Agrégateur de contenus

Procès en pratique illégale : issue positive pour l’Ordre des psychologues

Me Édith Lorquet, directrice des services juridiques à l'Ordre des psychologues du Québec - elorquet@ordrepsy.qc.ca


C’est le 6 juillet dernier que l’Ordre des psychologues remportait son premier procès. Dans un jugement écrit par Madame la juge Christine Lafrance, de la Cour du Québec, Louise Ward a été reconnue coupable d’avoir procédé illégalement à l’évaluation des troubles mentaux en diagnostiquant une dyslexie auprès d’une agente d’investigation engagée par l’Ordre.

Contexte

En 2014, l’Ordre des psychologues du Québec a reçu plusieurs signalements impliquant des adultes et des enfants au sujet de Louise Ward, du Centre canadien de dyslexie. Elle avait procédé à l’évaluation des troubles mentaux.

Dans une approche de déjudiciarisation, l’Ordre a donc fait parvenir une lettre au Centre canadien de dyslexie l’informant que depuis 2012 l’évaluation des troubles mentaux était une activité réservée à différents professionnels et que, par conséquent, à défaut d’avoir des professionnels habilités à son service, le Centre devait cesser immédiatement d’évaluer la dyslexie. Malgré cet avertissement, le Centre n’a jamais cessé cette activité.

Dans le cadre de l’enquête menée par l’Ordre, une agente d’investigation a donc été envoyée sur place. À la lumière des faits révélés lors de cette enquête, l’Ordre a été autorisé par un juge de paix à intenter une poursuite pour pratique illégale.

Le procès

Dans sa défense, Mme Ward invoquait que la dyslexie ne serait pas un trouble mental, mais un trouble « académique ». Par conséquent, la dyslexie ne serait donc pas un trouble visé par la réserve de l’évaluation des troubles mentaux. La défenderesse a aussi fait valoir que ce qu’elle avait effectué auprès de l’agente d’investigation était du dépistage, considérant les outils psychométriques utilisés, et non pas l’évaluation diagnostique réservée par la loi.

Questions en litige

Madame la juge Lafrance devait donc se prononcer sur deux questions principales : l’Ordre des psychologues du Québec avait-il démontré hors de tout doute raisonnable que la dyslexie est un trouble mental au sens du Code des professions? Et si oui, avait-il démontré hors de tout doute raisonnable que Mme Ward avait effectué une évaluation des troubles mentaux?

La dyslexie est-elle un trouble mental au sens du Code des professions?

Pour les psychologues, la réponse est simple et claire, mais à défaut d’une définition de ce qu’est un trouble mental au Code des professions, et compte tenu du fardeau de preuve à rencontrer pour l’Ordre des psychologues du Québec en matière pénale, un véritable débat d’experts s’engageait sur cette question.

Pour l’Ordre des psychologues du Québec, il ne fait aucun doute que la dyslexie fait partie des troubles mentaux répertoriés notamment dans le DSM-5 et que ces troubles sont visés par la réserve de l’évaluation des troubles mentaux au sens du Code des professions. Pour soutenir cette affirmation, l’Ordre a fait entendre le Dr Benoît Hammarrenger, neuropsychologue déclaré expert en troubles mentaux et en dyslexie. L’Ordre s’appuie également sur le guide explicatif du projet de loi 21 pour démontrer que la dyslexie est un trouble mental.

Pour l’experte de la défenderesse, la Dre Linda Siegel, détentrice d’un doctorat en psychologie, enseignant à l’Université de la Colombie-Britannique et experte en troubles des apprentissages et en dyslexie, la dyslexie n’est pas un trouble mental. Il s’agit plutôt d’un problème « académique » qui, contrairement au trouble mental, ne comporte pas d’aspects émotifs et affectifs dans ses critères diagnostiques. Bien qu’elle admît que la dyslexie se trouve au DSM-5, elle se disait d’avis que la dyslexie et les troubles mentaux sont tout de même distincts. Bien qu’elle convînt également que la dyslexie est une sous-catégorie des troubles des apprentissages, elle affirmait en cour être en désaccord avec la partie du DSM-5 qui classe la dyslexie sous « troubles neurodéveloppementaux ». Malgré ces admissions, la Dre Siegel a réaffirmé que les troubles des apprentissages n’étaient pas des troubles mentaux, mais plutôt des troubles « académiques ».

