervention impliquant des activités de loisirs lorsque ces interventions reposent sur l’apprentissage d’une nouvelle compétence (par exemple la photographie, la musique, l’utilisation d’une tablette, la pratique de la méditation, etc.; Boujut et Belleville, sous presse). Ces études sont particulièrement encourageantes, car les loisirs ont l’avantage d’être facilement accessibles et ludiques, et sont donc susceptibles d’attirer une grande proportion de la population.

Obstacles et directions pour les futures recherches

Des progrès restent à faire pour permettre l’application de ces recommandations à l’ensemble de la population. D’abord, adopter un nouveau mode de vie peut être un vrai défi (particulièrement en âge avancé) et il est important de mieux comprendre les conditions qui favorisent ces ajustements. Aussi, il est nécessaire d’adapter les programmes d’intervention à la réalité et aux besoins spécifiques de chaque population ciblée. Cela permettrait de mieux rejoindre les minorités souvent sous-représentées dans les études, comme les personnes avec un faible niveau de scolarité, les populations autochtones ou immigrées. L’accessibilité de ces programmes est aussi un problème en milieu rural ou dans les zones reculées; s’ajuster à ces contraintes locales pourrait impliquer d’adapter certains entraînements pour les administrer à distance (au moyen de programmes en ligne, par exemple).

Conclusion

La recherche sur la prévention du déclin cognitif et la réduction du risque de démence est en pleine effervescence. Les résultats révèlent peu à peu le potentiel considérable des approches préventives. Si l’on arrive à contourner certains obstacles d’accessibilité ou d’adaptation à différentes populations, ces approches auront l’avantage d’être à la portée directe des individus et de pouvoir ainsi être mises en place rapidement (contrairement, par exemple, au temps requis pour développer un médicament). Alors, en attendant la pilule anti-Alzheimer ou le mind uploading… assurons-nous de bouger aussi souvent que possible, mais portons un casque à vélo, prenons un verre de vin rouge le vendredi soir, remplaçons les biscuits par des noix, allons jouer de la musique avec nos voisins, qui, si possible, ne parlent pas notre langue maternelle, dormons, explorons, méditons, et réjouissons-nous par avance de ces années de vie en santé gagnées!


Référence

1 Le régime méditerranéen repose principalement sur une consommation élevée de légumes et de fruits, de céréales et de grains entiers, de noix et de légumineuses; sur une consommation occasionnelle de poisson, de viande blanche, d’œufs, de produits laitiers et de vin; et sur une consommation très limitée de gras saturés, de sucres et de viande rouge.
 

Bibliographie

Amer, T., Kalender, B., Hasher, L., Trehub, S. E. et Wong, Y. (2013). Do older professional musicians have cognitive advantages? PLoS One, 8(8), e71630.

Angevaren, M., Aufdemkampe, G., Verhaar, H. J., Aleman, A. et Vanhees, L. (2008). Physical activity and enhanced fitness to improve cognitive function in older people without known cognitive impairment. Cochrane Database of Systematic Review, 3(3), 1-73.

Barnes, D. E. et Yaffe, K. (2011). The projected effect of risk factor reduction on Alzheimer’s disease prevalence. The Lancet Neurology, 10(9), 819-828.

Beydoun, M. A., Beydoun, H. A., Gamaldo, A. A., Teel, A., Zonderman, A. B. et Wang, Y. (2014). Epidemiologic studies of modifiable factors associated with cognition and dementia: systematic review and meta-analysis. BMC Public Health, 14(1), 643.

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Boller, B. et Belleville, S. (sous presse). Cognitive Intervention in Older Adults with Mild Cognitive Impairment. Oxford Research Encyclopedia of Psychology.

Boujut, A. et Belleville, S. (sous presse). Où en est-on avec les programmes d’interventions cognitives pour les personnes âgées? Revue de Neuropsychologie.

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Livingston, G., Sommerlad, A., Orgeta, V., Costafreda, S. G., Huntley, J., Ames, D., …Mukadam, N. (2017). Dementia prevention, intervention, and care. The Lancet, 390(10113), 2673-2734.

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Valls-Pedret, C., Sala-Vila, A., Serra-Mir, M., Corella, D., de la Torre, R., Martínez-González, M. Á, …Ros, E. (2015). Mediterranean diet and age-related cognitive decline: a randomized clinical trial. JAMA Internal Medicine, 175(7), 1094-1103.

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Verghese, J., Lipton, R. B., Katz, M. J., Hall, C. B., Derby, C. A, Kuslansky, G., …Buschke, H. (2003). Leisure activities and the risk of dementia in the elderly. The New England Journal of Medicine, 348(25), 2508-2516.

Wilson, R. S., Mendes De Leon, C. F., Barnes, L. L., Schneider, J. A., Bienias, J. L., Evans, D. A. et Bennett, D. A. (2002). Participation in cognitively stimulating activities and risk of incident Alzheimer disease. JAMA, 287(6), 742-748.

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