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Santé mentale des hommes et périnatalité

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Le cas clinique

Un couple consulte un psychologue un mois après la naissance de son premier enfant. L’accouchement a été difficile, mais madame rapporte avoir récupéré rapidement malgré les nombreuses tâches à accomplir. Elle dit souffrir de voir son mari distant, peu intéressé par le contact avec l’enfant et en proie à des sautes d‘humeur fréquentes. Monsieur parle peu dans la première partie de l’entrevue, et le psychologue comprend que madame a dû beaucoup insister pour organiser cette consultation.

La recherche le dit

Un homme sur dix souffre de dépression au moment de vivre l’expérience de la paternité, plus précisément à partir du premier trimestre de la grossesse et durant l’année suivant la naissance. La proportion de troubles anxieux recensés s’inscrit quant à lui entre 4,1 et 16 % en période prénatale, puis entre 2,4 et 18 % en période postnatale (Leach, Poyser, Cooklin et Giallo, 2016).

La particularité de la dépression post-partum paternelle tient au fait qu’elle peut se manifester de manière subtile, notamment à travers l’expression de colère, d’irritabilité, de retrait, ou encore à travers la consommation de substances. On recense également d’autres problèmes de santé mentale tels que des symptômes obsessifs-compulsifs et des psychoses (Singley et Edwards, 2015).

Certains groupes de lobbyistes américains ont milité pour que la dépression post- partum soit considérée dans une période allant de 6 à 12 mois suivant la naissance de l’enfant. Bien que cette période se limite à quatre semaines dans le DSM-5, il apparaît de nos jours plus fréquent de tenir compte de ce diagnostic dans la pratique clinique et dans les publications, à la fois pour les hommes et les femmes.

L’Association nationale de périnatalité recommande notamment d’évaluer les pères au moins deux fois pour dépister les dépressions post-partum au cours de l’année suivant la naissance, particulièrement en cas de difficultés néonatales. Ceci pourrait protéger l’enfant contre les conséquences psychosociales à long terme d’un engagement paternel réduit (Singley et Edwards, 2015).

Il est important d’éduquer les nouveaux parents quant à une éventuelle diminution de la satisfaction au sein du couple après la naissance d’un enfant. Des conseils peuvent être offerts aux nouveaux pères afin qu’ils engagent leur partenaire sur le plan émotionnel pour communiquer tout problème. Des habiletés communicationnelles peuvent être enseignées pour favoriser une compréhension mutuelle (reformulation, questions ouvertes, ouverture à l’égard du problème). Une étude de Murdock (2013) soutient que le stress accru et l’insatisfaction au sein du couple sont corrélés au moindre engagement du père et à la diminution de son sentiment d’efficacité personnelle.

Puisque la socialisation des hommes les encourage à se tourner vers leur partenaire pour sustenter leurs besoins émotionnels, ils cherchent rarement un soutien externe. Les pères interviewés dans une étude de Rominov, Giallo, Pilkington et Whelan (2017) relient l’hésitation à consulter à la perception d’un stigma social les considérant « faibles » s’ils s’engagent dans cette voie. Ils nomment également leur malaise à détourner l’attention portée au bien-être de leur partenaire et de leur enfant et suggèrent d’identifier un motif externe à la consultation afin de mieux l’accepter, par exemple rechercher de l’aide pour eux-mêmes afin d’aider leur enfant.

Les pères interviewés dans cette étude nomment également l’importance d’être informés quant à la charge émotionnelle et physique associée à la parentalité (Rominov, Giallo, Pilkington, et Whelan, 2017). Parmi les stresseurs à envisager, on note l’épuisement découlant du manque de sommeil et des nombreux besoins du jeune enfant. La difficulté à gérer l’équilibre travail-famille peut inciter les nouveaux pères à travailler démesurément et à s’impliquer moins auprès de l’enfant.

Ceci engendre une gestion accrue des responsabilités parentales par la partenaire et diminue le sentiment d’efficacité du père en ce qui a trait aux soins procurés à l’enfant, puisqu’il remet en question sa compétence paternelle. Le sentiment d’efficacité personnelle des pères gagne à être soutenu, puisqu’il peut être associé à un stress parental, à des symptômes dépressifs et à des difficultés relationnelles au sein du couple. Il est recommandé pour les nouveaux pères de s’engager le plus possible dans les soins à donner à l’enfant, et ce, le plus rapidement possible après la naissance.

Dans notre exemple clinique, la recommandation d’une psychothérapie individuelle a été acceptée, car monsieur était motivé à s’engager auprès de son enfant pour favoriser son développement. L’espace thérapeutique a permis de mentaliser l’expérience de la paternité et d’apprivoiser les émotions et pensées associées à cette nouvelle phase de vie.

Bibliographie