De ce débat d’experts, la juge Lafrance conclut :

Malgré son expertise, le Dr Siegel ne soulève pas de doute à l’effet que la dyslexie est un trouble mental. D’abord la présence même du terme dyslexie dans le DSM-5 est un indice très révélateur qu’il s’agit d’un trouble mental. Le Dr Siegel ne contredit pas l’origine du DSM-5. Il s’agit d’un manuel qui répertorie les troubles mentaux et qui est le résultat d’un consensus d’experts en psychiatrie sur les troubles mentaux. Le DSM-5 aborde chacun des troubles mentaux et les présente en catégories. Ainsi, sous la bannière des troubles mentaux, on retrouve les troubles neurodéveloppementaux. Sous les troubles neurodéveloppementaux, on retrouve le trouble spécifique des apprentissages. C’est sous cette catégorie que l’on retrouve la dyslexie. En conséquence, le trouble spécifique des apprentissages se retrouve sous la grande bannière des troubles mentaux tout comme la dyslexie. (p. 4 du jugement1)

Au sujet du témoignage de l’expert de l’Ordre, la juge souligne :

Bien que le sujet soit complexe, le témoignage du Dr Hammarranger est clair et concis. L’analyse qu’il soumet, pour conclure que la dyslexie est un trouble mental, est précise et fiable. Il se base sur ses connaissances et sur le DSM-5 qui est, tel que mentionné précédemment, la référence en matière de troubles mentaux. (p. 5 du jugement)

En ce qui concerne l’utilisation du guide explicatif du projet de loi 21 comme outil d’interprétation afin de démontrer que la dyslexie est un trouble mental, la défenderesse a soumis que le tribunal ne pouvait se servir de ce guide pour interpréter la notion de troubles mentaux, puisque le guide explicatif n’a aucun statut juridique. Citant les auteurs Pierre-André Côté et Ruth Sullivan, Madame la juge Lafrance a fait ressortir que, bien que les tribunaux ne soient pas liés par les interprétations administratives de la loi, il est toutefois admis que celles-ci puissent peser dans la balance, pourvu que certains facteurs soient également soupesés afin de déterminer l’importance à accorder à un tel document.

Selon l’auteure Ruth Sullivan, ces facteurs sont : 

[…] The courts must consider the position and authority of the persons offering the interpretation, their specialized knowledge or expertise, possible distorting interests, the circumstances in which the interpretation was made, its intended audience, and how widely it has been disseminated and relied on. (p. 7-8 du jugement)

Après s’être prêtée à cet exercice, Madame la juge Lafrance  a conclu que le guide explicatif du projet de loi 21 était un élément essentiel à considérer dans l’interprétation du terme troubles mentaux au sens du Code des professions.

Ainsi, à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée, la juge en est venue à la conclusion, hors de tout doute raisonnable, que la dyslexie est un trouble mental au sens du Code des professions.

Est-ce que l’Ordre a établi, hors de tout doute  raisonnable que Mme Ward avait fait une évaluation de la dyslexie?

L’enregistrement audio de la rencontre entre l’agente d’investigation et Mme Ward a été déterminant pour Madame la juge Lafrance, qui a reproduit dans son jugement certains propos tenus par la défenderesse lors de cette rencontre, tels que : 

[...] Ça c’est certain : t’as deux formes de dyslexie, ça c’est officiel.
T’es pas mal dyslexique. C’est de la dyslexie héréditaire. Ben t’es définitivement dyslexique. J’ai commencé à faire ton rapport. T’as deux formes de dyslexie. Dis-leur que tu as été testée dyslexique pis t’es quand même assez sévère dyslexique. Hein. Pas mal sévère. T’as deux formes de dyslexie. (p. 13 du jugement)

Madame la juge Lafrance conclut : 

[…] l’écoute de la rencontre est éloquente. La défenderesse est catégorique à l’effet que l’agente d’investigation est dyslexique. Il n’y a aucune hésitation, aucune nuance. Elle expose une conclusion définitive et sans équivoque. Ainsi, l’Ordre a établi, hors de tout doute raisonnable, que la défenderesse a fait une évaluation de la dyslexie. (p. 13 du jugement).

Mme Ward a donc été déclarée coupable d’avoir exercé illégalement l’évaluation des troubles mentaux et elle a été condamnée à payer une amende. 

Nous ne pouvions espérer mieux pour notre premier procès, d’autant plus que le jugement de Madame la juge Lafrance trace la voie pour la suite des choses quant à la portée de l’activité réservée qu’est l’évaluation des troubles mentaux.

Enfin, cette chronique nous permet de faire le point sur la situation du secteur de la pratique illégale. Rappelons que notre approche en est une de déjudiciarisation. Sur les 1600 signalements reçus depuis 2012, plus de la moitié des dossiers ont été fermés à la satisfaction de l’Ordre et seulement 16 poursuites ont été intentées en cinq ans. Dix de ces dossiers ont été fermés sans procès, avec des ententes hors cours et la signature d’un engagement volontaire de ne pas exercer à nouveau illégalement. Quatre procès sont toutefois annoncés, et nous attendons de connaître les intentions de deux nouveaux défendeurs qui viennent de recevoir leur constat d’infraction. 

Au moment de mettre sous presse, Mme Ward décidait de porter la décision en appel. L’Ordre continuera de vous informer quant au déroulement de cette affaire.

Référence

  1. Ordre des psychologues du Québec c. Louise Ward, Cour du Québec, dossier 550-61-044937-155, 6 juillet 2017. Ci-après appelé « le jugement ».