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Recommander ses propres services en cabinet privé

Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca


L’Ordre a noté depuis quelques années une nette augmentation de psychologues, œuvrant en organisation (publique ou privée), qui recommandent leurs propres services en cabinet privé.

Simple en apparence, ce type d’autopromotion (que nous nommerons « autoréférence » pour alléger le texte) amène son lot d’interrogations sur le plan déontologique. La présente chronique vise à fournir des éléments de réflexion pour y répondre.

L’autoréférence : c’est parfois possible

Certaines organisations offrant des services payés par l’employeur (comme les PAE), des services payés par le gouvernement ou des services payés par une compagnie d’assurance n’ont aucune objection à ce que des psychologues ayant une pratique hybride recommandent leurs propres services (privés et payants) aux clients dont les services ont été initiés dans le cadre organisationnel.

Par contre, certaines organisations, publiques comme privées, dans un souci de se prémunir contre le conflit d’intérêts ou l’apparence de conflit d’intérêts, optent plutôt pour l’interdiction ou l’encadrement strict de l’autoréférence au privé.

D’autres organisations restent muettes sur le sujet. Dans ces cas, il devient nécessaire pour les psychologues d’adopter une position prudente d’un point de vue déontologique.

Normes applicables : la déontologie et les politiques organisationnelles

Un psychologue qui est employé par une organisation ou qui collabore avec celle-ci et qui offre, en parallèle, des services en cabinet privé, a la responsabilité d’être clair en matière d’autoréférence. Pour ce faire, il devrait prendre les devants et s’informer, auprès de l’organisation, des balises, des règles et des politiques entourant cette pratique.

Pour clarifier son positionnement et son fonctionnement à propos de la recommandation de ses propres services en cabinet privé, le psychologue peut s’appuyer sur cinq articles du Code de déontologie :

  • art. 23 : le psychologue subordonne son intérêt personnel ou, le cas échéant, celui de son employeur ou de ses collègues de travail à l’intérêt de ses clients;
  • art. 28 : le psychologue ne recourt pas, pour un même client, à des interventions susceptibles d’affecter la qualité de ses services professionnels;
  • art. 42 : Le psychologue reconnaît le droit du client de consulter un autre psychologue, un autre professionnel ou une autre personne compétente. En aucune façon, il ne porte atteinte au libre choix exercé par le client;
  • art. 44 : le psychologue ne peut inciter quelqu’un de façon pressante et injustifiée à recourir à ses services professionnels;
  • art. 45 : le psychologue ne pose ni ne multiplie des actes professionnels sans raison suffisante et s’abstient de poser un acte inapproprié ou disproportionné au besoin de son client.

Une position prudente

Si l’on tient compte de l’ensemble des cinq articles précédents, voici un type de message qu’un psychologue qui exerce à la fois en cabinet privé et dans une organisation pourrait livrer, tant aux clients, aux collègues qu’à son employeur.

S’abstenir d’offrir d’emblée ses propres services en cabinet privé.
Lorsqu’un psychologue exerce dans une organisation offrant des services gratuits, pour le client bénéficiaire du service, il pourrait adopter la position suivante : ne jamais proposer d’emblée à son client ses propres services en cabinet de consultation privé, quelle qu’en soit la raison. 

Favoriser l’aiguillage vers les ressources compétentes.
Certaines organisations fournissent une liste de psychologues en cabinet privé jumelée aux coordonnées du service de référence de l’Ordre des psychologues du Québec, le tout afin de permettre au client de consulter le psychologue de son choix. Le psychologue peut donc, lorsque la poursuite des services devient nécessaire malgré la fin du mandat, fournir une telle liste à son client.

Considérer les demandes et les démarches initiées par le client lui-même.
Il peut arriver que le client, qui est satisfait des services de son psychologue en organisation, ait tendance à chercher les mêmes services au privé. Le client pourrait donc être tenté de retrouver le psychologue consulté au sein de l’organisation par le service de référence des psychologues exerçant en cabinet privé. 

Dans ces circonstances, il est possible, sauf exception, que le psychologue accède à la demande du client. Le psychologue documentera, dans sa note initiale, l’effort et l’initiative du client de le retrouver pour obtenir ses services en cabinet privé.

Ainsi, le psychologue s’assure que l’intérêt du client de recevoir des services du psychologue de son choix est respecté, et ce, sans laisser croire qu’il pourrait exercer des pressions injustifiées sur son client pour lui offrir ces mêmes services.

L’autoréférence en questions

Voici quelques questions illustrant les préoccupations réelles des psychologues et du public sur le sujet et qui mettent à l’épreuve les principes énoncés ci-dessus.

Une psychologue, qui offre un service d’évaluation psychologique pour une organisation, recommande des services spécialisés que son organisation n’offre pas, mais qu’elle offre en cabinet privé. Elle est tentée de proposer d’emblée ses services en cabinet privé. Aurait-elle raison de le faire?
Cette psychologue devra d’abord s’assurer que l’organisation qui l’emploie n’a pas de politiques empêchant ou encadrant l’autoréférence. Elle peut par ailleurs communiquer à son employeur les enjeux déontologiques auxquels elle fait face dans cette situation et convenir avec lui d’un modus operandi.

Si l’organisation a une politique concernant ce type d’autopromotion, la psychologue devra s’engager à observer cette orientation organisationnelle. 

Si l’organisation n’a pas de politique sur le sujet, la psychologue devra s’assurer que les recommandations qu’elle soutiendrait dans son rapport d’évaluation ne peuvent être perçues comme étant une incitation pressante et injustifiée à recourir à ses propres services professionnels en cabinet privé. De plus, elle devra s’assurer que le client a plus d’une option à envisager pour trouver les services dont il a besoin. Afin d’écarter toute ambiguïté et d’éliminer toute perception ou toute présomption mal fondées, cette psychologue pourrait s’inspirer de la « position prudente » décrite précédemment et la communiquer clairement aux clients et à son employeur le cas échéant.

Une psychologue ayant des compétences rares et particulières travaille dans une organisation qui a une longue liste d’attente pour accéder à ses services. Elle réalise que ses collègues ont tendance à suggérer ses services au privé aux clients qui ne veulent pas attendre. Comment devrait-elle intervenir?
Le client aura probablement tendance à se fier au jugement de ces professionnels. Or, rappelons que lorsqu’un professionnel (quel qu’il soit) oriente le client vers les services d’un psychologue en particulier, il limite la possibilité du client de choisir son psychologue, brimant ainsi le principe voulant qu’un client puisse choisir librement son psychologue.

Considérant cela, et pour éviter toute apparence de collusion (c.-à-d. une entente secrète entre professionnels), il peut apparaître justifié que cette psychologue informe ses collègues et ses collaborateurs de la « position prudente » précitée afin d’en arriver à une formule de référence ou d’informations au client qui convienne à tous. 

Finalement, si cette psychologue a des compétences rares et particulières, il sera aisé pour les clients de la retracer au service de référence de l’Ordre des psychologues du Québec ou sur tout autre moteur de recherche.

Après avoir vu une psychologue en organisation, une cliente retrouve, de sa propre initiative, sa psychologue au privé. Cette psychologue peut-elle la rencontrer en cabinet de consultation privé?
La psychologue, sollicitée cette fois-ci en cabinet privé, devra s’attarder aux trois principes suivant : le consentement libre et éclairé, l’intérêt supérieur de la cliente et la possibilité pour la cliente de consulter la psychologue de son choix.

Avant de procéder au consentement et à la prestation de service, la psychologue, cette fois-ci en cabinet privé, aurait la responsabilité de donner à la cliente les réponses aux questions suivantes : 

  • la cliente est-elle présentement admissible à recevoir des services en organisation?
  • la cliente sera-t-elle admissible à recevoir de nouveaux services au sein de l’organisation après un passage en cabinet de consultation privé?
  • si la cliente est éventuellement admissible à recevoir de nouveaux services en organisation, pourrait-elle recevoir des services de la part de cette même psychologue ou devrait-elle rencontrer un autre intervenant?

Finalement, la psychologue doit s’assurer que la cliente consent d’une façon libre et éclairée à entamer un processus au privé avec elle.

Lorsqu’un psychologue quitte définitivement une organisation, peut-il offrir ses services à ses anciens clients?
L’intérêt supérieur des clients et la continuité des services sont les deux principes qui guident la réponse à cette question. Cependant, la gratuité (ou non) des services offerts à ces clients par l’organisation teinte également la réponse.

Si le psychologue quitte une organisation offrant des services gratuits pour les bénéficiaires de ces services, c’est à cette organisation de s’assurer de la continuité des services gratuits. Dans le cas où des clients insisteraient auprès du psychologue pour poursuivre le processus en cabinet privé, le psychologue devrait s’assurer que ces clients ont été bien informés de la possibilité d’obtenir des services en organisation et qu’ils choisissent en toute liberté de poursuivre avec ce psychologue en cabinet privé.  

Si le psychologue quitte une organisation offrant des services que les clients paient déjà, le principe de liberté de consulter un psychologue de son choix devrait davantage teinter la prise de décision. 

Ainsi, le psychologue pourrait tout aussi bien proposer au client :

  • de poursuivre les services avec un autre psychologue de l’organisation, 
  • de poursuivre les services avec lui-même dans son nouveau cabinet,
  • ou encore de le référer à d’autres psychologues compétents et indépendants.

En conclusion

Lorsqu’un client interpelle un psychologue en cabinet privé, qui est le même qui offre des services en organisation, ce dernier devrait adopter une position irréprochable, limpide et cohérente avec ses obligations déontologiques. Cette «position prudente», proposée dans cette chronique, est un des moyens permettant d’agir avec prudence et avec transparence et, ainsi, d’éviter des dérives lorsque les balises des organisations sont floues ou inexistantes.

Références

  • Gouvernement du Québec. Code de déontologie des psychologues (C-26, r.148.1.001).
  • Gouvernement du Québec. Code des professions (C.26).